L’enseignant comme artiste.

Si l’on considère l’enseignement comme un art, puisque l’on ne peut appliquer les buts et les méthodes de la science aux êtres humains, l’enseignant devient artiste. Il disposerait de tours de main et de techniques. N’oublions pas que les techniques d’enseignement sont personnalisées par les enseignants qui les mettent en œuvre. L’enseignant dépasserait le modèle de l’artisan lorsqu’il refuserait de s’arrêter à l’acquisition des connaissances en désirant développer, chez l’élève, des attitudes et des sensibilités. Le maître incarnerait l’esprit de la discipline enseignée, la passion de cette discipline : cette représentation est davantage à l’œuvre dans le second degré où les enseignants se définissent d’abord par leur enseignement avant de se déclarer enseignant. Ces derniers se retrouvent magnifiés par cette image romantique d’un être voué à une passion et brûlant de la transmettre. L’abnégation complète cette représentation. Dans cette conception, l’enseignant communique plus qu’il transmet un contenu. Il expose des modes d’être, des valeurs et des capacités de jugement. Cette représentation du métier coïncide avec l’idée que l’on naît enseignant comme l’on naît artiste. Avec l’expérience, l’enseignant perfectionne ses capacités originelles.

Nous considérons que le rééducateur est un artiste de la relation comme l’enseignant est un artiste de la transmission de savoirs. Sans créativité, la rééducation ne serait qu’une coquille vide, qu’un espace inutile d’écoute. La définition du modèle rééducatif et le parcours des mémoires professionnels démontre les nombreux emprunts à la théorie winnicottienne notamment en ce qui concerne l’espace transitionnel. Contre le symptôme, création originale de l’enfant, le rééducateur est contraint de créer : un cadre d’abord afin que sa parole soit reconnue et écoutée, et ensuite, des interventions originales afin que l’enfant soit reconnu dans son originalité personnelle. Cette créativité n’est pas extraordinaire mais correspond à celle qui est inhérente à la vie. Les références à cette capacité du rééducateur dans le projet de attestent de son importance :

‘« Mettre en jeu sa créativité, expérimenter de nouvelles attitudes, développer son imaginaire et sa fantaisie afin d'accroître son efficacité au sein du groupe et dans la relation d'aide. », « Le rééducateur en formation aura à explorer sa propre créativité pour aller à la rencontre de celle de l'enfant, l'expérience créatrice permettant d'aborder le Faire et le Dire de manière symbolique. » 540

D’autres conceptions sont développées pour décrire le métier d’enseignant comme celles du manager, du stratège et de l’expert : toutes sont éloignées du métier de rééducateur et ne seront pas présentées 541 . Seule, celle développée par SCHÖN (le savoir en action) pourrait éclairer le débat. La présence de ce savoir justifie les modalités de formation qui utilisent le modèle (celui qui sert de référence à l’élève) comme véhicule de formation ainsi que les moments d’analyse de la pratique (groupe de supervision, groupes BALINT, réunion de synthèse) afin d’extraire les savoirs des actions confondues, des illusions ou des préjugés. Dans ce cas, le savoir est dans l’action. Le travail du rééducateur est essentiellement réflexif comme le décrit SCHÖN :

‘« Cette incessante restructuration de la situation opérée à la lumière d’une information évoluant au gré de l’action équivaut, pour SCHÖN, à une « conversation réflexive » entre le praticien et la situation incertaine » 542 .’

Logiquement, SCHÖN préconise le tutorat entre le formateur et l’élève-maître. Ce tutorat est instauré d’une façon originale pour les rééducateurs en formation : chaque stagiaire est accompagné individuellement par au moins trois formateurs ‑ le formateur référent d’option qui garantit l’ensemble et la cohérence de la formation, le formateur qui visite le stagiaire en présence du maître d’accueil pendant les séances rééducatives et le formateur qui aide à la réalisation du mémoire professionnel (il se peut que ces trois rôles soient tenus par la même personne).

Ces comparaisons avec les conceptions affectées aux enseignants permettent de dégager un faisceau de trois sources pour le rééducateur : il se rapproche de l’artisan lorsque son action est soumise à l’analyse (autonomie, importance de l’expérience, individualisation de l’acte, etc.). Il est un bricoleur en raison des emprunts théoriques et, enfin, il doit rester un artiste pour garantir une créativité bienveillante et attentive à l’enfant auquel il apporte son aide.

Les modèles qui ont été présentés décrivent des professions enseignante et rééducative qui ne pourraient pas tirer profit des sciences et des techniques. Ainsi, l’approche fonctionnaliste qui souhaite imposer l’idée que toutes les professions doivent découler d’activités scientifiques n’est pas opérante vis-à-vis des rééducateurs. La rééducation ne gagne pas en autorité scientifique mais ne doit pas craindre le regard sur son efficacité. La rééducation est avant tout une pratique clinique et le savoir nécessaire à sa mise en œuvre est dans l’action elle-même (ceci n’interdit pas les théorisations après coup mais des zones peuvent rester non-explicitées ou non analysables). Ainsi, la rééducation ne relève pas de la rationalité technique, ceci peut expliquer en grande partie les réticences dont elle fait l’objet ici où là. La configuration dans laquelle se situent les rééducateurs ne plaide pas en faveur de leur professionnalisation. Ainsi décrits, ils subissent le sort des enseignants dont la professionnalisation est remise en cause.

Le socle pour toute reconnaissance d’une profession est constitué par les savoirs professionnels. Ces derniers doivent être constitués d’une manière scientifique en utilisant des méthodes quantitatives et expérimentales. La conception scientiste de l’enseignement offre cependant un intérêt :

‘« Il est vrai que cette conception reste prépondérante lorsqu’il s’agit de prendre des décisions, car elle est la seule à donner une vision d’ensemble basée sur une méthode scientifique à laquelle les décideurs font spontanément plus confiance. » 543

Ces savoirs sont d’autant plus reconnus qu’ils sont diffusés par l’université comme lieu de production du savoir. Tel n’est pas le cas pour les rééducateurs puisque leur formation est acquise pendant un temps bref en I.U.F.M. : ces établissements se trouvent dans une position ambiguë vis-à-vis des universités (universitaires de part leur appellation mais instituts par vocation ‑ ils conjuguent des termes antinomiques mais constituent une tentative de rapprochement des lieux d’acquisition des savoirs et d’exercice de ces derniers comme les centres hospitalo-universitaires). Les I.U.F.M. sont des établissements d’enseignement supérieur à caractère administratif. Leur autonomie n’est pas celle des universités ; ils dépendent directement du ministère de l’enseignement supérieur : la tutelle est directe. Il nous faut donc nous interroger quant à la définition d’une profession car, malgré les tentatives que nous avons engagé pour rapprocher le rééducateur du modèle du professionnel et des métaphores associées à l’enseignant, nous constatons qu’une distance persiste.

Nous nous proposons d’apporter les précisions qui nous permettrons de désigner le type de professionnel qu’est le rééducateur.

Notes
540.

Cf. Annexe 9

541.

Cf. BRICHAUX (Jean), op. cit., pp 95-99.

542.

Ibid., p 103.

543.

BOURDONCLE (Raymond), op. cit., (1993), p 106.