Les modèles de l’identité

Renaud SAINSAULIEU 544 décrit six modèles d’identité au travail 545 , six conceptions des relations au travail, complétant et précisant les quatre modèles de son travail précédent 546 . Le modèle réglementaire caractérise le travail vécu comme une nécessité économique. Il reprend l’ancien modèle du retrait. Le modèle communautaire (proche de l’ancien modèle fusionnel) où les acteurs sociaux restent attachés à l’entreprise et valorisent l’action solidaire comme cela était le cas dans le modèle de la fusion. Ce modèle ne regroupe que les populations dont l’ancienneté est importante et qui subissent les effets des restructurations et des disqualifications professionnelles. C’est le modèle des tâches ingrates, disqualifiées et répétitives « où le collectif est valorisé comme un refuge et une protection contre les divergences et les clivages » 547 . Les combats d’idées sont relégués au profit de l’attachement au leader, c’est aussi le modèle de l’aliénation au travail. Le modèle professionnel (anciennement « négociateur ») recouvre maintenant aussi les nouvelles professions en rapport à la technologie et correspond aux métiers qui lient conception et exécution des tâches. Le modèle de mobilité (anciennement celui des affinités) où les mobilités sont facilitées par les affinités, où l’individualité est promue. Ce modèle accueille aujourd’hui les personnels qui ont pu profiter de la modernisation et des innovations.

Les deux nouveaux modèles sont ceux du service public et entrepreneurial. Le modèle professionnel de service public est celui des acteurs qui questionnent la mission de service public, celui qui accueille« des populations en demande d’assistance personnalisée » 548 . Dans ce modèle, le souci va à la protection du bien public. Dans ce modèle les attitudes recherchées sont l’autonomie, la responsabilité et la compétence. Nous retrouvons les attitudes des travailleurs sociaux. Le modèle entrepreneurial est des acteurs soucieux avant tout des résultats des ventes et de la gestion.

Deux axes regroupaient les modèles, celui de l’intégration et celui des sociabilités. L’axe de l’intégration collective relie l’intégration par la règle ‑ valorisation du statut et affaiblissement des relations au travail ‑ à l’intégration par les interactions de travail ‑ forte implication et échanges ouverts avec la hiérarchie. Le second axe, celui des sociabilités, s’étend des sociabilités fortes ‑ relations affectives intenses entre collègues et importance accordée à la solidarité ‑ aux sociabilités faibles ‑ relations minimales en raison de l’attachement aux trajectoires individuelles.

Ces modèles interrogent la situation des rééducateurs. En raison des tâches et de leurs méthodes de travail, de la formation professionnelle dont ils ont bénéficié, de la pratique rééducative et des rapports constants qu’ils entretiennent avec les familles, les rééducateurs se rapprochent du modèle professionnel de service public. La définition ouverte de leur travail rééducatif dans les textes officiels, leur mission de prévention, la conscience de participer à la démocratisation de l’enseignement (Cf. première partie) leur permet d’interpréter leur mission de service public. Cette tendance s’est accentuée avec l’augmentation des familles en difficulté accueillies à l’école connotant socialement leur action éducative. Cette référence au modèle professionnel de service public sera confirmée plus loin lors de l’analyse du questionnaire lorsque le rôle mis en valeur sera celui de médiateur, lorsque les devises seront centrées sur les lignes de conduite, lorsque la confidentialité des rapports sera exprimée comme essentielle au métier, lorsque l’importance accordée au métier sera promue et enfin lorsque le partenariat sera autant mis en avant. Une précision reste à apporter car les qualités et l’attente de reconnaissance mises en avant par les rééducateurs les rapprochent davantage d’une sociabilité forte, pétrie de solidarité et de respect du métier. Ceci correspond davantage au modèle professionnel qu’à celui de service public. Nous retrouvons une position d’entre-deux qui emprunte les finalités au modèle de service public ‑ protéger et développer le service rendu au public ‑ sans renoncer aux valeurs du modèle professionnel de compétences et de conscience professionnelles dans un travail.

Notes
544.

JOBERT (Guy), op. cit., p 193.

545.

FRANCFORT (Isabelle), OSTY ( Florence), SAINSAULIEU (Renaud) et UHALDE (Marc), Les mondes sociaux de l'entreprise, Bruxelles, Desclée de Brouwer, 1995

546.

SAINSAULIEU (Renaud), L'identité au travail, Paris, Fondation nationale des sciences politiques, 1977

547.

JOBERT (Guy), op. cit., p 199.

548.

JOBERT (Guy), op. cit., p 191.