La situation des rééducateurs

Le processus biographique est au cœur de l’étude qui a été menée par voie de questionnaire 558 auprès des rééducateurs du Rhône. Bien que le détail des enseignements est développé plus loin ; nous profitons de l’occasion pour détailler le processus biographique mis en œuvre par les rééducateurs.

Comme nous l’annoncions, il est fort probable que les deux processus ne s’accordent pas. L’individu développera des stratégies identitaires qui rechercheront à réduire l’écart. Ce désaccord est manifeste si l’on rapproche les résultats de l’enquête menée auprès des rééducateurs, la consultation de la revue « Envie d’école » et les rapports critiques de l’Inspection Générale. L’enjeu est donc effectivement dans une reconnaissance de l’identité des rééducateurs par l’institution scolaire représentée par l’Inspection Générale : « La relation entre les identités héritées, acceptées ou refusées par les individus, et les identités visées, en continuité ou en rupture avec les identités précédentes, dépend des modes de reconnaissance par les institutions légitimes et leurs agents directement en relation avec les sujets concernés. » 559 A titre d’exemple, citons ce qui nous est livré par l’enquête avant le traitement systématique réalisé plus loin.

A la question 560 « Est-ce que votre profession est reconnue ? », les avis sont mitigés. Cette réponse nuance les commentaires qui seront livrés plus loin quant aux zones d’ambiguïté du métier.

Effectifs %
Oui 22 53,66%
Non 13 31,71%
Total des réponses 41 100,00%

A la question « Comment améliorer la reconnaissance de la profession ? », nous découvrons les motifs de la non-reconnaissance. Le traitement des propositions permet de connaître et confirmer qu’il existe un différend entre les rééducateurs et les I.E.N. Si l’on en croit les douze répondants, la reconnaissance n’est pas ce qu’elle devrait être. Le classement par thème fait apparaître une attente importante de reconnaissance. Les deux moyens privilégiés par les rééducateurs concernent l’information et la formation, principalement celle des acteurs les plus proches comme les enseignants (en poste ou en formation) et les I.E.N. En l’espèce, ils expriment une qualité de leur fonction ancrée dans la communication et la relation. L’appel à l’information et à la formation peut être interprété comme une confiance dans le système éducatif : s’il s’engage sur ces voies, il ferait la preuve de son estime des rééducateurs et de la rééducation.

Quelques citations des réponses apportent des développements sur cette analyse.

‘« Les RASED doivent informer et communiquer; informer les inspecteurs et les enseignants des différentes possibilités du travail rééducatif ; que chaque année l’I.E.N. représente l'équipe de RASED avec la spécificité de chacun lors d'une réunion avec les enseignants (au moins avec les directeurs) ; il est de la responsabilité de chaque rééducateur de se rendre crédible ; des rencontres enseignants rééducateurs ; interroger les parents et enseignants pour savoir si les aides ont fait évolué leurs regards sur l'enfant ; proposer une information pointue aux I.E.N. , enseignants, conseillers pédagogiques, formateurs IUFM et aux PE stagiaires ; informer les directeurs ; expliquer, dialoguer, se présenter. »’

Cette information peut s’inscrire dans le cadre des réunions statutaires :

‘« Participation systématique au projet d'école; systématiser les réunions de début d'année ; s'inscrire dans le projet d'école ; réunions en début d'année avec I.E.N. et l'équipe: explicitation de notre fonction ; inscrire le travail du RASED dans les projets d'école ; préciser le rôle des R.A.S.E.D. en conférence pédagogique ; inscrire les actions du RASED dans le projet d'école ; clarifier notre rôle en conseils ; favoriser la communication avec les équipes enseignantes. »’ ‘« Former davantage de rééducateurs (2 fois), augmenter les départs en formation, développer le nombre de postes; formation continuée IA indépendante des AREN ; autorisation à participer à des actions hors éducation nationale avec prise en charge des frais ; ne pas fermer les postes de rééducateurs et augmenter le nombre de stagiaires pour remplacer les nombreux collègues qui partiront prochainement à la retraite ; offrir des stages de qualité ; ouvrir davantage de places en formation initiale. »’

Cette attente de formation répond au sentiment de non-reconnaissance de la part des I.E.N. Dans le meilleur des cas, les inspecteurs stagiaires reçoivent une semaine d’information pendant leur stage initial ; seuls ceux qui se destinent à une fonction d’I.E.N.-A.I.S. bénéficieront de neuf semaines de stage. Cette insuffisance pourrait expliquer les incompréhensions entre les I.E.N. et les rééducateurs bien que l’explication soit ailleurs, dans les représentations de la prévention et de l’action rééducative.

‘« Compléter la formation des I.E.N., améliorer la formation des I.E.N. (2 fois), former les I.E.N. et IA aux élèves en difficulté et aux aides rééducatives ; intéresser et impliquer les IEN dans l'évaluation des aides ; mieux former les I.E.N. »’

L’information relative aux aides spécialisées n’est pas abordée en soi dans les plans de formation des maîtres. Par exemple, à l’I.U.F.M. de LYON, elle est effectuée soit au sein des Groupes de Suivi et d’Intégration Professionnelle (G.S.I.P.) conduits par deux formateurs dont un maître formateur en poste dans une école, soit à la demande de stagiaires en deuxième année de formation s’ils souhaitent présenter un mémoire professionnel sur la thématique de l’A.I.S. (environ une dizaine sur une promotion de 400 stagiaires professeurs d’école), soit sous la forme de deux conférences de deux heures (une sur la thématique de l’adaptation et l’autre sur la thématique du handicap). Ainsi, il ne serait pas légitime d’affirmer que l’information et encore moins la formation soient suffisantes. Il est vrai que cette attention aux aides spécialisées ne fait pas partie des urgences des stagiaires qui se concentrent sur la prise en main de la classe. Ce n’est qu’après des stages en responsabilités dans des zones difficiles qu’ils perçoivent cette lacune sans pouvoir toujours obtenir des réponses suffisantes, sauf si leur intérêt les rapproche du centre de formation A.I.S. (c’est le cas des stagiaires qui ont déjà eu des contacts avec des enfants ou des adultes handicapés).

‘« Formation PE vers les élèves en difficulté, développer l'information auprès des PE en formation, stages de formation avec enseignants et rééducateurs, membres du R.A.S.E.D. (2 fois), des formations communes I.E.N. et directeurs ; informer pendant la formation initiale ; présenter la fonction en formation initiale ; des modules spécifiques consacrés au RASED en formation initiale; Information aux PE en formation; informer tous les enseignants dès la FI ; en IUFM, réserver une part importante sur la relation enseignant/enseigné, travail sur le savoir être de l'enseignant des informations destinées aux enseignants de la part des I.E.N. ; mieux former les collègues enseignants. »’

Si une reconnaissance est souvent insuffisante, au moins au yeux des enseignants, c’est aussi celle des rémunérations. Cette formation nécessite des enseignants reconnus et bénéficiant des conditions suffisantes (financières et d’exercice) à la mise en œuvre de leur mission. S’il est inopportun d’engager un débat sur les rémunérations, il reste légitime de préciser les réelles conditions d’exercice des rééducateurs. Rappelons que tous leurs déplacements ne sont pas remboursés et que les affectations en personnel ne couvrent pas tous les besoins. Ce manque crée des dysfonctionnements dans la mise en œuvre des instructions officielles puisque les zones prioritaires des R.A.S.E.D. sont davantage dessinées par les enveloppes budgétaires que par le recueil des besoins. Ainsi, des élèves inscrits dans des classes éloignées ne bénéficient pas des aides auxquelles ils ont droit en tant qu’usager du service public. D’autre part, aucune instruction officielle n’indique de montant financier quant à l’équipement des R.A.S.E.D. Les communes sont donc libres en ce domaine et elles ne sont pas toutes enclines à reconnaître l’importance du maintien et de l’entretien de lieux multiples sur le territoire communal à destination du R.A.S.E.D.

‘« Reconnaître la spécialisation financière aussi ; payer mes indemnités de déplacements à hauteur de celles des ZIL ; donner les moyens matériels et financiers de travailler = reconnaissance par l'administration »’

Les propositions signalent la créativité des rééducateurs. Ils savent que la reconnaissance est le résultat de la volonté d’une personne et que seuls les actes comptent ; il faut donc agir pour la susciter, les paroles ne viennent qu’ensuite.

‘« Systématiser les permanences; reconnaître la fonction par la diffusion d’informations par les I.E.N. et l’IA ; des animations pédagogiques consacrées aux fonctions des membres des R.A.S.E.D. ; davantage de réflexions avec l'institution afin de ne plus se sentir seuls à se définir pour nous faire reconnaître par l'institution ; permettre de penser à l'école; offrir aux enseignants des espaces d'élaboration; des rencontres I.E.N. et formateurs AIS-IUFM; créer des temps d'écoute et d'échange sur les difficultés spécifiques de la rééducation ; organiser des réunions de parents d'élèves. »’ ‘« Siéger au même titre que les orthophonistes dans les instances de réflexion sur le langage à l'école maternelle ; injonctions ministérielles ; harmoniser la dénomination: rééducateur et non maître G ; cesser de nous prendre pour des prestataires de services ou pour le SAMU ; préciser les fonctions et l'identité du rééducateur (le texte de 90 reste trop vague) ; être respectueux des textes ; me nommer par mon nom ; reconnaître la qualité de mon travail sur le terrain ; être félicité pour les actions de prévention ; être reconnu pas la hiérarchie (2) ; définir clairement la profession ; être reconnu par les I.E.N. ; créer ou consolider des groupes de pilotages ; pilotages divers au niveaux académique et de circonscription. ; prouver la reconnaissance statutaire ; soutenir une éthique professionnelle ; reconnaître que la déficience n'explique pas toujours l'échec scolaire ; accepter de ne pas toujours faire de la quantité et de l'éducation de masse dans l'éducation nationale. »’

Les remarques sont principalement dirigées vers l’employeur. Il est attendu des textes qu’ils confirment leur missions, leurs rôles et leur statut. Il semblent qu’il aient été écouté puisque une circulaire récente confirme la volonté ministérielle de reconnaître le rôle des R.A.S.E.D. sans modifier les préconisations du texte de 1990 :

‘« Les principales caractéristiques des aides spécialisées définies dès 1990 restent valables ; c'est ainsi que :’ ‘- les aides spécialisées s'insèrent dans l'ensemble des actions de prévention et de remédiation mises en place par les équipes pédagogiques auxquelles elles ne se substituent en aucune manière, cette articulation requérant une concertation et des collaborations régulières ;’ ‘- les aides spécialisées sont adaptées aux situations particulières ;’ ‘- les interventions se font à l'école, à la différence d'interventions de services ou de professionnels auxquels les familles sont invitées à s'adresser lorsqu'une prise en charge extérieure à l'école semble plus opportune ;’ ‘les effets des aides spécialisées, comme de toute intervention en milieu scolaire, sont évalués. » 561

Les deux processus identitaires nous permettent d’aborder, avec une attention soutenue, la socialisation professionnelle.

Notes
558.

Cf. Annexe 11 : un exemplaire d’un questionnaire renseigné.

559.

DUBAR (Claude), op. cit., 1991, p 114

560.

Cf. Annexe 4

561.

Circulaire du 9 mai 2002 n°2002-113, B.O.E.N. n°19 du 9 mai 2002.