Acquérir une nouvelle identité professionnelle relève d’un travail installant le stagiaire dans un entre-deux inconfortable : « Le moment d’entre-deux qui caractérise le passage d’un code et d’une structure de relation à d’autres codes et à d’autres structures relationnelles est conflictuel et il doit être conflictualisé pour être dépassé. » 650 . Les aides sont recherchées, abandonnées et épuisées :
‘« Ne suis-je pas moi-même dans un position d'entre-deux : plus vraiment institutrice, mais avec certains réflexes dus à de longues années de pratique, pas encore rééducatrice puisque pas suffisamment confrontée à la pratique rééducative,…en formation. » 651 ’ ‘« Cette année de formation représente à la fois un temps de rupture et un temps de découverte : rupture avec le statut d'instituteur, découverte d'un nouveau métier, celui de rééducateur. Chaque stagiaire, et je n'ai pas échappé à la règle, est donc à la recherche d'une nouvelle identité professionnelle. » 652 .’ ‘« Le suivi de cet enfant m'a permis d'intégrer la formation de rééducateur. En début de rééducation, je me torturais l'esprit en me demandant ce que j'avais le droit de faire, ce que je ne devais pas faire ou dire. Aujourd'hui, je sais qu'il s'agit avant tout d'analyser, de repérer mes comportements et de ma questionner sur ce qui a été touché en moi pour que je réagisse ainsi. Progressivement, on se sent traversé par tout le travail théorique que l'on fait et ce travail nous transforme. C'est lui qui va créer une manière d'être particulière avec l'enfant. » 653 ’ ‘« Vivre un changement c'est accepter de quitter une identité, pour se tourner vers l'inconnu. La nécessité d'un travail sur soi, les échanges avec un tiers pour comprendre ce qui se joue, m'ont permis l'appropriation progressive de cette transformation, de cette nouvelle identité. » 654 ’ ‘« Plus institutrice mais pas tout à fait rééducatrice, il me faut continuer ma route et trouver une place au sein d'une équipe avec laquelle je vais devoir travailler. » 655 ’ ‘« Le début de cette année de formation s'est présenté comme une période transitoire : il y a eu un stage en école maternelle où j'ai vu des maîtresses travailler avec des élèves en situation d'apprentissage. J'ai apprécié cette semaine parce que je n'avais pas encore fait le deuil de l'enseignement; j'ai retrouvé sur le terrain tous mes repères professionnels. » 656 ’ ‘« J'ai moi aussi été confronté au renoncement de mon ancien métier, de mon ancienne identité. Les moments d'analyse, les confrontations avec des données théoriques ont peu à peu modifié ma pratique et l'image professionnelle qui avait été la mienne jusqu'à cette année. Ce travail sur soi que demande la formation à la rééducation m'a permis de me découvrir. Les notions théoriques ont pu me servir de cadre pour retrouver une nouvelle identité. J'ai pu, moi aussi, assumer une position dépressive et accéder à la réparation. Je suis entré dans une nouvelle culture, avec des références nouvelles. Pourtant je sais que je dois rester vigilant. Le désir de former était antérieur à ce nouveau désir d'aider l'enfant à se connaître et à changer pour être mieux avec soi et avec les autres. Cette antériorité peut entraîner des regrets, ressurgir à l'occasion. » 657 ’ ‘« En effet, qui suis-je moi-même dans mon identité professionnelle ? Plus vraiment une institutrice, pas vraiment une rééducatrice. En formation, ne suis-je pas là, moi aussi, dans une position d'entre-deux, comme Isaac. Entre deux identités professionnelles : celle de l'institutrice que j'ai été pendant dix années, dans laquelle je me suis affirmée et celle de rééducatrice que je ne connais pas encore très bien. C'est un peu comme si, moi aussi je perdais une dimension familière, pour en adopter une autre, étrangère. » 658 ’ ‘« En même temps que cette adaptation à l'enfant, je prenais conscience des changements qui s'opéraient en moi, dans l'appropriation de ma nouvelle identité professionnelle; passage délicat d'une fonction à une autre : plus vraiment institutrice…pas encore rééducatrice…, un "entre-deux", une transformation qui selon KAËS nous fait "passer d'un code et d'une structure de relation à d'autres codes et d'autres structures relationnelles". » 659 ’Cette acquisition n’est pas seulement théorique et réflexive, elle est aussi portée par la pratique, supposée par l’action.
‘« La créativité dont il s'agit en rééducation, ne se définit pas en terme de technicité ou de projet d'acquisition. Elle se caractérise par l'élaboration d'une démarche, fondée sur une relation intersubjective; l'aire de la créativité étant ce lieu où peuvent dialoguer l'intérieur et l'extérieur de façon à rencontrer ce qui nous arrive, à le faire nôtre, ce lieu d'où peut naître une identité.[…] Pour moi, elle a été l'occasion de comprendre que le travail du rééducateur se situe dans un mouvement dialectique entre l'imaginaire et le réel, la souplesse et la rigueur, l'action et la réflexion, la rencontre et la mise à distance. C'est grâce à ce va-et-vient incessant que s'est tissée une identité professionnelle. » 660 ’Malgré un accueil favorable de la part de futurs collègues, les choix personnels sont à défendre. Changer d’identité professionnelle suppose des mouvements volontaires, des choix coûteux, des investissements nouveaux :
‘« Ce dossier m'a permis d'appréhender les dimensions d'un travail rééducatif, de mesurer l'investissement du rééducateur auprès de chaque enfant. » 661 .’ ‘« J'ai découvert qu'il ne suffisait pas seulement de s'être forgé sa propre identité. Encore faut-il pourvoir la faire comprendre aux autres et la faire respecter. Et là se pose le problème de l'institution scolaire. Le rééducateur est soumis en permanence à se justifier vis-à-vis de l'inspecteur, du psychologue, des instituteurs. Chacun d'eux, soit par méconnaissance, soit par fonction propre à chacun, le confronte à toujours se positionner. […] Alors j'ai réalisé que le rééducateur a un rôle de "tampon". C'est à dire qu'il est amené à recevoir, à écouter, à être l'enjeu de bien des conflits : ceux de l'enfant, des parents, de l'école (institution et collègues). » 662 ’Acquérir une nouvelle identité professionnelle, c’est d’abord lutter contre l’identité acquise afin d’éviter de courir les risques de la confusion ou de l’indécision. La mise en scène de sa pratique est révélatrice de ses qualités professionnelles ; il n’est donc pas aisé de s’exposer :
‘« Après avoir rencontré le personnel de deux G.A.P.P. différents qui opposèrent un refus catégorique à la séance unique de la semaine, les rééducateurs du troisième acceptèrent de m'accueillir, malgré une certaine réticence de la part de la RPM qui craignait de devoir rendre compte, d'être "dérangée" dans ses habitudes de fonctionnement. […] Je fis part de mon souhait de me voir attribuer de préférence, en rééducation psychopédagogique, un enfant de maternelle afin de ne pas me laisser entraîner, dans l'acte rééducatif, vers des activités scolaires, activités d'apprentissage proprement dit, proches de celles que j'avais pratiquées en classe de CP d'adaptation au cours de ces dernières années. » 663 .’ ‘« En effet, construire une autre identité, celle de la rééducation, demande d'abord de :’ ‘Se séparer d'une situation connue jusque-là,’ ‘D'entrer dans un processus de formation inconnu et angoissant,’ ‘D'établir une relation instituée avec un enfant en difficulté, se distancier pour comprendre, revenir à la relation avec l'enfant, puis s'en éloigner encore : instaurer finalement un va-et-vient entre la situation de rééducation et ce qu'elle suscite pour construire peu à peu une identité professionnelle différenciée. » 664 ’KAËS (René), Fantasme et formation, Paris, BORDAS, 1984, p 74.
ETIENNE BOIRON (Chantal), Des regards fondateurs de l'identité, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1994, p 24
HOLLANDE (Nicole), Les limites d'une rééducation, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1994, p 1.
MICHEL (Marielle), Un enfant limité ou un enfant sans limite. Du signalement à l'indication, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1996, p 30.
BOUARD (Alain), Le "Nom dit"…, op. cit., p 34.
RENAULT (Monique), op. cit., 1996, p 38.
MEZINO (Gérard), op. cit., p 33.
FORCOLIN (Alain), op. cit., p 39.
PRON (Catherine), op. cit., p 22.
PLANET (Astrig), op. cit., p 34.
AUDIGIER (Geneviève), op. cit., p 34.
CLARET (Monique), Cheminement d'une rééducation, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1990, p 33.
NEVERS (Marie – Michèle), R comme Réalité Réflexion sur Réseau rural, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1993, p 20.
THIERRY (Alain), op. cit., p 3.
MICOLOD (Catherine), op. cit., p 31.