…sans éviter des remises en cause…

L’élaboration d’une nouvelle identité renvoie tout professionnel à une situation qu’il a vécu dans son enfance. Les situations ne sont pas maîtrisées ; elles suscitent inquiétudes, doutes, interrogations et choix. Quelle qu’en soit l’issue, elle est dérangeante voire traumatisante pour des personnes ne disposant pas d’une confiance en eux suffisante. Un espace intermédiaire s’ouvre pendant le temps de formation laissant toute latitude de jeu aux appréhensions et aux apprentissages, aux révélations et aux angoisses, aux souvenirs aussi, réels ou imaginés. Un sentiment de culpabilité pointe lorsqu’il est avancé que le nouveau métier puisse délivrer du plaisir :

‘« Retrouvais-je en moi, grâce à Maxime, l'enfant que j'avais été, et qui avait eu envie de dévorer, tout en redoutant d'être dévoré à son tour ? » 665 .’ ‘« Si j'ai permis à mon enfant intérieur, curieux et joueur, de s'emparer de la polysémie de co-errance pour titrer ce dossier, c'est aussi que cela reflète ma quête d'une nouvelle identité professionnelle. » 666 ’ ‘« J'ai constaté que les questionnements, les incertitudes sont des phases de rebondissement indispensables et constructives pour progresser dans la compréhension d'une situation. Il est nécessaire pour cela de rester très vigilant face à ses propres incertitudes, être capable de les remettre en cause. C'est ainsi que doit se vivre un rééducateur. Cette recherche perpétuelle dans laquelle il doit évoluer doit permettre, selon moi, de garder une ouverture d'esprit et une capacité d'écoute suffisantes pour apporter une aide aux enfants en difficulté. » 667 ’ ‘« La crise s'instaure dans les deux ruptures auxquelles cette dernière formation m'oblige. Renoncer à mon identité professionnelle [d'institutrice] pour m'en forger une autre, et renoncer à faire référence aux contenus théoriques psychanalytiques, puisque je ne peux pas travailler sur l'inconscient de l'enfant. » 668 ’ ‘« Je construis ma nouvelle identité professionnelle et je reprends confiance. Ce que j’étais : mon objectif d'enseignante était de faire apprendre. […] Pour que le travail puisse se faire, il était nécessaire que je sois maître et reste maître de ma classe. Sur le plan pédagogique et de la discipline, c'est bien moi qui tenais les rênes, et lorsque je les cédais aux enfants pour un moment, c'était sous mon contrôle attentif. Mon désir était qu'ils apprennent. Leur désir devait être celui d'apprendre. […] Le désir du maître est parallèle à celui des parents. L'enfant soumis à cette pression est en demeure de conformer son désir à celui des adultes. Sinon c'est la menace de l'échec scolaire. Ce que je deviens. Mon objectif de rééducatrice est devenu la réalisation de la personne de l'élève. […] Mon objectif est donc aussi que l'enfant se réhabilite dans sa fonction d'élève, puisque les actions d'aides spécialisées à dominante rééducative se font à l'école […]. » 669

Des transactions s’opèrent entre les personnes, les statuts et les histoires personnelles. Les stagiaires avouent apprendre leur métier de l’enfant rééduqué, c’est ce dernier qui permet au rééducateur de devenir ce qu’il est. L’aide apportée à l’enfant comporte, par effet retour, une aide apportée au rééducateur. Les temps de formation ont principalement la vocation à médiatiser ces appréhensions en opérant un détour par les théories et les analyses des expériences vécues :

‘« Après plus de vingt ans de métier d'enseignante, je me retrouvais comme à mes débuts, timide devant l'enfant, ignorante de ce qui allait se passer, me posant mille questions. J'étais à nouveau là pour apprendre. Moi qui pendant toute ma carrière d'enseignante, m'était interrogée sur la façon dont j'allais « apprendre » aux élèves, paradoxalement, j'attendais que cet enfant m'apprenne mon métier. » 670 .’ ‘« Il [Kévin] me faisait découvrir que dans le métier de rééducateur, la relation est primordiale. On travaille avec ce qu'on est à l'intérieur de soi, ses émotions et ses peurs y compris. Dans le métier d'enseignant, la dimension relationnelle n'était pas négligeable mais il y avait toujours la médiation des apprentissages derrière laquelle il était possible de se réfugier.  671 »’ ‘« En ayant choisi d'exposer la rééducation d'Eda, j'ai voulu montrer que ces choix [les choix de vie] peuvent se produire à tout âge et dans différentes circonstances. En effet, pour elle comme pour moi, il s'agit de choix entre deux « cultures » : turque / française pou Eda, pédagogique / rééducative pour moi. » 672 ’ ‘« J'ai le sentiment que cette première expérience de rééducation avec ce petit garçon, fut un temps de reconnaissance - mutuelle et de soi-même -, un temps de co-naissance de deux sujets en quête d'une identité, professionnelle pour ma part, d'enfant-élève pour lui. » 673 ’ ‘« Lorsque j'ai entrepris de me former dans le but de devenir rééducateur (option G), j'étais loin de penser qu'Elise m'aiderait. » 674 ’ ‘« En toute conscience du chemin qui me reste à parcourir, ce travail m'a permis de regarder derrière moi, d'observer et d'essayer d'évaluer les différentes étapes de mon cheminement personnel et de formation professionnelle qui reste indissociable de celui des deux enfants avec lesquels j'ai travaillé durant toute cette période dans le cadre d'une mise en situation de pratique rééducative. Ce parcours n'aurait pas été réalisable sans l'accompagnement des rééducatrices d'accueil et des formatrices. » 675 ’ ‘« Brusquement s'écroulent les repères, encore peu assurés en ce qui concerne les enfants, ou trop bien établis pendant vingt-trois ans d'enseignement en ce qui me concerne. Je n'avais pas la possibilité de me retrancher derrière le groupe classe, aussi difficile qu'il soit de gérer à certains moments; ou encore derrière un programme déterminé et préparé. » 676 ’ ‘« Dès notre rencontre, ALIEN trouve une parole vraie sur la situation qui nous réunit. J'ai l'impression qu'il ma tout de suite acceptée, qu'il va beaucoup m'aider, lui aussi, dans la découverte de mon nouveau métier en étant demandeur, et en attente de l'aide éducatrice. » 677
Notes
665.

DASSING-BLUM (Noémie), Les liaisons dangereuses, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1993, p 21.

666.

ROUVRAY (Sarah), La co-errance, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1996, p 2.

667.

LIOURE (Françoise), op. cit., p 34.

668.

BLANC (Nicole), op. cit., p 19.

669.

Ibid., p 36.

670.

CLARET (Monique), op. cit., p 1.

671.

VERHOVEN (Josette), Allo…ne coupez pas, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1994, p 19.

672.

BRUN (Sylvie), op. cit., p 35.

673.

FARGIER (Muriel), op. cit., 1996, p 35.

674.

GRENIER (Jean Pierre), De A à G. Histoires de changer, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1997, p 0.

675.

LOPEZ (Christiane), op. cit., p 1.

676.

Ibid., p 1.

677.

TRUCHOT (Michèle), op. cit., p 1.