…et sans éviter des affirmations nouvelles.

Le professionnel n’existe que par l’objet qu’il instaure comme sien et légitime et la relation qu’il établit avec ce dernier. « Plus que la méthode, la technique ou la médiation employées, ce qui caractérise la rééducation est ce qui se joue dans la relation entre le rééducateur et l’enfant. » 678 rappelle Yves de LA MONNERAYE.

Paradoxalement, c’est l’enfant qui fait l’éducateur, le rééducateur aussi. Aider un être, c’est aussi s’aider soi-même :

‘«  Dans notre quête d'identité, j'ai souvent fait des parallèles entre le changement d'Elfa et le mien.[…] Quant à moi, la formation que j'ai suivie cette année doit me permettre d'assumer la rupture entre une pratique enseignante centrée sur les apprentissages et une pratique rééducative centrée sur la personne de l'enfant.[…] Cette rupture révèle qu'un état d'union et de continuité vient de cesser. Le dérèglement provoqué s'accompagne du sentiment intense d'une menace pour l'intégrité de soi et pour la continuité de l'existence subjective. L'expérience de la rupture suppose que celle-ci a pu être éprouvée et élaborée, dans un espace transitionnel « trouvé-créé » qui apportera à l'être humain la continuité de l'existence personnelle. Cet espace permettra la transition entre le moi et le non-moi, entre le dedans (par exemple le groupe d'appartenance) et le dehors (le groupe de réception), entre le passé et l'avenir. » 679 ’ ‘« En accompagnant cet enfant dans sa recherche d'identité, j'ai essayé de trouver ma propre identité professionnelle. En le suivant, les innombrables questions qui ont jalonné cette rééducation m'ont donné les moyens d'intégrer cette formation de « rééducateur ». En effet, l'incertitude, le questionnement, ne sont pas des entraves à la compréhension mais plutôt une source d'énergie sans cesse renouvelée. » 680 .’ ‘« Comment à travers mes propres interrogations sur l'identité, ne pas comprendre les difficultés d'un enfant à établir la sienne. C'est ce parcours à deux qui permettra peut-être que nos identités se construisent pas interactions successives. » 681 ’ ‘« Qui a rééduqué l'autre ? Aurais-je envie de dire tant il est vrai que nous avons cheminé chacun dans la compréhension de nous-même. » 682 ’ ‘« Cette expérience avec V. m'a permis de faire la conquête d'une nouvelle identité professionnelle, de passer d'un état à un autre : instituteur - rééducateur. J'ai commencé mon stage après une vingtaine d'années de pratique pédagogique. Le but de mon travail était bien précis : que mes élèves reçoivent un enseignement. Une fois franchie la porte de l'école, l'enfant était élève, c'était comme ça que je l'accueillais et je l'invitais à se cultiver. » 683 ’ ‘« J'avais noté au début de ce dossier que « Tout changement d'un seul élément d'un système fait bouger les autres… ». Je sais, que moi, j'ai changé du moins dans mon identité professionnelle : un peu moins institutrice, un peu plus rééducatrice…M. m'a aidée dans ce passage vers une identité professionnelle et je l'en remercie. » 684 ’ ‘«  Comment Sébastien va-t-il me permettre de découvrir un sens différent aux textes [ceux des R.A.S.E.D.] que j'avais consultés avant de commencer cette année de formation ? » 685 ’ ‘« Aux côtés de Josée, moi aussi j'ai fait du chemin, moi aussi j'ai essayé de trouver du sens, moi aussi j'ai recherché une nouvelle identité. » 686 ’ ‘« Pendant un temps j'ai été effrayé par cette idée que je pouvais prendre la place du père. Il m'a fallu du temps pour assumer ma propre place : ni enseignant ni parent. Et puis, peu à peu j'ai compris le rôle symbolique que j'avais à jouer, celui de tiers séparateur, de parent psychique. » 687

Le travail avec un enfant est aussi un travail sur soi comme le rappelle Yves de LA MONNERAYE : « Un enfant nous touche toujours transférentiellement là où nous sommes fragiles, c’est pourquoi nous avons tout intérêt à être nous-mêmes solidement amarrés symboliquement à un tiers qui peut nous entendre dans ce que nous avons à dire de notre travail : telle est la fonction, en effet, de ce qu’on appelle contrôle. » 688 . Cette particularité du travail rééducatif brouille sa lisibilité institutionnelle 689  ; le rapprochement avec le thérapeute est opéré sans prudence alors qu’il en serait de même pour les enseignants qui souhaitent approfondir leur connaissance de la relation pédagogique en participant à des groupes de contrôle, de supervision, Balint ou de soutien au soutien 690 .

La réussite des actions rééducatives est corrélée à la réussite du changement professionnel ; les enjeux sont puissants, d’autant plus que les actes ne sont pas cachés puisqu’ils sont sous le contrôle d’un rééducateur d’accueil et d’un référent responsable d’option :

‘« En tant que rééducatrice stagiaire, j'ai traversé des moments de doute, d'inquiétude, sur un possible échec de Sylvain qui devenait par ricochet mon propre échec, tout en tenant un cap qui me semblait sérieux alors même que nous empruntions le chemin du jeu. » 691 ’ ‘« Cette réflexion personnelle me permet de mieux comprendre quelles peuvent être les difficultés d'Isaac à s'établir dans son identité. » 692

La nécessaire écoute de l’enfant invite le stagiaire rééducateur à un retournement de posture : il doit accompagner l’enfant, il doit être à ses côtés :

‘« Accompagner quelqu’un, c’est être à ses côtés, là où il se trouve. Accompagner, ce n’est pas réagir, ni intervenir, c’est s’ajuster; ce qui demande une attention permanente à sa propre attitude et notamment une mise en garde contre la fantasme de toute puissance. Accompagner quelqu’un, c’est avoir la conscience qu’il va se passer quelque chose qu’on ne peut pas imaginer d’avance. » 693

L’écoute du rééducateur reprend les principes des groupes d’analyse de la pratique : « Ecouter le sujet pour lui-même, c’est faire le pari que cela l’aidera à se situer lui-même comme sujet dans sa réalité. » 694

Si cette posture n’est pas étrangère à tout enseignant qui veut s’enquérir du système de compréhension de l’élève, elle n’est pas généralement prise dans le quotidien tant l’acquisition des contenus est perçue comme urgente. Ici le rééducateur opère une conversion totale puisqu’il devient dépendant de la volonté de l’enfant jusqu’à espérer être « formé » par lui, c’est à dire être désigné comme rééducateur par lui afin d’instaurer une scène rééducative : « Il y a donc à demander à l’enfant s’il veut engager une rééducation et, si oui, il faut clairement lui dire qu’on accepte de l’écouter » 695 . Pour l’anecdote citons la dédicace de D W WINNICOTT qui remerciait ceux qui l’avaient payé pour lui apprendre son métier 696 . J-J GUILLARME 697 explique que le rééducateur doit apprendre de l’enfant. Il ne saura que ce que cet être singulier voudra lui livrer. L’enfant apprend l’écoute au rééducateur. Cette écoute n’est pas passive et compassionnelle, elle a pour but de créer les conditions nécessaires à la mise en place d’un projet rééducatif. Elle est condition et moyen pour la suite. Il serait appréciable que tout enseignant s’imprègne de cette nécessité de respect de l’enfant, sans cela, l’enfant n’est qu’un objet, soit d’étude soit de production.

Notes
678.

LA MONNERAYE (Yves), op. cit., p 13.

679.

AUDIGIER (Geneviève), op. cit. , p 31.

680.

BONDON (Joëlle), Suivre afin d'être, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1993, p 32.

681.

ETIENNE BOIRON (Chantal), op. cit., non publié, 1994, p 25.

682.

GRENIER (Jean Pierre), op. cit., p 21.

683.

MEZINO (Gérard), op. cit., p 32.

684.

REYMOND-ARSAC (Solange), op. cit., p 29.

685.

GAYET (Nicole), A la recherche d'un sens, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1996, p 2.

686.

POMEL (Simone), op. cit., p 36.

687.

SYDENIER (Pierre), op. cit., p 29.

688.

LA MONNERAYE (Yves de), op. cit., p 98.

689.

Rédacteur M. GOSSOT, Le fonctionnement des RASED, Rapport de l’Inspection Générale de l’Education nationale, 1995.

690.

Extrait de l’article 2 du statut de l’association A.G.S.AS : « La méthode mise en œuvre est celle dite du "Soutien au Soutien" : elle procède d'une adaptation de la méthode Balint en fonction des besoins spécifiques de formation des personnes travaillant dans les domaines indiqués ci-dessus. Dans ce but, elle se propose : - de soutenir les personnes désireuses d'acquérir un autre regard sur l'exercice de leur profession et les problèmes concrets qu'elles rencontrent du fait de l'hétérogénéité de la population scolaire et du fait de l'évolution de la société dans les domaines familial, social et culturel, - d'apporter à ces personnes des méthodes de réflexion et d'action mises au point au travers du fonctionnement de groupes abordant les problèmes sous le double éclairage de l'expérience pédagogique et de l'expérience psychanalytique, en référence aux concepts et méthodes élaborés par Jacques LEVINE, - de rassembler un corpus de témoignages d'expériences diversifiées et représentatives des populations concernées afin de les théoriser et de les diffuser. »

691.

DELHAYE (Muriel), Du rôle d'accompagnateur à celui de médiateur…le cheminement de la formation, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1994, p 1.

692.

PRON (Catherine), op. cit., p 23.

693.

Le BOUËDEC (Guy), « Diriger, suivre, accompagner : au-dessus, derrière, à côté », Cahiers Binet Simon, n°655, 1998, pp 53 à 64.

694.

LA MONNERAYE (Yves de), op. cit., p 186.

695.

.Ibid., p 198.

696.

Bien sûr, la citation exacte doit être comprise au second degré en ce qui concerne le sens du mot « payé » : « A mes patients qui ont payé pour m’instruire ». Bien entendu, au delà du coût financier des consultations, les patients ont du investir la relation thérapeutique avec le psychanalyste et cela leur a « coûté » psychiquement.

697.

GUILLARME (Jean-Jacques), Education et rééducation psychomotrices, Paris, Sermap - Hatier, 1982.