…mais comporte des délimitations.

Tout professionnel a comme premier devoir de définir et délimiter sa fonction, son territoire et ses limites. La mise à nue, pour utile qu’elle soit, rencontre la toute-puissance. Le stagiaire C.A.P.S.A.I.S. doit, tout à la fois, rompre avec son ancien métier qu’il maîtrisait, et tracer les frontières d’un nouveau qu’il ne fait que découvrir. Ce cloisonnement nécessaire à la constitution de son identité lui permet de mettre à jour les confusions. Il n’est pas exclus que cette exigence ne révèle pas une inquiétude quant à sa reconnaissance professionnelle :

‘« Un autre aspect qui ne me semble pas très positif, c'est l'amalgame que peut faire l'enfant entre le rôle d'enseignant et celui de rééducateur et aussi ne plus sentir les limites de l'aide privilégiée qui lui est donnée en rééducation. » 708 .’

La réflexion sur la problématique de l’enfant renvoie le rééducateur à s’interroger sur la sienne lors de son temps de formation. Le travail rééducatif se double d’un travail intime. L’acquisition d’une identité suppose une séparation de la précédente et un temps réservé à la réflexion personnelle. Ce temps de séparation est manifeste lorsqu’il révèle une rupture, une béance pendant ce temps intermédiaire. La formation nouvelle de rééducateur déforme avant de former. Le stagiaire vit une mutation concomitante à l’abandon de sa formation. L’acquisition de la nouvelle identité ne s’effectue pas en empruntant une rampe en pente douce avec franchissement d’étapes pré-établies mais résulte de ruptures, résultats de prise de conscience, preuves d’un processus en cours. Il faut avouer que ces prises de conscience effraient certains par les révélations mises à jour. Ce changement de forme peut relève d’un phénomène sans que l’identité change : HERACLITE avait déjà formulé cette métaphore en expliquant que le changement est phénoménal sans que l’unité de l’être change ; la personne était assimilée à un fleuve identique de sa source à l’embouchure mais toujours changeant dans son déplacement (cette métaphore a été reprise par Hermann HESSE dans le célèbre roman Siddhârta) :

‘« Je vais parler à présent, du moment, qui m'apparaît être le basculement de ma profession d'institutrice vers celle de rééducatrice. Si avec Rémi il devait y avoir séparation, il y avait aussi la mienne propre, d'avec mon passé professionnel. Il était remarquable, que le sujet de mon travail, puisse se mettre en parallèle avec ma propre démarche formative. La relation avec Rémi, l'attitude de recherche et de questionnements sur ses difficultés, me mettaient face à mes propres questions. "Je me déformais en me formant", en acceptant d'être malléable, de me prêter à …une formation exigeante, dérangeante parfois. » 709 ’ ‘« J'ai choisi de travailler ce dossier, au croisement de deux axes : […] Celui de l'évolution personnelle, jalonnée par mes interrogations sur la notion de présence dans la relation d'aide, sur celle de l'engagement et des limites, sur les concepts de vie et de mort omniprésents au cours de ce suivi rééducatif. » 710

René KAËS avait problématisé cette ambiguïté vécu lors du changement identitaire :

‘« Le dilemme auquel se trouve confronté le sujet en formation peut apparaître ainsi : ou bien renoncer à cet idéal pour n’être pas encore davantage déformé, ‑ mais c’est maintenir le moi défaillant ; ou bien maintenir la visée de cet idéal pour y conformer l’image de soi défaillant, ‑ mais c’est rencontrer inévitablement la déception et l’attaque. Dans les deux cas, c’est la pulsion de mort qui triomphe, en rapport étroit avec l’idéalisation narcissique. » 711 .’

La résolution, ou au moins la possibilité de résolution, empruntent une voie difficile ouverte par René KAËS : « L’issue de ce dilemme passe par le travail de la désillusion, et donc par la capacité de l’être en formation d’établir dans la relation formative un champ de l’illusion. Le corollaire de ce processus concerne la capacité du formateur de maintenir une situation formative dans laquelle ce travail puisse s’effectuer. » 712 L’accompagnement du stagiaire par le formateur est décrit plus loin (Cf. « l’acquisition de la nouvelle identité n’est pas une activité solitaire »). Ce conflit psychologique se double d’un conflit socio-culturel : « Le second type de conflit est d’ordre socio-culturel : se former c’est perdre un code social et relationnel, souvent une appartenance de groupe pour tenter d’en acquérir un autre supposé plus adéquat. » 713

‘« Venir en stage c'est déjà perdre tous les points de repères professionnels, rompre avec le "conservatisme" de l'existence, c'est perdre la reconnaissance pour risquer une aventure où tout est projet, incertain, tâtonnement. Cette désinstallation a provoqué en moi l'angoisse, l'inquiétude face au changement. J'ai eu l'impression que tout était à refaire. En me réfugiant dans le choix d'une rééducation fonctionnelle je me défendais contre les risques d'une mutation déstabilisante. Mais la richesse de la relation duelle avec V. a été le moteur de l'évolution vers une identité professionnelle nouvelle et petit à petit j'ai laissé mon ancienne assise, je me suis détaché de mon état précédent, assez difficilement quand même : tentation de changement de lieu de stage, de laisser tomber la rééducation commencée, entretien des contacts avec mes collègues de l'école d'origine. » 714 ’ ‘« La rédaction de ce dossier m'a permis de découvrir d'autres parallèles entre le cheminement de Sébastien et le mien : il était dans l'illusion, je l'ai été aussi parfois quand je recherchais le sens de la rééducation seulement dans des textes. J'espère que la désillusion permettra à Sébastien de se construire des bases qui lui ouvriront les portes de la culture. En ce qui me concerne, je pense qu'elle me permet de construire ma nouvelle identité. » 715
Notes
708.

CLARET (Monique), op. cit., p 1.

709.

FIAULT (Noëlle), op. cit., p 29.

710.

FIORENZANO (Jacqueline), Il était une fois…, Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1994, p 2.

711.

KAËS René, Fantasme et formation, éd. BORDAS, Paris, 1984, p 73.

712.

Ibid., p 73.

713.

KAËS (R), op. cit., p 74.

714.

MEZINO (Gérard), op. cit., p 34.

715.

GAYET (Nicole), op. cit. p 27.