L’identité professionnelle du rééducateur fait référence à une attitude originale chez l’enseignant : la non-maîtrise revendiquée : « L’intérêt, c’est l’écart introduit par rapport à la situation pédagogique traditionnelle. La difficulté réside en ce que l’on suit pas à pas l’enfant plus qu’on le précède : on n’exerce aucune maîtrise sur la situation. » 734 Il en est de même pour la non-directivité :
‘« Difficile à accepter aussi la non-directivité avec laquelle en tant qu'instituteur nous ne sommes pas familiers. » 735 ’ ‘« Changer d'identité professionnelle peut paraître simple à première vue, mais aujourd'hui je me rends compte que cela a été un peu moins facile qu'il n'y paraissait. Il faut renoncer à tout comprendre, à tout maîtriser, à ne rien oublier; à bien faire…En début de rééducation, je me torturais l'esprit en me demandant ce que j'avais le droit de faire, ce que je ne devais pas faire ou dire. Aujourd'hui je sais qu'il s'agit avant tout d'analyser mes ressentis, de repérer mes comportements et de me questionner sur ce qui a été touché en moi. » 736 ’ ‘« Lorsque j'étais institutrice, mon rapport à l'enfant était celui de la maîtrise implicite ou explicite. Dans les séances de rééducation, le jeu de maîtrise s'établit de façon alternée, imprévisible, surprenante. Je m'aperçus alors que je ne possédais plus le code pour gérer ces situations inconfortables. » 737 ’Cette non-maîtrise s’exprime par un refus du savoir total, de la toute puissance ; celle qui enferme et condamne dans le même temps ceux que l’on souhaite aider.
‘« Dans les entretiens avec les familles, le rééducateur ne se situe pas dans le « tout‑savoir ». Il ne place pas les parents dans l'obligation de tout dire. Les silences sont accueillis et respectés. L'objectif est qu'ils comprennent l'intérêt du travail rééducatif et qu'ils soient désireux de revenir. » 738 ’ ‘« En début de rééducation, j'éprouvais des difficultés en me posant sans cesse la question de ce que je pouvais m'autoriser à mettre en œuvre ou de ce que je ne devais pas faire ou dire. Aujourd'hui, je comprends qu'en priorité, il s'agit de bien repérer, analyser mes attitudes, réfléchir sur ce qui se passe en moi et sur ce qui me touche. C'est aussi renoncer à vouloir tout comprendre, tout savoir en imaginant que tout se joue dans la transparence. » 739 ’ ‘« Ce qui me semble difficile, c'est d'avoir cette capacité d'adaptation à chaque enfant ayant des problèmes différents, tout en préservant sa spontanéité, sa capacité d'empathie, son indestructibilité; c'est avoir un rôle de contenant (pôle maternel) pour certains, de conteneur structurant (pôle paternel) pour d'autres. » 740 ’ ‘« Pour conclure ce travail, il me semble important de consacrer quelques lignes à mon évolution personnelle. Cela a été possible grâce au temps de formation théorique et aux deux rééducations dans le cadre de la pratique professionnelle. Il a fallu tout d'abord accepter le changement d'identité professionnelle; cela peut paraître simple à première vus mais aujourd'hui, je me rends compte que cela a été un peu moins facile qu'il n'y semblait. Par exemple, il s'agit de renoncer à la volonté de tout comprendre, de ne rien oublier; j'évoquerais ma tentation de trouver une méthode comme l'enregistrement ou la prise de notes pendant la séance. N'étais-ce pas ce désir de maîtriser une situation, de bien faire ? A ce propos, quand je parle de bien ou de mal cela ne renvoie-t-il pas au faux ou au juste de l'ancienne écolière ? » 741 ’ ‘« Alors, au cours de ce voyage [la rééducation] , j'ai dû abandonner l'idée de "toute puissance" que me conférait le rôle de maître, oser vivre l'insécurité pénible mais créatrice, approcher d'un peu plus près l'humilité et l'authenticité. C'est une œuvre sans fin qui conduit du paraître à l'être. » 742 ’S’il est loisible au rééducateur d’accéder à un grand nombre d’informations, il lui faut ménager une réserve afin de garder la distance nécessaire à l’exercice de sa fonction. Il ne s’agit pas de secrets mais d’une condition de l’exercice de sa fonction de médiateur. Cette distance est partagée avec tout éducateur :
‘« Il n’en demeure pas moins que ce qui caractérise fondamentalement l’attitude de l’enseignant, c’est d’être à distance raisonnable de l’élève et non de le tenir par la main, car c’est la condition indispensable pour qu’il puisse faire lui-même le chemin d’apprendre. » 743 ’ ‘« Les moyens pédagogiques doivent toujours venir au service du maintien de cette distance entre l’élève et le maître, qu’implique la parole. » 744 ’Faire usage de la parole est la garantie d’une distance maintenue ; ce n’est que dans la fusion qu’elle est inutile et dangereuse :
‘« Je pense que le rééducateur doit respecter ce que chacun donne à voir et à entendre, tout en mettant entre parenthèses différentes informations pour rester à l'écoute du sujet et ne pas se laisser gagner pas les inquiétudes de l'environnement. » 745 ’LA MONNERAYE (Yves de), op. cit., p 23.
BRUN (Sylvie), op. cit., p 36.
RENAULT (Monique), op. cit., p 39.
BLANC (Nicole), op. cit., p 2.
BOUARD (Alain), op. cit., p 5.
Ibid., p 34
FILIBERTO (Christian), op. cit., p 31.
TERGNY (Nadia), Un nom sans père, un père sans nom., Mémoire professionnel C.A.P.S.A.I.S. option G, non publié, 1994, p 29.
DROUHET (Jean-Michel), op. cit., p 4.
LA MONNERAYE (Yves de), op. cit., p 19.
Ibid., p 20.
TABOUNTCHIKOFF (Jocelyne), op. cit., p 28.