Citant Jacques LEVINE, Jeannine DUVAL-HERAUDET 766 avance que les rééducateurs « ont fait apparaître un regard sur les enfants en difficulté, très différent, voire contradictoire, de celui que l'école porte sur ces mêmes enfants ». Elle détecte une crainte de l'institution« de voir se distancier la pratique rééducative de la référence pédagogique ». Elle rappelle qu'un enfant qui est en rééducation est un élève qui ne peut tenir son rôle d'apprenant. Il serait donc légitime de parler d'enfant et non d'élève. L'identité professionnelle du rééducateur dépend de cette reconnaissance du statut de l'être qu'il prend en charge.
Jeannine DUVAL-HERAUDET s'attache à rechercher les sens cachés derrière les formules employées dans le discours institutionnel. Elle aspire à ce que l'institution reconnaisse sa création pour ce qu'elle est, c'est à dire que les rééducateurs prennent en charge des enfants et non de élèves. Elle rappelle que la rééducation ne doit pas se satisfaire de faire disparaître le symptôme de la difficulté sous peine de ne rien résoudre et même accroître les causes de l'inadaptation. Selon elle, l'identité professionnelle du rééducateur résulte des problèmes auquel ils se confrontent. Ils ont à se construire une praxis cohérente à partir de plusieurs référents. Il faut donc abandonner l'illusion d'un corps théorique de référence homogène. Elle avance l'idée que les références des rééducateurs sont issues chez le pédagogue qui s'est intéressé aux marges du système (Cf. les limites dans l’analyse des dossiers professionnels). Les références seraient celles des pédagogues qui ont du faire preuve de« créativité pour lutter contre les difficultés de certains enfants ». La rééducation serait un bricolage de principes d'actions pédagogiques et d'un regard thérapeutique comme cela a déjà été évoqué plus haut. La rééducation relèverait de la création. Elle avance l'idée que le rééducateur ne doit pas être aliéné dans le désir de l'Autre (l'institution, l'enseignant, l'enfant) pour être en mesure d'apporter une aide à l'enfant en difficulté. Ainsi, c’est grâce à cette distanciation du désir de l'Autre qu'il est en mesure d'être efficace. Il retire sa légitimité du cadre scolaire où il agit et de sa liberté d'action sous réserve qu'il en soit responsable. Serait-ce cette liberté qui lui est refusée dans les rapports de l'Inspection Générale ? Serait-il un danger ou une chance pour les élèves en difficulté ? Le rééducateur est constamment confronté à l'éthique en raison de sa liberté d'autant plus qu'il n’est ni porteur d'un programme scolaire ni dépositaire d'une technique dépersonnalisée. De par sa position médiane entre pédagogie et soin, le rééducateur permet à l'enfant de dépasser le symptôme de la difficulté scolaire, de se rendre disponible à la culture scolaire et de se reconstruire une identité d'enfant ‑ élève ‑ écolier. Il est donc postulé que sa position institutionnelle d'entre-deux garantit son efficacité à l'image de celle de l'enfant en difficulté. Tout acteur du système éducatif s'adresserait à un statut particulier de l'enfant en fonction du sien propre comme le parent à l'enfant, l'enseignant à l'élève; seul le rééducateur, lui même en position instable pourrait faire passer l'enfant en difficulté vers le statut d'élève. Il y aurait nécessité de rapprochement identitaire pour espérer être efficace.
Les trois corpus que nous venons de parcourir permettent de proposer une métaphore pleine de l’identité professionnelle du rééducateur. Elle sera articulée autour de la notion d’entre-deux.
DUVAL-HERAUDET (Jeannine), "Libre propos," Envie d'école n°11 (1997): p 22-23.