L’entre-deux liminal et chimérique

La seconde métaphore est celle de l’entre‑deux 772 . Nous pourrions emprunter à Charles GARDOU 773 l’usage qu’il fait du concept de liminalité tant la rééducation s’apparente à un rite de passage ou à ce qui est décrit par D. W. WINNICOTT 774 par le concept d’espace potentiel pour tracer soit anthropologiquement soit psychanalytiquement le lieu de la rééducation. Mais ceci nous éloignerait de notre propos du moment. Le rééducateur est entre ces deux continents tutélaires – tantôt protecteurs tantôt dédaigneux ‑ qui le nourrissent et l’attirent. Il puise dans la pédagogie l’objectif final de toute rééducation 775 (Cf. remarques sur la relation rééducative) et utilise certains outils de la thérapie sans craindre de les adapter ‑ les tordre pourraient objecter certains. Cette double source ne constitue pas un gage de confort, même si elle est reconnue et affirmée (assumée aux dires de certains !). Elle n’est qu’une source hétérogène de savoirs. Néanmoins, elle permet de combler la béance du « ni-ni » et donner une consistance à un métier et une fonction. Nous voici face à un entre‑deux plein, mais plein de contradictions, d’oppositions et d’incompatibilités. Ce plein n’est pas synonyme de plénitude, loin s’en faut. Seul, dans la chaleur de sa pratique quotidienne, le rééducateur peut allier les contraires et faire surgir des réussites 776  : les enfants sont aidés au regard de la difficulté ; l’enseignant ou le thérapeute risqueraient de s’engager sur les pentes de l’échec scolaire ou de la normalité ‑ un enfant en rééducation est d’abord un élève en difficulté. Une image de référence a été élaborée par une rééducatrice Jacqueline MARTIN‑HERBERT dans sa thèse de doctorat “ Identité d’une chimère ” 777 . Le plein est comblé en puisant dans plusieurs existants pour créer un monstre. L’auteur n’est pas dupe de cette référence. Elle rapporte aussi le second sens : l’illusion. Serait-ce une quête identitaire sans fin et sans issue ?

Revenons à la chimère. La mythologie est sollicitée, rendons-nous à son chevet. Cet animal fantastique est un hybride composé d’une tête de lion, d’un corps de chèvre qui se prolonge par une queue de dragon. La monstruosité de sa constitution se double d’un pouvoir destructeur : il crache des flammes. L’origine et la disparité des éléments « font pressentir un symbole très complexe de créations imaginaires, issues des profondeurs de l’inconscient et représentant peut-être des désirs que la frustration exaspère et change en source de douleurs. » 778 Cette référence attire l’attention du lecteur vers la frustration et la douleur vécues (ceci n’a été qu’imparfaitement prouvé) par les rééducateurs quand ils expriment le sentiment de non‑reconnaissance à leur encontre de la part de l’institution. Et si l’auteur avait laissé parlé son inconscient en puisant dans ses profondeurs cette métaphore terrible ? Jean CHEVALIER et Alain GHEERBRANT signalent la perversité de la chimère qui utilise la séduction pour détruire ceux qui se livrent à elle. Ne cédons par à cette métaphore monstrueuse, la rééducation n’est pas un raccommodage ou un patchwork, elle est originale. Rappelons au lecteur attentif, que ce monstre, de part sa constitution, est sans un espoir de descendance : la chimère n’engendre pas, elle séduit pour détruire.

Notes
772.

DUVAL-HERAUDET (Jeannine), op. cit.

773.

GARDOU (Charles), Le handicap comme état liminal, Revue Confluences IUFM de LYON, N°8, décembre 1996.

774.

WINNICOTT (D W),op. cit.,

775.

Circulaire n°90-082 du 9 avril 1990 « Ces interventions ont pour objectif, d’une part de favoriser l’ajustement progressif des conduites émotionnelles, corporelles et intellectuelles, l’efficience dans les différents apprentissages et activités proposées par l’école, et d’autre part de restaurer chez l’enfant le désir d’apprendre et l’estime de soi. »

776.

Les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, Inspection Générale de l’éducation nationale rapporteur Bernard GOSSOT, 1996-97, p 45.

777.

MARTIN‑HERBERT (J),op.cit.

778.

CHEVALIER (Jean) et GHEERBRANT (Alain), Dictionnaire des symboles, éd. SEGHERS, Paris, 1969, tome 2 pp 26 et 27.