Les deux métaphores oscillant du vide au plein conduisent immanquablement à la complémentarité. Et si les deux métaphores étaient justes et fausses à la fois ? Comme Jeannine HERAUDET-DUVAL 779 nous avançons que la rééducation est un bricolage de principes d’actions pédagogiques et d’un regard thérapeutique. Une figure double reste à convoquer, celle de JANUS. La mythologie romaine nous présente un dieu ambivalent à deux faces. Il est là pour signifier les transitions et les passages 780 . Il est le dieu romain des portes, celui qui les protège. Il sait voir l’avant et l’après, l’intérieur et l’extérieur et préside à la naissance, aux commencements (débuts du jour et de l’année). Sa double vision est l’image de la vigilance mais celle aussi « d’un impérialisme sans limite » 781 .
Rapprochons les particularités de cette figure du rééducateur. Comme JANUS, le rééducateur associe les deux faces de la métaphore précédente : pédagogie et thérapie. Comme le dieu biface, il se tient sur le seuil des deux théories de l’enfant tantôt élève tantôt enfant mais aussi sur le seuil de la porte de la classe lorsqu’il vient chercher un enfant pour une séance : il manifeste symboliquement qu’il n’est pas « le maître » dans la classe ! Il n’est qu’un passeur entre l’enfant et l’élève, entre l’élève en difficulté et l’enfant réconcilié, entre la pédagogie et l’aide rééducative. De l’ambivalence du dieu, il reprend l’articulation prêtée au couple signifiant / signifié , intérieur / extérieur. S’il note ce qui est agi, il s’interroge sur ce qui est en jeu. Le signifié le guide dans son travail individuel ou en petits groupes et auprès de ses collègues en réunion de synthèse. Le rééducateur s’intéresse à l’histoire de l’enfant afin de projeter un avenir possible : il voit l’avant et l’après, les vécus scolaire et extra-scolaire 782 . De même, il n’est pas rare, à l’occasion d’un entretien, que lui ou l’enseignant associe la rééducation à une sorte de naissance de l’enfant (renaissance ou redémarrage de Jacques LEVINE).
Néanmoins, un risque guette le rééducateur : l’impérialisme de celui qui voit les contraires. Admettons que ce danger de pouvoir n’est pas d’actualité mais pourrait être présent sous forme de fantasme chez les détracteurs ! De plus, la position institutionnelle du rééducateur l’amène à signaler ce qui dysfonctionne dans l’institution, s’attirant les foudres des autres partenaires par sa révélation.
Si l’hypothèse de l’ambivalence en un être double est retenue, il est plus simple de comprendre les critiques dont la rééducation est la cible. Sa situation institutionnelle est assimilable à une position impérialiste sans pouvoir : le rééducateur témoigne du mal-être de certains enfants dans l’institution (il révèle). De même, n’éliminons pas la duplicité qui risque de s’insinuer dans ce positionnement institutionnel. Si cette métaphore permet de remplir l’entre‑deux (l’existence même de la rééducation permet de combler le fossé entre pédagogie et thérapie), elle n’offre aucune garantie quant à une amélioration de l’hétérogénéité théorique de la rééducation.
Si cette dernière métaphore éclaire positivement le débat avec un certain opportunisme, nous avons la conviction qu’elle n’est pas définitive mais seulement propédeutique et modestement prometteuse 783 . La posture du rééducateur dans l’institution n’est plus ici problématique, elle n’est qu’originale, singulière et unique. N’est-ce pas déjà une difficulté dans notre école ? N’est-elle pas nécessaire pour reconnaître et accueillir les difficultés de l’enfant ? Serait-ce le résultat d’une posture impossible comme le sont certains métiers : éduquer, guérir, gouverner ? Etre indispensable n’est ni suffisant ni confortable.
Ainsi, couvet de la figure de JANUS, nous pourrions soumettre l’idée que le rééducateur est une métaphore de l’enfant en difficulté à l’école. Comme lui, il n’est pas ou mal reconnu. Comme lui, il se situe dans l’entre-deux (école et non école). Comme lui, il est traversé de désirs ambivalents (rester ou fuir). Comme lui, il met en contact des logiques différentes ou opposées (apprendre ou somatiser). Comme lui, il aspire à une école davantage respectueuse des êtres , adultes et enfants confondus.
HER AUDET (Jeannine), « Un mythe de SISYPHE », Envie d’école n°13, janvier 1998.
CHEVALIER (Jean) et GHEERBRANT (Alain), op.cit, tome 3 page 67
Ibid., tome 3 page 67.
LEVINE (Jacques), En quoi le soutien est-il une relation humanisante ?, Envie d’école n°14, avril 1998
Dans sa seconde postface de la réédition de « La parole rééducative » en 1999, Yves de LA MONNERAYE écrit : « Le rééducateur est à la croisée de deux constructions dont il est le garant : l’institution rééducative établie entre adultes et la rééducation qu’il conduit avec l’enfant » page 268.