Conclusion générale

En toute logique, la conclusion générale nous conduit à nous interroger sur les conséquences de la situation actuelle de la rééducation dans l’école et sur les effets prévisibles de l’absence de reconnaissance des rééducateurs.

La notion d’entre-deux a été rencontrée à de nombreuses occasions autant dans la définition de la rééducation que dans la description de l’identité professionnelle du rééducateur. Si la présence de cette notion facilite la compréhension, elle n’élimine pas les difficultés ‑ le contraire a été montré. Le bricolage théorique, caractérisant la rééducation, situe cette pratique dans un espace intermédiaire entre pédagogie et psychologie. L’identité professionnelle reprend cette position médiane comme illustration de l’état de l’enfant en difficulté à l’école. Nous avons développé les avantages de cette situation alliant inscription interne dans l’institution scolaire et distanciation vis-à-vis des partenaires et de leurs désirs. La situation d’entre-deux définit une originalité professionnelle à porter au crédit de la créativité institutionnelle de l’école. Le maintien de ce positionnement, bien qu’inconfortable, a été décrit comme moteur chez le rééducateur. La figure de JANUS, allégorie du médiateur, dessine la condition du rééducateur. Hélas, le crédit de la rééducation et des rééducateurs ne s’en trouve pas augmenté.

Rééducation et rééducateur sont maintenus dans une position liminale 789 qui provoque une dévalorisation de la profession et de l’identité professionnelle des rééducateurs. L’analyse des rapports d’enquête (Inspection Générale, DUCOING et MINGAT) et l’absence de réponse des I.E.N. contribue à maintenir une inquiétude sur la rééducation. Son abord difficile suscite crainte et refus. Néanmoins, son élimination ferait peser une importante hypothèque sur la fonction démocratisante de l’école. Comme nous l’avons montré, les élèves qui bénéficient d’une aide rééducative ne pourraient trouver de soutien adapté en dehors de ce cadre. Imposer une prise en charge pédagogique aux rééducateurs reviendrait à annuler leur originalité. Si tel était le cas, la formation C.A.P.S.A.I.S. G serait à supprimer. Le R.A.S.E.D. se limiterait à des psychologues scolaires et des maîtres C.A.P.S.A.I.S. E. Nous devons reconnaître que l’économie réalisée serait appréciable si les effets sont ignorés. Cette inquiétude n’est pas supportée par les rééducateurs qui fuient la fonction, leur contrat triennal atteint. Les conditions d’exercice étant trop difficiles, ils préfèrent partir. Nous pensons que le problème des frais de déplacements ne résistera pas à une solution.

Bien que l’enquête menée auprès des rééducateurs du département du Rhône n’a pas permis de le démontrer, nous persistons à craindre que la non-reconnaissance des rééducateurs engagent certains dans une névrose de classe : ils ne disposeraient pas suffisamment d’indices d’identification au sein de l’institution scolaire. Vincent de GAULEJAC 790 a inventé ce concept afin d’expliquer la souffrance de personnes qui subissent des déclassements soit en accédant à une classe supérieur dans la hiérarchie sociale soit en étant relégué dans une classe inférieure :

‘« La névrose de classe se caractérise par des conflits d’identifications qui s’opèrent à un niveau intrapsychique dans des tensions entre instances (Moi - Idéal du Moi - Surmoi), tensions qui sont d’autant plus fortes qu’elles sont liées à un déplacement social entre deux positions conflictuelles, conflit produit par des antagonismes sociaux qui se développent entre certains groupes, certaines classes, certaines ethnies à des moments historiques particuliers. » 791

D’une part, le sentiment de honte les torture. D’autre part, il n’est pas exclus que ces personnes subissent un déplacement du problème comme c’est le cas des personnes pauvres qui, sollicitant une aide financière d’urgence, sont fortement incitées à accepter une aide psychologique : « Ce déplacement de l’externe à l’interne, du social au psychique, de l’objectif au subjectif, est une des causes de l’intériorisation d’une image négative. » 792 Si tel est le cas, la personne victime d’un abandon social est renvoyée à elle-même comme si elle était la cause de son malheur. L’aide psychologique détourne l’attention sans apporter une aide efficace, elle est instrumentée. Ce phénomène du déplacement apporte des pistes d’explication lorsque les rééducateurs sont assimilés aux personnes qu’elles aident. La mise en place d’entretiens approfondis pourrait permettre de découvrir les incidences psychologiques de la non-reconnaissance des rééducateurs. Nous regrettons que les réponses mitigées apportées à l’enquête par voie de questionnaire ne nous ont pas permis d’engager cette recherche.

Une clarification des textes officiels relatifs à la rééducation en nommant explicitement les rééducateurs constituerait un début de reconnaissance symbolique. Le Ministère de l’Education Nationale pourrait, sans mettre en péril les budgets nationaux, promouvoir davantage la rééducation et les rééducateurs. Un surcroît d’information serait d’un grand effet auprès des I.E.N. et des enseignants stagiaires en I.U.F.M.

Enfin, nous pensons qu’il est impératif de centrer la formation C.A.P.S.A.I.S. G autour de la dualité janusienne qui caractérise l’identité professionnelle du rééducateur. Les stagiaires, informés et formés à cette posture originale, sauront, dans un espace institutionnel reconnu, faire bénéficier les élèves et l’institution de leur regard unique.

La rééducation, en s’attardant sur les échecs de l’école (échec des élèves, partenariats déficients, enseignants et parents débordés, conflits de pouvoir entre les personnes ou les services, etc.) est un analyseur du fonctionnement institutionnel de l’école. Elle montre que l’enfant accueilli à l’école est réduit à un rôle d’élève performant. S’il échoue ou éprouve des difficultés, il risque la marginalisation. De par son existence, la rééducation augmente la tolérance de l’école en maintenant dans ses murs des élèves afin de leur prodiguer une aide. Elle montre que l’institution sait être créative. Sa présence garantie une diversité des regards portés sur l’élève. Elle est un interstice dans la vie scolaire d’un enfant. Pendant le temps rééducatif, l’élève peut opérer des retours sur lui-même et sur ses actes. Un abandon de ce temps nécessaire à certains rendrait l’école aveugle et sourde aux besoins des plus démunis. L’espace rééducatif permet de mettre en évidence ce qui ne fonctionne pas chez certains et de rechercher des solutions afin que le reste que constitue l’échec scolaire n’intoxique pas l’institution scolaire.

Souhaitons que le Ministère de l’Education Nationale ne renie pas cette création surtout lorsqu’elle est aussi originale. La rééducation contribue à réaliser le principe de la Loi d’Orientation sur l’éducation de 1989 : « Mettre l’élève au centre du système éducatif ». Les rééducateurs apportent leur concours d’une façon originale et irremplaçable.

Notes
789.

TURNER (Victor), Le phénomène rituel, Paris, PUF, 1990

790.

GAULEJAC (Vincent de), La névrose de classe, Paris, éd. Hommes et groupes, 1987

791.

Ibid., p 182.

792.

GAULEJAC (Vincent de), Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p 117.