3.2 Répartition des gaz

Les gaz n'ont pas de forme propre, ils adoptent la forme du récipient qui les contient. Cette propriété est liée au fait que les gaz sont expansibles, c'est-à-dire qu'ils occupent tout l'espace dont ils disposent. Bien que cette répartition homogène ne semble pas poser de problème aux élèves lorsque qu'un gaz est enfermé dans une enceinte (Séré 1985), il semble que cela soit plus difficile lorsque des actions sont exercées sur cette enceinte. En effet, pour un nombre conséquent d'élèves, les gaz seront concentrés à certains endroits (Novick et Nussbaum 1978), notamment lorsque l'enceinte est chauffée (Séré 1985), refroidie (Noh & Scharmann 1997 ; Niaz 2000), compressée (Chomat, Larcher & Méheut 1988) ou lorsque l'on enlève du gaz de cette enceinte (Benson, Wittrock & Baur 1993). De plus, il semble que lorsque l'on mélange deux gaz, leur répartition ne soit pas homogène pour certains élèves (Barlet & Plouin 1997). L'ensemble de ces travaux nous permet de faire émerger, que pour les élèves, la répartition des gaz n'est pas homogène et que cette répartition semble dépendre des situations. Nous avons décidé de tester la répartition du gaz pour les élèves, à travers quatre questions. Chacune d'entre elles demande aux élèves, de représenter du gaz dans une enceinte fermée. La première situation fait diminuer la quantité d'air dans un ballon de foot, la seconde augmente la température de l'air dans un ballon posé sur une bouteille en fer, la troisième met en jeu de l'air dans une pompe à vélo sans action sur le piston ainsi que lorsque l'on appuie dessus et la dernière situation présente différents gaz dans des ballons. Voici, les quatre énoncés des questions (le numéro avant chaque énoncé correspond au numéro de la question dans le questionnaire) :

Dans l'ensemble de ces situations, il est possible de représenter le gaz, soit par un ensemble continu (niveau macroscopique) soit par des traits discontinus (niveau microscopique). Les dessins suivants illustrent le fait que le gaz se répartit partout. Ces représentations sont ‘«’ ‘acceptables’» du point de vue du savoir à enseigner pour le niveau macroscopique (figure 5.5) et pour le niveau microscopique (figure 5.6) :

Figure 5.5 : Représentations du gaz au niveau macroscopique dans différentes situations
Figure 5.5 : Représentations du gaz au niveau macroscopique dans différentes situations
Figure 5.6 : Représentations microscopiques du gaz dans différentes situations
Figure 5.6 : Représentations microscopiques du gaz dans différentes situations

Cependant on trouve un certain nombre de dessins d'élèves, qui représentent le gaz comme étant seulement à un endroit. Nous donnons plusieurs exemples de ce type de représentation (figure 5.7).

Figure 5.7 : Dessin des élèves représentant le gaz comme réparti seulement à un endroit
Figure 5.7 : Dessin des élèves représentant le gaz comme réparti seulement à un endroit

Nous présentons maintenant un graphique dans lequel nous avons regroupé pour chaque situation d'un côté l'ensemble des dessins représentant le gaz réparti partout (catégorie de partout sur le graphe) et de l'autre ceux qui représentent le gaz seulement à un endroit (catégorie à un endroit sur le graphique). La colonne ballon + bouteille correspond à la situation, où l'on chauffe une bouteille avec un ballon de baudruche dessus.

Figure 5.8 : Évolutions du pourcentage de dessin représentant le gaz de
Figure 5.8 : Évolutions du pourcentage de dessin représentant le gaz de partout et à un endroit

Ce graphique montre qu'avant l'enseignement en moyenne 30 % des dessins ne représentent pas le gaz comme étant réparti de manière homogène. Il apparaît que, à la suite de l'enseignement, ce nombre diminue jusqu'à environ 15 %. Il est intéressant de remarquer que cette répartition ‘«’ ‘plus à un endroit’» n'est pas faite au hasard. En effet, pour la situation du ballon de football, on trouve que, dans la plupart de ces réponses, la représentation de l'air est concentrée au centre du ballon (figure 5.9).

Figure 5.9 : Représentation de l'air réparti au centre d'un ballon de football un peu dégonflé (au niveau macroscopique et microscopique)
Figure 5.9 : Représentation de l'air réparti au centre d'un ballon de football un peu dégonflé (au niveau macroscopique et microscopique)

Cette représentation permet d'expliquer, du point de vue des élèves, pourquoi les parois du ballon sont plus molles. En effet, on trouve parmi les réponses des élèves donnant ce type de représentation, les explications suivantes : ‘«’ ‘lorsque l'on appuie sur le ballon. On met la main sur du vide. Elle s'enfonce’ .»ou ‘«’ ‘parce que le gaz ne touche pas les parois du ballon, parce qu'il est moins dense’ ‘»’ ou encore ‘«’ ‘Comme l'air ne remplit plus tout l'espace disponible lorsque l'on appuie sur le ballon, cet endroit est mou, il s'enfonce’» (les citations d'élèves sont données telles quelles, sans modification ou correction de l'orthographe). Ce type de d'explications ne prend pas en compte le caractère expansible des gaz, et considère que lorsque l'on appuie sur le ballon, la paroi va se déformer jusqu'à ce que l'on touche l'air.

De même, dans la situation du ballon de baudruche posé sur une bouteille que l'on chauffe, l'air est représenté majoritairement en haut (figure 5.10). De plus, on trouve sur 35 % des dessins réalisés avant l'enseignement une flèche allant vers le haut.

Figure 5.10 : Répartition de l'air chaud dans un ballon de baudruche (au niveau macroscopique et microscopique)
Figure 5.10 : Répartition de l'air chaud dans un ballon de baudruche (au niveau macroscopique et microscopique)

Dans ce cas encore, le gaz se répartit à l'endroit où se passe l'action. En effet, dans cette situation l'air ira dans le ballon (lieu où se déroule l'action) pour le gonfler. Ce type de représentation illustre la conception l'air chaud monte déjà identifiée par Séré (1985).

On retrouve ce type de représentations dans la situation de la pompe à vélo (figure 5.11). Comme nous le verrons par la suite (voir les résultats sur l'action des gaz), de nombreux élèves pensent que l'air agira plus sur l'une des parois se trouvant dans la direction du mouvement du piston. Là encore, le gaz se répartira à l'endroit où se déroule l'action.

Figure 5.11 : Représentation du gaz plus à en endroit en fonction de l'action du gaz
Figure 5.11 : Représentation du gaz plus à en endroit en fonction de l'action du gaz

Cependant à la suite de l'enseignement, les dessins représentant le gaz, uniquement à un endroit de la pompe à vélo, ne sont presque plus proposés par les élèves (inférieur à 5 %). En revanche, on voit augmenter le nombre de dessins où le gaz est représenté par des traits discontinus qui se touchent (figure 5.12).

Figure 5.12 : Représentation du gaz par des traits discontinus qui se touchent
Figure 5.12 : Représentation du gaz par des traits discontinus qui se touchent

Ce type de dessins illustre le comportement que les élèves attribuent aux molécules. En effet, le fait que les molécules se touchent leur permet d'expliquer pourquoi lorsque l'on comprime de l'air dans une pompe à vélo, il est impossible de pousser le piston jusqu'au bout. Cette idée (les molécules se touchent), bien qu'inexacte du point de vue de la physique, permet d'expliquer un certain nombre de situations, particulièrement celles mettant en jeu une compression. La figure 5.13, montre, entre autres, l'évolution de cette représentation à la suite de l'enseignement.

Figure 5.13 : Évolution de la répartition du gaz dans la situation de la pompe à vélo
Figure 5.13 : Évolution de la répartition du gaz dans la situation de la pompe à vélo

Ce graphique montre qu'après l'enseignement les dessins représentant le gaz à un endroit particulier diminuent (jusqu'à environ 4 %). Cependant, parallèlement le nombre de dessins représentant l'air par des traits discontinus qui se touchent, augmente jusqu'à un peu plus de 10 %. On retrouve cette augmentation dans les trois autres situations, mais en très faible quantité (voir les tableaux de résultats sur la répartition dans l'annexe de l'analyse globale). Cette augmentation à la suite de l'enseignement est assez surprenante, car elle ne va pas dans le sens de la physique. Cependant, elle témoigne d'un début d'appropriation du modèle microscopique, puisqu'elle utilise le fait que les molécules ne se déforment pas.

Dans la situation des quatre ballons remplis de gaz différents, on retrouve encore des dessins représentant la répartition des gaz à certains endroits. Ici encore, cette répartition n'est pas faite au hasard. En effet, la plupart des dessins représentent l'hélium en haut (15 % avant l'enseignement). Concernant les autres gaz, on trouve en plus faible quantité des représentations où l'hydrogène et le gaz carbonique sont en bas (1 %) ou encore que les gaz sont plus au centre (5 % avant l'enseignement). La figure 5.14 illustre ces différents types de représentations :

Figure 5.14 : Représentation de différents gaz dans les quatre ballons de baudruche
Figure 5.14 : Représentation de différents gaz dans les quatre ballons de baudruche

La représentation de l'hélium en haut peut être interprétée par le fait que les élèves attribuent des propriétés macroscopiques (dans notre cas, celle de faire monter les objets) aux objets microscopiques. Ce raisonnement a été mis en évidence par plusieurs travaux didactiques sur les gaz (notamment Novick & Nussbaum 1978 ; Brook, Briggs & Driver 1984 ; Méheut & Chomat 1990). Cependant un certain nombre de dessins représentent l'hélium comme un ensemble continu réparti en haut (figure 5.15).

Figure 5.15 : Représentation de l'hélium comme un ensemble continu
Figure 5.15 : Représentation de l'hélium comme un ensemble continu

Ces dessins montrent que la propriété de l'hélium à faire monter certains objets, ne s'applique pas seulement au niveau microscopique, mais aussi au niveau macroscopique. C'est pourquoi nous interprétons ces représentations par le fait que la répartion du gaz est plus dense là où il agit. C'est-à-dire que l'hélium se situe plus en haut, car, pour les élèves, c'est là qu'il pousse sur les parois pour les élèves. Cette interprétation fonctionne aussi pour les représentations du gaz carbonique vers le bas, car un ballon que l'on a gonflé en soufflant dedans tombe. Il est possible que, pour les élèves, le gaz carbonique agisse vers le bas pour faire tomber le ballon.

Nous avons vu que pour chacune des situations, on trouve essentiellement deux types de représentation des gaz (partout et à un endroit). À travers ces deux groupes de représentations, deux points de vue s'opposent, la première est que le gaz se répartit partout et la seconde est que le gaz se répartit seulement à un endroit et que cet endroit est lié à l'action du gaz. Au cours de la séquence d'enseignement, les élèves doivent utiliser le modèle microscopique, qui spécifie que ‘«’ ‘les molécules se répartissent dans tout le volume qui leur est offert’ ‘»’. Ceci renforce le fait que les gaz se répartissent partout et comme nous l'avons vu dans la figure 5.8, on constate une forte évolution des représentations allant dans ce sens. Cependant, à l'intérieur des dessins représentant le gaz partout, on trouve des représentations où le gaz à une répartition inhomogène. Ainsi, les élèves utilisent simultanément le fait que le gaz est réparti partout, et qu'il est plus à un endroit. Comme le montre la figure 5.16, ce type de représentation existe aux niveaux macroscopique et microscopique.

Figure 5.16 : Représentations macroscopiques et microscopiques de la répartition inhomogène du gaz dans les quatre situations
Figure 5.16 : Représentations macroscopiques et microscopiques de la répartition inhomogène du gaz dans les quatre situations

Ce type de représentation témoigne de la construction par les élèves d'une explication adoptant simultanément deux points de vue contradictoires (le gaz se répartit à un endroit, et le gaz se répartit partout). Ce type de construction a été observé par Vosniadou (1994) chez de jeunes enfants à propos de l'acquisition du modèle sphérique de la terre. Elle montre que les élèves construisent un modèle synthétique qui utilise simultanément le fait que la Terre est plate et le fait qu'elle est sphérique. On trouve notamment que la Terre est une sphère aplatie sur le dessus (Vosniadou 1994, p.53). Ces résultats ont été retrouvés chez des étudiants à l'université à propos du modèle quantique de l'atome (Petri & Niedderer 1998). La figure 5.17 montre le nombre de réponses utilisant une représentation inhomogène des gaz.

Figure 5.17 : Évolution des représentations inhomogènes des gaz dans différentes situations
Figure 5.17 : Évolution des représentations inhomogènes des gaz dans différentes situations

Les pourcentages d'élèves utilisant ce type de représentation est très faible et cette évolution ne semble pas significative pour trois situations (ballon de foot, pompe à vélo et 4 ballons remplis de gaz différents). Cependant, ce graphique montre que dans la situation où l'on chauffe un ballon de baudruche, les représentations inhomogènes existent avant enseignement (6 %) et qu'elles augmentent de presque 10 % après l'enseignement. Cette évolution est trop faible pour être considérée comme significative. Cependant, nous pensons qu'elle est liée à l'enseignement sur les gaz et qu'elle peut être envisagée comme un début d'acquisition du modèle particulaire par les élèves.

En résumé, il apparaît qu'avant l'enseignement, dans les quatre situations, le gaz ne se répartit pas partout pour environ 30 % des représentations des élèves et qu'à la suite de l'enseignement ce pourcentage augmente jusqu'à environ de 15% .De plus, nos résultats montrent que la répartition des gaz semble dépendre de l'endroit où le gaz agit. Ainsi, le gaz se répartira : (a) au centre du ballon de foot que l'on dégonfle, (b) uniquement dans le ballon de baudruche posé sur une bouteille en fer que l'on chauffe, (c) sur l'une des parois se trouvant dans la direction du mouvement du piston d'une seringue et (d) en haut pour l'hélium contenu dans un ballon de baudruche. Deux types de représentations semblent émerger à la suite de l'enseignement sur les gaz. Bien qu'ils concernent un nombre très faible d'élèves, il semble que chacune de ces représentations utilise certaines règles du modèle microscopique :