3.2.1. Évolution de la notion de quantité au cours du TP1 : le lien entre la quantité et le volume

Au cours de l'activité 1, qui demande de manipuler une seringue, Anne utilise à plusieurs reprises, que la quantité varie lorsque le volume varie, c'est-à-dire que si on augmente le volume d'une seringue bouchée la quantité d'air contenu dedans va augmenter (Vaug Qaug). Nous donnons à titre d'exemple, un extrait dans lequel Anne utilise ce raisonnement (tableau 7.33)

Tableau 7.33 : Extrait d'une discussion dans la quelle Anne utilise l'idée V aug  Q aug
Temps Question Description Transcription Idées
Partie 1 Activité 1 question 1.
Enfermer de l'air dans la seringue (situation 1). Faire un schéma
00:06:28:00 P1A1Q1 A & E parlent d'enfermer de l'air
A manipule la seringue
A : là juste en faisant ça ( A bouche la seringue )/ là t'enfermes de l'air là dedans/ t'es d'accord
E : ouais
A : donc en tirant/ après (A tire sur le piston en bouchant la seringue) c'est juste une question de pression je pense/ et t'sais là la quantité elle sera plus grande
A bouche = enfermer de l'air





A Vaug Qaug


Anne utilise le mot quantité dans son explication et il nous semble important de s'interroger sur le sens qu'elle lui donne. En effet, si elle considère ce mot comme un synonyme du volume, il est tout à fait normal que la quantité d'air augmente lorsque le volume de la seringue augmente, puisque ces deux mots désignent la même chose. L'explication qu'Anne donne dans l'extrait est trop courte pour pouvoir attribuer une quelconque signification au mot quantité. Cependant, dans la suite de la question 1 (voir la transcription du TP1 de 8m 27s jusqu'à 8m 46s, dans l'annexe de l'analyse fine pendant), Anne explique que ‘«’ ‘au moment où tu bouches ’ ‘(la seringue’ ‘) là t'enfermes un un une quantité d'air’», cette utilisation du mot quantité est relativement proche de la définition de la physique. De plus, comme nous le verrons par la suite Anne fait clairement la différence entre la quantité et le volume (voir tableau 7.34).

Dans l'extrait ci-dessus, Anne explique que lorsque l'on tire sur le piston d'une seringue bouchée la quantité d'air augmente. Dans cette explication Anne établit un lien entre l'augmentation du volume de la seringue et l'augmentation de la quantité (idée Vaug Q aug). Ce lien n'est pas correct du point de vue du savoir enseigné. En effet, lorsque l'on fait varier le volume d'une seringue bouchée la quantité d'air ne varie pas. L'utilisation de l'idée Vaug Q aug peut être interprétée de plusieurs façons : soit Anne n'a pas encore construit le fait qu'une seringue bouchée est étanche et elle considère que l'air peut traverser les parois, soit elle applique à l'air une propriété qui n'est valable que pour les solides, c'est-à-dire que si son volume augmente, sa quantité augmente aussi. L'explication d'Anne ne nous permet pas de savoir laquelle de ces interprétations est la plus proche de ce qu'elle veut dire.

Au cours de la question 3, Anne utilise un lien similaire entre la quantité et le volume. En effet, elle explique que lorsque l'on appuie sur le piston d'une seringue bouchée, la quantité d'air diminue (idée V dim Q dim). Au cours de cette question, Anne utilise ce lien à plusieurs reprises.

Comme nous l'avons déjà signalé, Anne considère que la quantité d'air relève du niveau microscopique, puisqu'on ne peut pas la voir directement (voir notre analyse sur l'évolution du sens donné au mot macroscopique), et qu'elle diminue lorsque le volume de la seringue diminue. C'est précisément, en essayant de répondre à la question 3 en se plaçant au niveau microscopique, que le lien entre la quantité et le volume va évoluer (tableau 7.33).

Tableau 7.34 : Discussion entre Anne et Ellen à propos de la question 3
Temps Question Description Transcription Idées
Partie 1 Activité 1 Question
1. Enfermer de l'air dans la seringue (situation 1). Faire un schéma
2. En gardant l'air enfermé, appuyer sur le piston (situation 2). Faire un nouveau schéma.
3. En se plaçant au niveau microscopique, indiquer par écrit ce qui a changé pour l'air et ce qui n'a pas changé, entre les deux situations.
Faire de même en se plaçant au niveau macroscopique.
00:13:51:00 P1A1 Q3
micro
A & E discutent de ce qui
change micro

A : microscopique/ y’a déjà la/ y'a y’a moins lon- une plus petite quantité d'air
E : ouais
A : t'es d'accord
E : ouais j'pense
A : (5s) c'est ça qu'a changé/


A Vdim Qdim
00:14:05:06   A & E discutent de ce qui change pas micro
A manipule la seringue
A : et ce qui a pas changé/ bah(1s) j'pense que
E : ben c'qui n'a pas changé/ ben y'a toujours l'air dedans (E montre la seringue)/ l'air est toujours dedans (E montre la seringue)
A : ouais/ mais/ on peut pas dire qu'y a une qu- (1s) y'a pas une plus petite non regardes y'a pas une plus petite pression(1s) une plus petite quantité on en sait rien ça/ l'air/ non/ c'qu'on voit












La première partie (13m 51s) de cet extrait montre qu'Anne considère que la quantité d'air contenu dans la seringue est plus petite lorsque l'on appuie sur le piston de la seringue. Dans la seconde partie (14 m 05s) de cet extrait, Ellen dit que lorsque l'on appuie sur le piston l'air est toujours dans la seringue, c'est-à-dire que sa quantité ne varie pas. Cette remarque semble faire changer d'avis Anne, qui malgré de nombreuses hésitations dans la construction de ses phrases va finalement réussir à dire que la quantité d'air n'est pas plus petite. Ces nombreuses hésitations semblent témoigner qu'Anne est en pleine réflexion. Nous pensons que c'est au cours de cette réflexion qu'elle commence à construire un nouveau lien entre la quantité et le volume. Son explication est interrompue par l'enseignante qui définit à la classe le niveau macroscopique et le niveau microscopique (Tableau 7.35).

Tableau 7.35 : Évolution du lien entre la quantité et le volume.
Temps Question Description Transcription Idée
00:14:32:00   Prof parle à la classe Prof à la classe : pour thomas et compagnie le niveau macroscopique c'est le niveau qui est à notre échelle/ c'est des choses que vous pouvez percevoir directement/ voir sentir toucher/ d'accord/ le niveau microscopique/ c'est le niveau qui concerne les molécules  
00:14:49:00   A & E discutent de ce qui change pas micro
A manipule la seringue
A : et ben que les molécules/ ben regarde/ si j'fais ça ( A pousse sur le piston en bouchant la seringue )/ et là il y a toujours la même quantité d'air sauf qu'elle est plus compressée


A Vdim Q id

A air compressée

Cet extrait montre que suite à l'explication de l'enseignante à la classe, Anne établit que la quantité reste identique lorsque l'on diminue le volume de la seringue fermée (idée Vdim Q id). Anne ne parle pas explicitement du volume, cependant le fait d'appuyer sur le piston d'une seringue bouchée, revient à diminuer son volume. Cette évolution est interprétée par l'établissement d'un nouveau lien entre deux idées. Les causes responsables de cette évolution sont nombreuses et diverses, il nous est impossible de les identifier avec certitude. Cependant, nous pensons que la remarque d'Ellen a joué un rôle important, car finalement Anne reprend l'idée que la quantité d'air ne varie pas. De plus, nous pensons que le fait qu'Anne soit en train de manipuler a probablement joué un rôle. Cependant les explications d'Anne ne nous permettent pas de préciser lequel.

Il est intéressant de voir que, dans la suite de cette question, Anne explique à Ellen que le volume change mais pas la quantité (tableau 7.36).

Tableau 7.36 : Anne explique la différence entre la quantité et le volume
Temps Question Description Transcription Idées
00:18:41:00 P1A1Q3 micro A & E discutent de ce qui a changé
A manipule la seringue
E : ce qui a changé
A : (3s, A écrit) euh/ la la(1s) ben j'sais pas/ la quantité d'air eu::h/ pas la quantité comment dire/ le volume d'air
E : moi je dirai qu'il est toujours pareil hein
A : (3s) non/ si tu fais ça(A bouche la seringue avec son doigt)/ là t'as un volume de dix par exemple/ là t'as un volume de dix/ t'as un volume t'as pas une quantité/ là t'as une volume et une quantité/ le volume elle est de dix/ si j'appuie (A appuie sur le piston en gardant bouché la seringue)/ là le volume il sera de huit/ mais la quantité sera la même/ le volume sera/ y'aura juste le volume/ qui aura changé/ à cause de la pression




A V change
E V id












A Pression V dim Q id

Dans cet extrait Ellen ne semble pas faire la différence entre la quantité et le volume. En effet, elle considère que le volume d'air ne change pas lorsqu'on appuie sur le piston d'une seringue bouchée. Au cours de la discussion Anne lui explique la différence entre le volume et la quantité. Cette explication est particulièrement claire, cependant Anne n'ose pas la mettre dans sa réponse écrite. C'est finalement Ellen qui propose de rédiger dans un premier temps que le volume change et dans un second temps que la quantité ne change pas (pour plus de détails voir la transcription du TP1 de 19m 30s à 21m 13s, dans l'annexe de l'analyse fine pendant). Il est intéressant de voir que l'explication d'Anne a permis à Ellen de faire la différence entre la quantité et le volume, puisqu'elle fait cette distinction au cours de la rédaction de sa réponse. L'évolution d'Ellen correspond à la distinction entre deux idées, les éléments du milieu susceptibles d'être responsables sont l'élève A (voir cadre théorique).

Nous avons regroupé l'ensemble des idées concernant le lien entre la quantité et le volume dans un graphique Kronos (voir le graphique Kronos ‘«’ ‘TP1 évolution du lien entre la quantité et le volume’», dans l'annexe de l'analyse fine pendant). Dans ce graphique ‘«’ ‘A: V varie Q varie’» signifie que pour Anne lorsque le volume varie la quantité varie aussi (ce qui est équivalent à l'idée VdimQdim), ‘«’ ‘E: V varie Q identique’» signifie que pour Ellen lorsque la volume varie la quantité reste identique (équivalent à l'idée VdimQid) et ‘«’ ‘E: V identique’» signifie que pour Ellen le volume ne change pas (ce moment est décrit dans le Tableau 7.36). Ce graphique montre que suite à l'intervention d'Ellen, le lien entre la quantité et le volume va changer pour Anne de l'idée Vdim Qdim à l'idée Vdim Qid. Il est intéressant de remarquer qu'au début, Anne utilise cette idée (Vdim Qid) uniquement lorsqu'elle manipule la seringue et qu'elle va progressivement l'utiliser sans faire de manipulation. Cette nouvelle idée est réutilisée pour traiter de nouvelles situations, ce qui traduit l'augmentation de son domaine d'application.

Anne et Ellen vont réutiliser cette idée durant l'activité 2, qui demande d'isoler par la pensée une petite partie d'air contenu dans une seringue bouchée (situation 1) et dans une seringue bouchée lorsque l'on appuie sur le piston (situation 2). Au début de cette activité, elles n'arrivent pas à comprendre l'énoncé et elles demandent à l'enseignante de leur expliquer la question. Durant l'explication de l'enseignante, Anne utilise l'idée Vdim  Qid (tableau 7.37).

Tableau 7.37 : L'enseignante explique l'activité 2 à Anne et Ellen durant le TP1
Temps Question Description Transcription Idée
00:25:22:01 P1A2Q1S Prof explique à A & E l'énoncé [...]
Prof : qu’est-ce qui est arrivé aux molécules qui sont là dedans entre le moment où la seringue était comme ça et le moment où la seringue était comme ça (2s) alors le volume
A : ben/ c'est pas le même volume là/ y'a pas le même volume/ mais la même quantité
Prof : alors y'a pas le même volume/ y'a pas la même quantité
A : ah bon/ y'a pas la même quantité (?)
Prof : si si/ t'as raison y'a la même quantité bien sûr/ mais ce que tu me dis là c'est vrai pour toute la seringue/ c'est à dire c'est vrai pour ça et pour ça/ là effectivement ce volume il est plus petit que celui-là/ mais moi je prends pas ce volume là/ je prends un tout petit bout et ce tout petit bout je choisi de prendre un tout petit bout de même volume après
A : ben ça sera le même
E : c'est pareil








A V change Q id


















A & E même V même Q

Cet extrait montre qu'Anne ‘«’ ‘teste’» son idée (Q change Q id) auprès de l'enseignante, qui lui confirme qu'elle fonctionne pour la totalité d'une seringue. Il est intéressant de voir qu'Anne et Ellen réutilisent cette idée, lorsqu'il faut isoler une petite partie d'air contenu dans la seringue. En effet, elles considèrent qu'il y a la même quantité lorsque l'on prend des parties d'air de même volume dans les situations 1 et 2 (voir séquence P1A2Q1). Cette idée (même V même Q) est correcte du point de vue du savoir à enseigner pour la totalité de l'air contenu dans une seringue, mais elle ne convient pas lorsque l'on isole des petites parties d'air dans des situations différentes. Nous pensons que cette idée empêche Anne et Ellen de traiter correctement la question et notamment de réussir à faire l'abstraction (voir partie ci-dessus aspects particulaires).

En conclusion, il apparaît qu'au début de l'activité 1 de la partie 1, Anne pense que la quantité d'air contenu dans une seringue bouchée, varie comme le volume. Au cours de la question 3 de cette activité, Anne réalise que le volume change, mais que la quantité reste la même suite à la remarque d'Ellen. Nous interprétons cette évolution par l'établissement d'un nouveau lien entre la quantité et le volume. Le principal élément du milieu responsable de cette évolution est l'intervention d'Ellen (noté élève E). Dans la suite de cette question, Ellen va faire la distinction entre la quantité et le volume grâce à l'explication d'Anne. Cette évolution correspond à la distinction de deux idées (voir cadre théorique). Nous considérons que l'explication d'Anne est l'élément du milieu qui est responsable de cette évolution. Durant cette question, Anne et Ellen se sont mutuellement aidées pour construire de nouveau lien entre leurs idées. Elles vont réutiliser leurs idées sur les liens entre la quantité et le volume dans l'activité 2. Cependant, ces idées sont correctes du point de vue du savoir à enseigné pour la totalité de l'air contenu dans une seringue, mais pas lorsque l'on isole une petite partie d'air de cette seringue. Nous pensons que ces idées vont les empêcher de traiter correctement les questions de l'activité 2 en les empêchant de faire l'abstraction. Ce phénomène correspond à l'utilisation d'une idée hors de son domaine de validité (voir cadre théorique), c'est-à-dire que l'élève ignore les situations dans lesquelles son idée n'est pas valable du point de vue de la physique.