La Terre ancestrale

Le Sonora est un État de 184 934 km2, avec une population de 2 085 536 habitants, situé dans la région Nord-Ouest du Mexique. Il partage des frontières communes avec les États Unis au Nord, le Sinaloa au Sud, le Chihuahua à l’Est, la Basse Californie et le Golfe de Californie à l’Ouest. Le Sonora est constitué de 72 municipalités 455 dont les plus importantes sont Hermosillo (la capitale de l’État), Cajeme, Nogales, San Luis Río Colorado, etc.

Partie 2 - fig. 2. Les États du Mexique et l’Amérique Centrale.
Partie 2 - fig. 2. Les États du Mexique et l’Amérique Centrale.

Source : La Méso-Amérique, Christian Duverger.

Le territoire yaqui ou plutôt ce qu’il en reste, c’est-à-dire les 485 235, 9625 hectares de la Résolution Présidentielle de Cárdenas de 1940, se trouve situé sur la partie sud-ouest de l’État du Sonora et comprend les municipalités de Guaymas, Bacum, Cajeme et Empalme. Nous devons également inclure dans ce territoire trois aires géographiques différenciées qui sont la Sierra del Bakatebe, El Valle del Yaqui, avec les terres irriguées, et la frange côtière avec, avant tout, la Bahía de Guásimas et la Bahía de Lobos. Les membres de la communauté yaqui sont regroupés, comme nous l’avons déjà précisé, autour de 52 localités sous l’autorité des Goi Naiki Pweblotam, les « Huit Villages », représentant le siège du gouvernement traditionnel yaqui. D’ailleurs, c’est pendant la présidence de Lázaro Cárdenas que les Yaqui ont pu reprendre possession des « Huit Villages » 456 afin que ces Villages retrouvent leur ancienne attribution de chef-lieu. Les Goi Naiki Pweblotam sont : Vicam, Potam, Bacum, Torim, Huírivis, Rahum, Belem et Cócorit. Mais, pour être vraiment précis, nous devons signaler que lors de la restitution des « Huit Villages », les Yaqui n’ont pu récupérer que six Villages sur les huit situés le long du Río Yaqui. Ainsi, Bacum et Cócorit ont été remplacés par Loma de Bacum et Loma de Guamúchil afin de préserver, encore une fois, le dispositif traditionnel et sacré des Goi Naiki Pweblotam 457 .

Partie 2 - fig. 3. Les nouvelles limites du Territoire Yaqui ont été reconnues par un décret du président Lázaro Cárdenas lors des accords du 27 octobre 1937 et du 10-12 juin 1939. Ce décret a été ratifié par la Résolution Présidentielle le 1
Partie 2 - fig. 3. Les nouvelles limites du Territoire Yaqui ont été reconnues par un décret du président Lázaro Cárdenas lors des accords du 27 octobre 1937 et du 10-12 juin 1939. Ce décret a été ratifié par la Résolution Présidentielle le 1er octobre 1940.

Source : El indio Cajeme y su nación del río yaqui, Palemón Zavala Castro.

La population yaqui du Sonora est estimée entre 25 000 et 32 000 habitants établis, pour la plupart d’entre eux, dans les municipalités de Bacum, Guaymas, Cajeme, Empalme et Hermosillo 458 . En outre, il est très difficile de donner un chiffre plus précis de la population yaqui à cause, d’une part, de la mobilité des individus et, d’autre part, du particularisme yaqui qui pousse cette communauté à rester sur ses gardes lors des enquêtes menées par les organismes officiels du gouvernement mexicain. Il faut aussi signaler les membres de la communauté yaqui vivant en Arizona (Phœnix et Tucson), en Basse Californie, dans le centre et le sud-est du Mexique ainsi que ceux qui résident dans la Sierra del Bakatebe. Les Yaqui sont un peuple dont la survie a trop souvent été tributaire de leur capacité à se déplacer et à se rendre insaisissable pour que du jour au lendemain ils acceptent de se soumettre aux règles administratives du gouvernement mexicain.

Partie 2 - fig. 4. Répartition de la population yaqui. En noir la zone où la densité des personnes yaqui est la plus élevée.
Partie 2 - fig. 4. Répartition de la population yaqui. En noir la zone où la densité des personnes yaqui est la plus élevée.

Source : Instituto Nacional Indigenista. Subdirección de Investigación. Atlas de las Lenguas Indígenas de México, México D.F.

Pour les anthropologues, les Yaqui sont considérés comme un peuple faisant partie de Oasisamérica, région qui était habitée par des « sociétés agricoles semi-nomades, dans les zones arides, et par des agriculteurs plus sédentaires, dans les zones montagneuses et les rives des grands fleuves… » 459 . Mais nous devons, comme l’expose Caroll L. Riley, envisager Oasisamérica comme une aire culturelle recevant l’influence de la grande tra­dition méso-américaine, créant par la même occasion une aire culturelle marginale 460 avec le phénomène expansif/rétrocessif des limites nord occidentales. Enfin, pour compléter ce tableau, il ne faut pas oublier l’aire culturelle de Aridamérica. Nous sommes en présence de trois aires culturelles avec trois formes distinctes d’organisation sociale.

Pour synthétiser, nous pouvons dire que Aridamérica 461 était habitée par des bandes nomades (Dieguino, Luiseño, Gabrielino, Salinan, Seri, etc.) qui ne pratiquaient pas l’agri­culture, Oasisamérica, qui s’étend du Río Gila (Sonora) jusqu’au Río Mocorito (Sinaloa), par des sociétés agricoles de langue uto-azteca (Pima, Pápago, Ópata, Cáhita, Tarahumara, Tubar, etc.), la Méso-Amérique, dont la frontière nord-ouest 462 se situait à la partie médiane de l’actuel État de Sinaloa, par des sociétés étatiques (Tahue, Totorame, Acaxee, Tepehuan, Xixime, etc., pour citer les moins connues) avec une organisation et une stratification sociale classique 463 très élaborées. Alfredo López Austin a, quant à lui, situé la limite des frontières septentrionales de la Méso-Amérique, au 16ème siècle, à partir des fleuves Yaqui, Mayo et Sinaloa, pour la partie occidentale, et du Río Pánuco, pour la partie orientale.

Nous reviendrons sur les relations entre la Méso-amérique et Oasisamérica afin de souligner les interactions entre le Nord-Ouest et la partie centrale du Mexique.

L’histoire du peuple yaqui est révélatrice du profond sentiment d’autodétermination et de résistance que ces hommes ont affiché pendant plus de 400 ans pour défendre les li­mites sacrées de leur territoire. Ainsi, dès leurs premiers contacts avec les Espagnols, les Yaqui ont, dans la plupart des cas, toujours refusé le droit de pénétration sur leur territoire aux expéditions menées pour explorer cette région du Sonora. En 1533, Diego De Guzmán, neveu du premier gouverneur de la Nouvelle Galice Nuño Beltrán de Guzmán, est l’un des premiers 464 à affronter l’hostilité désormais légendaire des Yaqui. Il commandait une expédition qui devait prendre possession des territoires situés au Nord de Culiacán au nom de la couronne d’Espagne. Ainsi, le 4 octobre 1533, sur les berges du Río Hiaquimi l’avancée de la troupe commandée par Diego de Guzmán est arrêtée par un chef yaqui portant un scapulaire noir, sertis de perles fines, et dans la main un bâton de 75 centimètres incrusté de turquoises. L’Ancien, après avoir tracé une ligne sur le sol avec son bâton, enjoint au capitaine Diego de Guzmán de ne pas franchir la ligne et à se retirer si lui et ses hommes ne veulent pas mourir. Un des soldats de l’expédition a pris la peine de consigner, dans un rapport, toutes les journées passées dans le Sonora et en ce qui concerne la rencontre avec les Yaqui, il a écrit la chose suivante : « L’un des Anciens se distinguait des autres car il portait un manteau noir avec des parures de perles incrustées à la façon d’un scapulaire, et il s’entourait de chiens, d’oiseaux et d’un cerf ; et d’autres choses encore. Et, si le jour se levait et le soleil tombait sur lui, il brillait comme l’argent. Il portait ses arcs et ses flèches mais également un bâton en bois ouvragé et c’était lui qui contrôlait les indiens ».

Partie 2 - fig. 5. Noble azteca.
Partie 2 - fig. 5. Noble azteca.

Source : Mexique Ancien, Maria Longhena.

Après un échange de paroles inutiles entre les deux hommes, Diego de Guzmán a alors pris l’initiative et au cri de « Santiago », ses hommes et lui ont engagé le combat qu’ils se sont targués, plus tard, d’avoir gagné. Mais le témoignage du chroniqueur anonyme rapporte, en réalité, la vaillance guerrière avec laquelle les Yaqui ont lutté et comment, si les conditions du champ de bataille avaient été plus favorables, les Espagnols auraient sans doute été battus. Et, c’est à partir du témoignage du chroniqueur anonyme que la réputation des Yaqui prend forme, parce qu’ils sont apparus dès lors comme un peuple résistant constitué de magnifiques et de courageux guerriers.

Ainsi, pendant plus de soixante-dix ans, les Yaqui vont être libres de toute ingérence espagnole sauf lors de deux autres expéditions ; la première en mars-avril 1540, sous les ordres de Francisco Vázquez de Coronado qui, aveuglé par la relation de voyage de Alvar Núñez Cabeza de Vaca, était parti à la recherche des Sept fabuleuses Cités d’or de Cíbola et de Quivira ; la deuxième en 1565, sous le commandement de Francisco de Ibarra, également à la recherche des Sept Cités d’or. Mais ce n’est qu’au retour que Francisco de Ibarra, voulant éviter les terribles difficultés de la Sierra Madre, a envoyé des messagers pour demander aux Yaqui le droit de passage sur leur territoire. L’accueil a d’ailleurs été très amical et les Yaqui, fait surprenant, ne voulaient plus les laisser partir.

Il faut attendre le début du 17ème siècle pour que les Espagnols tentent à nouveau de pénétrer sur le territoire yaqui lors de la rébellion des Ocoroni dont les deux principaux chefs, Lautero et Babilomo, ainsi que quatre cents Ocoroni, s’étaient réfugiés chez les Yaqui. Le capitaine Diego Martínez de Hurdaide, à la poursuite des fugitifs, se présente sur les rives du Río Yaqui et demande aux Yaqui de lui remettre les deux chefs responsables du soulèvement des Ocoroni. Devant le refus et la détermination des Yaqui, Diego Martínez de Hurdaide décide de ne pas engager le combat et bat en retraite. Les véritables affrontements armés se sont déroulés en trois occasions, c’est-à-dire entre 1608 et 1610 465 avec, pour les trois batailles engagées, la défaite des hommes du capitaine Hurdaide. Lors du dernier affrontement, le capitaine Martínez de Hurdaide avait constitué une force armée composée de cinquante soldats espagnols et quatre mille guerriers des tribus Pima, Mayo, Ocoroni, Tehueco, Sinaloa, etc. De leur côté, les Yaqui se sont présentés avec 7 000 guerriers qui, après une journée entière sur le champ de bataille, ont humilié et mis en déroute l’armée du capitaine Martínez de Hurdaide. Ce dernier blessé, avec le peu de soldats espagnols restés à ses côtés, parvint, la nuit tombée, à déjouer la méfiance des Yaqui et à s’enfuir. Après cette défaite humiliante, le capitaine Martínez de Hurdaide ne veut plus entendre parler de la pacification des Yaqui et renonce à réorganiser ses forces militaires pour étendre la domination des Espagnols plus au nord. La victoire des Yaqui est indiscutable, mais c’est précisément à partir de cet événement que ces derniers vont changer de comportement et solliciter la présence des missionnaires jésuites sur leur territoire. Nous sommes à nouveau en présence du particularisme yaqui dont la singularité met en place un processus de négociation où c’est le vainqueur qui demande au vaincu de signer la paix. Ainsi, pendant cinq ans, les Yaqui vont définir des modalités de relation avec les Espagnols qui traduisent tout l’intérêt que les Yaqui portaient aux innovations introduites par les jésuites (culture du blé, des fruits, mais aussi élevage de chevaux et de bétails) dans les autres communautés amérindiennes du Sonora. Cette attitude démontre aussi que les Yaqui possédaient une « organisation politique capable de résister » 466 à l’intrusion d’éléments en opposition profonde avec leur façon de vivre et de se projeter. Les Caciques ou Yaut yaqui ont toujours procédé comme des hommes conscients de pouvoir obtenir les bénéfices des nouveaux progrès réalisés par les jésuites sans pour cela se soumettre à la pression militaire. C’est pour cette raison que les Yaqui ont tout fait, dans un tel rapport de force, pour « obtenir la réalité constructive du programme des missionnaires sans devoir supporter, pour autant, les effets destructeurs du programme politico-militaire » 467 .

Le particularisme yaqui n’est pas un concept abscons mais la marque de la réalité que les Yaqui ont voulu imposer et vivre ainsi que le niveau d’indépendance sur lequel s’est élaboré, pendant plus d’un siècle, la vie communautaire de ce peuple. Sous l’impulsion de leurs deux principaux Yaut, Conibomea et Aniabailu’tek, avec la mission confiée aux deux ambassadrices yaqui de participer aux négociations préliminaires auprès des missionnaires et du capitaine Hurdaide, les Yaqui ont déterminé les modalités de collaboration avec les Espagnols. Ces modalités sont d’ailleurs résumées de la façon suivante par Edward Spicer 468  :

Un temps préalable de discussion entre les deux parties pour savoir ce que pouvaient offrir les missionnaires tout en respectant la volonté des Yaqui.

Une démonstration concrète du fonctionnement des missions en dehors du territoire yaqui, missions que les Yaqui ont pu inspecter.

La négociation des intérêts communs et la possibilité, pour les Yaqui, de prendre l’initiative dans les choix à faire.

Un nombre restreint de missionnaires, seulement deux au début et ensuite un nombre proportionnel à la population yaqui (cinq en tout).

Aucun usage du pouvoir coercitif de la part des missionnaires pendant les cent premières années.

Parrainage systématique des Yaqui afin que les innovations introduites, par les missionnaires, soient en accord avec le contexte des significations et des interprétations du peuple yaqui.

Les modalités de collaboration entre les missionnaires et les Yaqui, démontrent et prouvent que l’autonomie du peuple yaqui répond à un sentiment profond et renvoie au lien qui unit ces hommes, ces Yo’emem, à leur Terre. Ainsi, après avoir répondu favorablement à toutes les exigences des Yaqui, ce n’est qu’en 1615, cinq ans après sa dernière défaite, que le capitaine Martínez de Hurdaide signe le traité de non agression avec les deux Yaut yaqui, Aniabailu’tek et Conibomea, traité qui dispose aussi les frontières du territoire yaqui. Deux ans après, en 1617, les pères jésuites Andrés Pérez de Ribas et Tomás Basilio, accompagnés de deux Yaut yaqui, sont enfin reçus en territoire yaqui. Dès lors, de 1617 à 1739, comme nous l’avons déjà indiqué, les Yaqui participent amplement à la mise en place d’un nouveau dispositif communautaire.

Mais en 1740, suite à la « crise du système missionnaire » 469 avec, entre autres, le développement de la conscience politique des Autorités yaqui et leur désaccord sur la façon dont les jésuites administraient les biens de production, éclate la rébellion yaqui-mayo sous l’impulsion du gouverneur de Rahum, Juan Ignacio Usacamea, dit « Muni », et du gouverneur de Huírivis, Bernabé Basoritemea 470 . Edward Spicer, pour expliquer la rébellion yaqui-mayo, insiste sur les manœuvres politiques du gouverneur du Sinaloa, le colonel Manuel Bernal de Huidobro, à l’encontre du pouvoir jésuite. En outre, il faut aussi signaler, à propos de la mise en danger de la stabilité du système missionnaire, la présence encore manifeste de certains sorciers yaqui prêts à rétablir leurs croyances et pratiques religieuses 471 .

Partie 2 - fig. 6. Limites du territoire yaqui en 1615.
Partie 2 - fig. 6. Limites du territoire yaqui en 1615.

Source : El indio Cajeme y su nación del río yaqui, Palemón Zavala Castro.

Alors, pendant l’absence de Juan Ignacio Usacamea et de Bernabé Basoritemea, qui étaient partis à México pour exposer leurs doléances au vice-roi, et suite à des rumeurs sur la mort ou l’incarcération des deux hommes, Juan Calixto Ayamea, Baltazar Baojisuame et Martín Mobuelachay, sont les instigateurs de la plupart des combats qui ont opposé les Yaqui aux soldats espagnols. De ces combats, nous pouvons mentionner les deux lourdes défaites subies par les guerriers yaqui. La première, a eu lieu à El Cerro del Tambor, la « Montagne du Tambour », et la deuxième à Otancahui, la « Montagne des Os », défaites que Agustín Vildósola a infligées aux Yaqui. Par ailleurs, Agustín Vildósola, qui vient de remplacer Huidobro au poste de gouverneur du Sinaloa, accorde son attention aux rumeurs qui accusent Ignacio Usacamea et Basoritemea de préparer une nouvelle conspiration. Prêtant foi aux rumeurs et prenant l’initiative, il les fait arrêter et exécuter le 23 juin 1741. Basoritemea, devant un tel acte de lâcheté et d’injustice, interpelle le gouverneur pour lui dire : « Monsieur le Gouverneur, je vais mourir, il n’y a rien d’autre à faire, … Mais, dites-moi la raison pour laquelle je vais mourir, pour que je demande à dieu sa miséricorde, parce que moi je ne la connais pas » 472 .

Les paroles de Basoritemea expriment, encore une fois, la noblesse de l’homme yaqui et le particularisme identitaire de ce peuple qui vient légitimer son engagement politique, religieux et guerrier, pour défendre le droit à la Liberté.

Les mouvements insurrectionnels définitivement anéantis, les jésuites, jusqu’à leur expulsion en 1767, ont essayé de rétablir les niveaux de productivité et de rentabilité que El Valle del Yaqui avait connus avant les troubles mentionnés. La période qui suit marque l’intervalle de paix le plus long, c’est-à-dire de 1740 jusqu’à 1825 (85 ans), pendant lequel les Yaqui n’ont pas pris les armes. Le début du 19ème siècle marque un tournant décisif dans l’histoire de la Nouvelle Espagne avec la guerre d’Indépendance déclaré le 16 septembre 1810 par Miguel de Hidalgo. Mais, la guerre d’insurrection est étouffée, sans être définitivement atomisée, en 1817 par l’armée royaliste. Ce n’est qu’en 1821 que le mouvement indépendantiste renaît sous la conduite de Agustín Iturbide lequel proclame, depuis la capitale, l’indépendance du Mexique le 27 septembre 1821. Pendant cette période, les Yaqui sont restés en marge du conflit, sauf une ou deux compagnie de soldats yaqui qui ont lutté aux côtés des royalistes 473 . Les tensions entre les Yaqui et le nouveau gouvernement de l’État interne de l’Occident sont apparues dès que celui-ci a favorisé le processus de colonisation, de privatisation ainsi que l’implantation d’une administration locale pour contrôler le territoire yaqui. Devant le refus des Yaqui de se soumettre à la nouvelle autorité mexicaine, le gouvernement de l’État de l’Occident a envoyé des troupes militaires qui ont fusillés les représentants des protestations de la communauté yaqui. Ainsi, de 1825 à 1833, Juan Ignacio Usacamea 474 , dit « Banderas » ou « la Bandera », organise la révolte des Yaqui avec le soutien des Ópata et de leur chef Dolores Gutiérrez, mais aussi des Mayo. La confédération Indienne du Sonora, tel que l’a nommé Juan Ignacio Usacamea, voulait créer un État Indien indépendant au Nord du Mexique. Après deux années de véritable opposition militaire et de succès francs, Juan Ignacio Usacamea ainsi que Dolores Gutiérrez sont finalement exécutés à Arizpe en 1833.

Les années qui suivent sont marquées par les luttes entre les centralistes et les fédéralistes, période occupée aussi par une campagne d’extermination des Yaqui pour s’appro­prier leur territoire. Les Yaqui, pris dans une situation de troubles politiques, en 1856 par exemple, apportent leur soutien, sous les ordres de Mateo Barquín, à Manuel Gándara lors de son affrontement contre les troupes du général José Urrea. En 1857, le colonel Ignacio Pesqueira, qui rétablit le fédéralisme, est élu gouverneur. Il doit alors faire face à plusieurs soulèvements avec en 1858 l’attaque du port de Guaymas par les Yaqui, qui sont repoussés par les troupes du capitaine Nemesio Martínez. Puis en 1859, les Yaqui, Ópata (sous les ordres des chefs ópata Juan et Refugio Tánori), Pima et Mayo, s’opposent aux hommes du colonel García Morales. En 1860, nouveau soulèvement des Yaqui et des Mayo, sous les ordres des conservateurs, que les troupes fédéralistes parviennent à contenir. Le gouverneur Ignacio Pesqueira, en 1862, envahit le territoire des Yaqui et des Mayo auxquels il propose de signer la paix à Torim. Mais, en 1865, se produit un nouveau soulèvement des Yaqui (avec José María Barquín), des Mayo, des Ópata et Pima (avec Refugio Tánori), année qui marque aussi l’invasion du Sonora par les Français. Ignacio Pesqueira, pour repousser les Français et leurs alliés amérindiens, organise une armée de 6 000 hommes 475 dont une partie ce qui peut paraître surprenant et détermine à nouveau le particularisme yaqui sont des Yaqui. Parmi les soldats yaqui qui ont rejoint l’armée de Ignacio Pesqueira se trouve le légendaire José María Leyva, dit « Cajeme ». Enfin, en 1866, les Français sont battus et expulsés du Sonora.

Les Yaqui et les Mayo ne déposent par pour autant les armes et les mouvements de rébellion se poursuivent avec l’un des premiers épisodes les plus sombres de l’histoire du peuple yaqui, c’est-à-dire qu’en 1868 à Bacum, le colonel Bustamente fait ouvrir le feu sur les Yaqui (hommes, femmes et enfants) qu’il avait enfermés dans l’église du village. Sur les 450 prisonniers plus de 120 ont trouvé la mort. Après cet épisode sanglant, les forces rebelles yaqui sont dans l’incapacité, pour l’instant, de s’opposer au programme de colonisation de leur territoire. D’ailleurs, en 1872, le gouverneur Ignacio Pesqueira, par un décret du cinquième Congrès Constitutionnel, prive les Yaqui de leur citoyenneté et déclare que l’organisation du peuple yaqui est une « anomalie ». En outre, pour rétablir la pacification du peuple yaqui, le gouverneur Ignacio Pesqueira nomme José María Leyva Alcade mayor (Juge de paix) del Yaqui, lequel, comme nous l’avons déjà signalé, a par ailleurs servi dans l’armée fédérale de Pesqueira avec le grade de capitán de caballería (capitaine de cavalerie). Ainsi, comme l’écrit Cécile Gouy-Gilbert la «  logique historique qui devait conduire à une rapide colonisation des terres yaqui allait de nouveau être contrariée » 476 .

En 1875, José María Leyva revendique l’indépendance du peuple yaqui qui doit se libérer du joug Yori, s’opposant dès lors au processus de colonisation du territoire yaqui. Et, quand José Pesqueira, fils de Ignacio Pesqueira est élu gouverneur, les mouvements de révolte sont de nouveau à l’ordre du jour. Cette élection est aussi à l’origine de la révolution dirigée par Francisco Serna, dont l’objectif est d’en finir avec la dynastie des Pesqueira. Un an plus tard, en 1876, le général Porfirio Díaz proclame le plan de Tuxtepec et occupe la présidence du nouveau gouvernement fédéral, à laquelle il a consacré plus de 30 années de sa vie. Ce dernier favorise alors, au Sonora, le triumvirat formé par les frères Torres, Ramón Corral et Rafael Izábal, soutien qui apporte à Luis E. Torres, en 1879, le poste de gouverneur du Sonora. José María Leyva et les Yaqui affrontent dès lors la période la plus terrible de leur histoire, celle de la Guerre del Yaqui, avec, avant tout, le programme de déportation massive vers le Yucatan, mis en place par le régime dictatorial de Porfirio Díaz. De 1884 et 1886, ont lieu des affrontements violents entre les guerriers yaqui de José María Leyva et les forces fédérales du général José Guillermo Carbo ou du général Bernado Reyes, comme par exemple ceux du Cerro Omteme, de Guimachoco, de Chumampaco ou Buatachive, au nord de Torim, où sont morts plus de deux cents yaqui et deux mille autres faits prisonniers. José María Leyva est finalement capturé à San José de Guaymas et exécuté, en application de la Ley Fuga (c’est-à-dire assassiné), en Avril 1887.

Le Sonora semble définitivement pacifié et les Yaqui complètement soumis, mais on voit surgir un nouveau Ietchi dénommé Juan Maldonado, connu aussi sous le nom de Tetabiate. L’Autorité yaqui avec son organisation politico-religieuse et militaire, celle-là même que le gouvernement du Sonora considère comme une « anomalie », par la détermination des Temahtim, des Prophètes, du Pweblo yo’owe, le « Conseil des anciens », décide de poursuivre la guerre sainte pour la terre et nomme Tetabiate chef des guerriers yaqui, avec pour mot d’ordre : biba atoha, « se rebeller ». Juan Maldonado organise alors un système de guérilla qui lui permet d’appliquer la technique du pega y corre, « frappe et cours » ; l’esprit de résistance des Yaqui n’était pas encore annihilé. Le fait le plus marquant de cette période est la signature de la paix d’Ortiz, le 15 mai 1897, un traité qui encore une fois n’est pas respecté et pousse les Yaqui à reprendre le chemin de la rébellion et de la guérilla. Alors, à partir de 1900, se met en place, sous les directives de Rafael Izábal le programme de déportation des Yaqui que Alejandro Figueroa dénonce sous l’appellation du « génocide yaqui » 477 . Ainsi, les Yaqui capturés, mais aussi les Mayo, sont soit assassinés soit déportés vers le sud du Mexique. Tetabiate meurt le 10 juillet 1901 à Mazocoba dans la Sierra del Bakatebe. Mais la mort du Ietchi Juan Maldonado n’a pas l’effet prévu et à nouveau la rebellion yaqui s’organise autour d’autres chefs, connus sous les noms de Ignacio Mori, Luis Matuz, Sibalaume, Luis Bule, etc.

L’analyse des événements survenus depuis le premier contact des Yaqui avec les Espagnols, ainsi que les luttes incessantes pour faire respecter les frontières de leur terre sacrée, nous permet d’affiner notre regard sur le particularisme yaqui. Les Yaqui n’ont pas cessé de lutter et leur participation à la révolution mexicaine traduit l’engagement de ce peuple à défendre la « Loi yaqui », vecteur immémorial de leurs révoltes successives. Proposer une lecture de la participation des Yaqui à la révolution mexicaine dépasserait le cadre thématique de notre étude. Il faut cependant indiquer encore certaines dates pour montrer comment les Yaqui, malgré les politiques d’extermination qu’ils ont dû affronter, ont défendu le monde dans lequel ils voulaient vivre. En 1913, les Yaqui participent aux luttes constitutionnalistes auprès du général Obregón qui s’était engagé à leur restituer leur territoire. Promesse qu’il n’a d’ailleurs pas tenue car il a considéré qu’une telle décision ne faisait que perpétuer la barbarie. Le général Obregón, en 1915, décide, à ce propos, d’organiser une campagne militaire contre les Yaqui où le conflit entre civilistes et militaristes traduit lui aussi la complexité du problème yaqui. En 1919, l’élection de Adolfo de la Huerta au poste de gouverneur permet de reprendre le processus de pacification. Pendant les années 20 avec les présidences de Obregón et de Plutarco Elías Calles, les Yaqui poursuivent leur révolte et sont confrontés, lors de ce que l’on a appelé la dernière rébellion yaqui en 1926-1927, à une guerre qui prend une dimension moderne. En effet, pour la première fois au Mexique 478 , l’armée expérimente les bombardements aériens ainsi que des gaz asphyxiants pour déloger les rebelles yaqui réfugiés dans la Sierra del Bakatebe.

Enfin, après les horreurs de ces guerres continues, en 1937 les Yaqui adressent au président Lázaro Cárdenas un document signé par les Goi Naiki Pweblotam qui demande au président de reconnaître le droit aux Yaqui de récupérer leur territoire. Les accords du 27 octobre1937 et du 10-12 juin 1939, restituent aux Yaqui, comme nous l’avons déjà mentionné, 485 235, 9625 hectares, accords définitivement ratifiés en 1940 par la Résolution Présidentielle de Cárdenas. Le particularisme yaqui traduit la façon dont ce peuple a tenu à préserver sa différence et ses codes culturels, cet engagement indéfectible pour protéger le territoire sacré que les Yaqui considèrent avoir reçu comme un héritage d’êtres surnaturels.

Notes
455.

Municipios en langue espagnole.

456.

María Eugenia Olavarría, « Los yaquis », Secretaría de Desarrollo Social, INI, México, 1995, p. 533.

457.

María Eugenia Olavarría, « Los yaquis », op. cit., p. 533.

458.

Ibid., p. 539.

459.

Alejandro Figueroa, Por la tierra y por los santos, op. cit., p. 58.

460.

Cf. 3ème partie.

461.

Appelé aussi Aridoamérica.

462.

Alejandro Figueroa, Por la tierra y por los santos, op. cit., p. 58.

463.

Ibid., p. 57.

464.

Les sources historiques, avant l’expédition de Diego de Guzmán, signalent, en 1532, le naufrage, dans la Bahía de Agiabampo, du navire commandé par le capitaine Diego Hurtado de Mendoza. L’équipage a été attaqué par les Cáhita qui ont brûlé le navire et tué tous les hommes.

465.

Edward Spicer, Los Yaquis. Historia de una cultura, op. cit., p. 14.

466.

Edward Spicer, Los Yaquis. Historia de una cultura, op. cit., p. 14.

467.

Ibid., p. 13.

468.

Ibid., p. 19.

469.

Sergio Ortega Noriega, Breve historia de Sinaloa, Ed. FCE, México, 1999.

470.

Edward Spicer, Los Yaquis. Historia de una cultura, op. cit., p. 41.

471.

Alejandro Figueroa, Por la tierra y por los santos, op. cit., p. 73.

472.

Edward Spicer, Los Yaquis. Historia de una cultura, op. cit., p. 55.

473.

Ibid., p. 161.

474.

Ibid., pp. 151-165.

475.

Cécile Gouy-Gilbert, Une résistance Indienne. Les Yaquis du Sonora, op. cit., p. 61.

476.

Ibid., p. 64.

477.

Alejandro Figueroa, Por la tierra y por los santos, op. cit., p. 107.

478.

Cécile Gouy-Gilbert, Une résistance Indienne. Les Yaquis du Sonora, op. cit., p. 137.