Pusolana. La terre des Cáhita

La terre des Yaqui ou plutôt des Cáhita renferme les vestiges d’une longue présence humaine. Sans pour autant retracer tout le cadre de la pénétration de l’homme sur le continent américain, il est important de préciser divers éléments pour bien situer l’aire d’éclosion des Cáhita, et plus précisément celle des Yaqui.

Lorena Mirambell 479 , à partir des données récentes, établit l’apparition de l’homme sur le continent américain autour de 70 000/30 000 ans par une migration dont les étapes successives sont détaillées de la façon suivante : « La possibilité de pénétrer sur le continent américain depuis l’Alaska vers le Sud commença il y a 70 000 ans, avec quelques interruptions, et elle devint plus facile de 32 000 à 23 000 ans, et de cette date jusqu’à 12 000 pratiquement nulle et ensuite très simple à partir de ce moment là » 480 .

Pour le Mexique, la période lithique est comprise entre 35 000/30 000 à 7 000 av. J.-C., une période que Lorena Mirambell, à partir du matériau culturel étudié, a divisé en trois séquences :

« Archéolithique, Cénolithique (inférieur et supérieur), et Protonéolithique » 481 .

Ces trois séquences sont délimitées de la façon suivante :

Archéolithique, de 35 000 à 14 000 av. J.-C.

Cénolithique inférieur de 14 000 à 9 000 et supérieur de 9 000 à 7 000 av. J.-C.

Protonéolithique, de 7 000 à 4 500 av. J.-C.

Les sites et les zones géographiques correspondant aux datations les plus anciennes de la présence de l’homme sur le continent américain qui ont été effectuées à partir de la technique du carbone 14 ou de la thermoluminescence (datations TL) sont par exemple :

Le site de American Falls, Idaho, date de 43 000 ± aP.

Le site de Santa Rosa, Californie, plus de 37 000 ± aP.

El Cedral de San Luis Potosí, México, 31 850 ± 1 600 ; 33 300 ± 2 700/1 800.

Le site de El Bosque, Nicaragua, ± 32 000 aP.

Le site, découvert par une équipe franco-brésilienne, de la Toca do Boqueirao do Sitio da Pedra Furada, au Brésil, ± 45 000 aP.

Le Mexique, selon Lorena Mirambell, dont le champ de recherche est encore très sous exploité, devra, dans un futur proche, révéler des sites avec des datations tout aussi éloignées.

L’État du Sonora, même si les travaux entrepris dans cette région comme le souligne Manuel Robles Ortíz 482 sont loin d’être aussi poussés que ceux des régions mentionnées (ce dernier rendant ainsi hommage aux travaux de Beatriz Braniff, de Lombardo Ruiz et de Dominique Ballereau) apporte sa contribution à l’archéologie mexicaine.

Les figures les plus anciennes de l’État du Sonora sont les géoglyphes 483 qui se trouvent dans la Sierra del Pinacate du « Complexe Malpais » (dessin ci-dessous) et que Julian D. Hayden datent de 30 000 ans. Manuel Robles Ortíz précise que cette datation doit être prise avec beaucoup de précautions.

Partie 2 : fig. 7. Géoglyphes de la Sierra del Pinacate. Sonora. (Hayden 1981).
Partie 2 : fig. 7. Géoglyphes de la Sierra del Pinacate. Sonora. (Hayden 1981).

Source : Sonora. Arte rupestre. Tradiciones, Mitos e Historia, Manuel Robles Ortíz.

Par contre, pour les géoglyphes du « Complexe San Dieguito » dont les similitudes avec ceux du « Complexe Malpais » sont indéniables, les dates proposées et confirmées par carbone 14 484 , indiquent environ 12 000 ans. Ils seraient l’œuvre d’un groupe 485 de chasseurs collecteurs qui a possédé des instruments lithiques rudimentaires et très semblables à ceux qui étaient en possession du « Complexe Malpais » ; ce groupe a poursuivi l’élaboration de géoglyphes à même le sol rocailleux et volcanique de la Sierra del Pinacate. Ces dessins asymétriques et sinueux nous les retrouvons vers 5 000 ans, période où la Sierra del Pinacate offrit de nouveau des conditions de vie supportables, avec l’apparition de nouveaux groupes humains, tels que les « Amargosanos » 486 qui seraient originaires de la vallée du Nevada. Les figures qu’ils dessinent sont des rangées ou des monticules de pierres 487 à même le sol au lieu d’être raclées comme les géoglyphes « Malpais » ou de « San Dieguito ».

Les Cáhita appartenaient à une aire géographique à laquelle les peuples en question octroyaient des limites très importantes. Par exemple, Santos García Wikit nous a dit que cette terre, origine du peuple Suré, s’étendait du Nord au Sud, de la région des Sioux, en passant par le Gila pour aboutir à « Masobwiya ou Mazohuia », la « Terre des Cerfs », nom qui a été « nahuatlisé » pour devenir Mazatlán. Le territoire était alors dénommé Pusolana, « Terre fertile », et comprenait les régions occupées par les Utah, au Nouveau Mexique, ainsi que les régions du Chihuahua et du Sinaloa. Pour Manuel Sandomingo, Pusolana était le nom d’un peuple qui provenait de l’ouest du Canada présentant de nombreuses affinités avec la famille Ópata-Pimana. La racine Puso ou Pusso, a été le nom que les Lana ont attribué à leur déité zooïde. Mais, d’après l’étude d’Ernesto López Yezcas 488 , membre fondateur de la Sociedad Sonorense de Historia, sur le terme Pusolana, il faudrait reconsidérer l’étymologie du mot et prendre en compte la façon dont ce terme s’est retrouvé dans les ouvrages sur l’histoire du Sonora.

C’est le Père José Antonio Alzate, d’après Don Agustín Escudero, qui a été le premier à utiliser le mot de Pusolana auquel il attribue une origine amérindienne car il désignerait les provinces du Sinaloa et une partie du Sonora. Par la suite, d’autres auteurs, comme Manuel Orozco y Berra, Francisco del Paso y Troncoso, mis à part un ou deux cas isolés, ont dû exploiter la même source, c’est-à-dire la citation faite par Don Agustín Escudero, dans son étude (page neuf) Noticias Estadísticas de Sonora y Sinaloa, car ils n’apportent aucune autre information sur le terme lui-même. C’est Horacio Sobrazo, toujours selon les propos de Ernesto López Yezcas, qui a fait remarquer qu’il n’existait pas un tel nom dans les langues amérindiennes du Sonora ou du Sinaloa et qu’il faudrait alors considérer que cette dénomination aurait été donnée par un missionnaire à cause de l’abondance de Puzolana, « Pouzzolane », dans l’aire géographique en question. Enfin, Ernesto López Yezcas fait remarquer que le Père Alzate ne mentionne à aucun moment, dans ses travaux, le terme de Pusolana, sauf dans son Étude Topographique sur la Vallée de México, dans laquelle il insiste sur l’abondance de Pouzzolane et l’utilisation qui en était faite dans la ville de México. Pour notre part, il nous est encore impossible de dire si le terme Pusolana, comme Sonora et Sinaloa 489 , a une origine amérindienne, même si pour notre informateur yaqui, Santos García Wikit, Pusolana prend le sens de « Terre fertile ».

Les Cáhita appartiennent à la famille du phylum uto-azteca ou uto-nahua dans lequel nous pouvons inclure les Ute, Comanche, Hopi, Pápago, Pima, Ópata, Yaqui, Mayo, Tarahumara, Cora, Huichol, Azteca, etc., c’est-à-dire des peuples amérindiens dont les idiomes prennent racine dans la langue mère, appelée le proto-uto-azteca, qui existe depuis 6 000 ans. D’après Armando Hopkins Durazo 490 , la première langue à s’être détachée du tronc ancestral, il y a plus de 5 500 ans, c’est le Hopi. Au Sonora, le Pápago est la langue la plus vieille avec plus de 4 500 ans d’ancienneté, tandis que la langue cáhita compte un peu plus de 2 500 ans d’existence. En 1984, 83 000 personnes, toujours selon Armando Hopkins Durazo, parlaient cáhita.

Lourdes Gracia Vilches et Germán Ayala Lagarda 491 , de la Universidad de Sonora, Unidad regional Sur, proposent d’accorder aux Cáhita une séquence culturelle qui pourrait débuter vers 8 000 ans, c’est-à-dire pendant la période archaïque 492 et considèrent dès lors que les Cáhita seraient l’une des premières branches des Nahua à s’être séparées pour se diriger vers le Sud. Ainsi, les Cáhita, dans leur pérégrination, auraient fini par s’installer dans le Nord-Ouest du Mexique, c’est-à-dire dans l’aire géographique comprise entre le Río Yaqui, le Río Mocorito et sans doute le Río Culiacán 493 .

Les Cáhita, dans les ouvrages de référence, sont présentés comme un peuple agriculteur, sédentaire ou semi-nomade, précurseur d’une culture née de la terre, de l’eau, du soleil, du Cerf, de la pitahaya, du carrizo (roseau) et du Mezquite (sorte d’Acacia). Un arbre, que les Yo’emem, par exemple, vénéraient comme une véritable déité. D’ailleurs, quand les jésuites ont introduit leur religion, les Yo’emem ont utilisé le bois du Mezquite pour confectionner des croix comme symbole des deux religions en présence. A propos de la dénomination Yo’emem (au pluriel), il est intéressant de préciser que les Amérindiens de El Valle de Sinaloa (où vivaient les Guasave), surtout ceux du nord de l’État, rejettent l’appellation de Cáhita et revendiquent aujourd’hui celle de Yo’emem. Les Yaqui et les Mayo sont des Yo’emem, mais est-il possible que d’autres groupes, comme les Guasave, voire les Tepahue, Warohío, Sinaloa, etc., aient connu la même dénomination ?

Pour rester dans le cadre des cultures et des peuples qui captent notre attention, les Cáhita ont surtout cultivé le maïs, la calebasse, le frijol (haricot), le coton et le chile (piment). Les Yo’emem (Yaqui), par exemple, étaient de très bon pêcheurs et cela constituait un élément de subsistance non négligeable. La cueillette de fruits sauvages comme les tunas, pitahayas et pechitas (graines de Mezquite) venaient compléter le régime alimentaire des Cáhita. Au Sinaloa, il était courant de moudre les pechitas pour en tirer un atole (boisson) au goût sucré ou bien d’en extraire de la farine pour en faire des petits pains. Ces peuples ont aussi domestiqué certains animaux comme le guajolote, le « dindon », le chien et peut-être des oiseaux. La chasse était une activité très importante, pratiquée soit individuellement soit collectivement. La chasse collective, surtout celle du cerf, prévoyait un rituel spécifique et sacré dont le rôle fondamental cherchait à maintenir la « cohésion interne de ces sociétés » 494 . Plus de trois mille hommes participaient à la chasse qui, selon Alejandro Figueroa, agissait comme un dispositif social d’organisation et d’entraînement des guerriers, dont les plus habiles seraient amenés à occuper la fonction de chef. L’habitat des Cáhita était constitué de maisons appelées chiname, c’est-à-dire des habitations rondes ou rectangulaires confectionnées avec des roseaux, du bambou tressé, recouverts de boue séchée pour les murs tandis que le toit, de forme conique, était élaboré, selon les régions, avec du roseau, du jonc ou de la palme. Sans oublier de mentionner aussi la Enramada ou Ramada (une sorte d’auvent), un toit de roseaux ou de joncs supporté par des poteaux en bois de Mezquite, qui servait pour la préparation des repas ou, quand la chaleur était trop forte, pour dormir.

Les Cáhita pratiquaient de nombreux jeux dont le plus répandu et encore en usage s’appelle le hulama, un jeu de balle semblable à celui des Méso-Américains. Ils jouaient aussi à un jeu de dés appelé patolli. Les jeux de hasard étaient d’ailleurs l’occasion de faire de nombreux paris pour lesquels les hommes étaient prêts à miser tous leurs biens (manteaux, peaux, coquillages et pierreries). En outre, les confrontations entre les deux équipes donnaient lieu à des cérémonies très compliquées pendant lesquelles les sorciers essayaient de favoriser, par différents sortilèges, l’une des deux équipes. Les Yaqui, par exemple, jouaient au womi 495 , au ochia bweha (pratiqué par les femmes) ou au gocgímmari. Ces jeux pouvaient rassembler toute la population de plusieurs villages.

Enfin, pour clore ce rapide survol de la spécificité des peuples cáhita, nous devons nous arrêter sur le point autour duquel tous les chercheurs s’accordent : les Cáhita étaient de magnifiques guerriers. D’ailleurs les Espagnols, dès leurs premiers affrontements avec les Cáhita, les ont présentés comme les meilleurs guerriers de tout le Mexique. Les armes offensives et défensives des Cáhita étaient l’arc, les flèches (souvent empoisonnées), la massue, la lance en pointe d’obsidienne et le bouclier en peau de caïman. Les guerriers se peignaient le visage et le corps, portaient des ornements de plumes de papagayo ainsi que des coquillages et des perles. Le gouverneur Francisco de Ibarra 496 rapporte qu’il a été reçu par mille guerriers Sinaloa, distribués en quatre escadrons parfaitement ordonnés, portant de riches boucliers décorés de plumes ainsi que des lances, des massues, ornées de coquillages, de perles et de plumes. L’organisation politique autour de la guerre était sous l’autorité du « Conseil des anciens » 497 , des caciques, des sorciers et de certains guerriers qui s’étaient illustrés par leur bravoure. Il faut en outre préciser que la guerre ne résultait pas de « l’échec des relations commerciales » 498 , mais avant tout de la nature guerrière des peuples cáhita qui, pour préserver leur autonomie, se distribuaient en « unités sociologiques égalitaires, libres et indépendantes » 499 . Pour les Cáhita, selon Juan José Rodríguez Villarreal, le guerrier, constamment poussé à réaliser de nouvelles prouesses, n’avait pas d’autre alternative que la mort. Le guerrier est un être de la mort, de la mort qui va le dissoudre dans le ventre de Vateconhoatziqui pour qu’il puisse rejoindre la demeure de Itom’achai. Le destin du guerrier Cáhita ressemble à celui que les guerriers azteca, morts sur le champ de bataille, connaissaient, c’est-à-dire accompagner Tonatiuh dans sa course du levant au zénith. La cosmovision des peuples cáhita s’inscrit, à partir des éléments mis en évidence, dans le trinôme Religion-Guerre-Mort, c’est-à-dire une triade dans laquelle s’exprime leur spiritualité, leur culture guerrière et leur attitude face à la mort 500 . Ainsi il faut préciser, que la cosmovision des Cáhita ne s’est pas seulement organisée autour de la divinité Vateconhoatziqui et du nain, Batzu’Uni, qui faisait traverser, sur sa barque, les esprits des guerriers morts, mais aussi autour d’autres déités comme Vari sehua ou Vairubi. Les croyances religieuses des Cáhita se manifestaient autour des phénomènes de la nature comme le vent, la pluie, le feu, les éclairs, etc., mais aussi autour du Soleil (principe masculin), de la Lune (principe féminin) et d’idoles en bois ou en pierre aux multiples dénominations et fonctions. Les Cáhita accordaient aussi une valeur profonde aux phénomènes de la « surnature » que les Yaqui, par exemple, appréhendaient dans le huya aniya/yo aniya. Le Jitebií, chez les Yaqui, aujourd’hui encore, utilise les esprits du huya aniya, à travers la fumée du macucho, pour se rendre maître des pouvoirs invoqués.

Afin d’apporter une dernière précision, pour apprécier à sa juste valeur la réalité socioculturelle des Cáhita, nous pouvons dire, d’après les travaux de Sergio Ortega Noriega, que la population cáhita était, avant l’arrivée des Espagnols, estimée à 220 000 habitants auxquels nous devons ajouter 200 000 Tahue que Spicer, pour sa part, tient à incorporer dans l’entité cáhita.

Après ces différents commentaires sur la population cáhita, nous allons aborder de nouveau le phénomène des interrelations entre les groupes de Oasisamérica et ceux de la Méso-Amérique. Il faut encore préciser qu’avant sa division, le Sonora, entre 1810 et 1832, était le plus grand État de la République, devant le Chihuahua. Le Sonora a été finalement divisé pour créer le Sinaloa, État limité au Nord par le Río Fuerte et au Sud par le Río Acaponeta (Fig. 8). Le Sonora était une aire géographique immense, que nous devons aussi considérer dans le phénomène de sédentarisation et d’expansion méso-américaine qui, à partir de 500/600 apr. J.-C., établit les frontières de ce qui est présenté comme la Méso-Amérique 501 et cela jusqu’à l’arrivée des Espagnols (Fig. 9). Alfredo López Austin fait d’ailleurs remarquer, malgré la diversité culturelle et linguistique des peuples méso-américains, que tous ces peuples provenaient d’une base culturelle commune, c’est-à-dire qu’ils étaient tous agriculteurs et vivaient de la production du maïs, de la calebasse, du haricot et du piment.

Eduardo Matos Moctezuma pense d’ailleurs, qu’entre l’émergence de la société Olmeca et celle des Azteca, il ne se « produisit pas de changement radical, qualitatif, qui puisse faire penser à un nouveau mode de production, ou si l’on préfère, à des sociétés dans lesquelles seraient apparus des changements fondamentaux dans le tout social » 502 . Cette affirmation contredit les différences établies par les spécialistes entre le Classique et le Postclassique, entre les sociétés théocratiques et militaristes, qui pour Moctezuma n’ont plus lieu d’être. Pour lui, il n’est observé aucun changement qualitatif, mais simplement des modifications « superstructurelles » 503 .

Partie 2 - fig. 8. Carte des limites Nord-Sud du Sinaloa.
Partie 2 - fig. 8. Carte des limites Nord-Sud du Sinaloa.

Source : Historia antigua de México, vol. 1, Manzanilla Linda y Leonardo López Luján.

Partie 2 - fig. 9. Carte de la Méso-Amérique.
Partie 2 - fig. 9. Carte de la Méso-Amérique.

Source : Historia antigua de México, vol. 1, Manzanilla Linda y Leonardo López Luján.

Sans chercher à produire une synthèse des relations et des échanges entre l’aire méso-américaine et celle que l’on nomme Oasisamérica, compte tenu de la fluctuation expansionniste et rétrocessive de la frontière septentrionale du concept Méso-américain 504 , nous citerons quelques éléments qui, à notre avis, sont très intéressants et parfois étonnants. Par exemple, la découverte d’une Archive de Codex dans le village yaqui de Torim.

Pour reproduire les interactions entre les deux aires géographiques (Fig. 10) nous utiliserons les travaux de Beatriz Braniff Cornejo, Marie-Areti Hers et Arturo Guevara Sánchez.

Nous pouvons déjà mentionner les matériaux archéologiques qui certifient par leur provenance les interrelations entre le Nord-Ouest et la Méso-Amérique 505 . Par exemple, nous avons eu le cuivre, le chac mool, le tzompantli, le cloisonné, l’aigle en train de dévorer un serpent, etc. qui étaient déjà représentés dans le Sud-Ouest des États Unis (chez les Hohokam) avant leur apparition en Méso-Amérique.

Pour le Sonora, le site le plus ancien pourrait être, dans un premier temps Huatabampo 506 180 av. J.-C. (le n° 5 sur la carte ci-dessous) ; le « Complexe Huatabampo » avec sa cé­ramique et ses figurines du style « smooth face qui appartiennent à la phase Gavilán à Amapa, Nayarit, entre 300 aC et 200 dC » 507 .

Partie 2 - fig. 10. Zones des interrelations.
Partie 2 - fig. 10. Zones des interrelations.

Source : Los Yaquis. Historia de una cultura, Edward H. Spicer

En outre, nous pouvons signaler la « séquence Snaketown entre 300 aC et 550 dC » 508 , le n° 2 sur la carte ci-dessus avec, par exemple, le « miroir » incrusté de turquoises de for­me circulaire, les dessins zoomorphes, qui « peuvent être considérés comme des symboles iconographiques, systèmes de communication et d’intégration sociale, concepts religieux et formes de pouvoir, qui en accord avec Niederberger sont des diagnostics de la structure méso-américaine depuis la période Olmeca » 509 . D’autres indications nous sont fournies comme ce terrain de jeu de balle 510 datant de 500 apr. J.-C., à Snaketown, où la présence des traits identiques à ceux de la Méso-Amérique fait dire à Arturo Guevara Sánchez : « nous sommes arrivés à considérer que l’aire qui maintenant nous occupe », Oasisamérica et Mesoamérica, « formèrent une unité entre 350 et 1350 dC, hypothèse qui pour être combattue réclamerait beaucoup de temps et d’efforts vu l’actu­elle et évidente carence de données à ce propos » 511 .

Enfin, Marie-Areti Hers signale le « Complexe Aztatlan » entre le VIe et IXe siècle apr. J.-C. ; des restes archéologiques de cette phase appelée « tolteca » 512 ont été retrouvés le long des fleuves Sinaloa et Fuerte.

Le « Complexe Aztatlan », d’après les commentaires de Beatriz Braniff 513 , proposait aussi un système mercantile local (Nayarit et Sinaloa) qui par la suite est devenu l’organisa­tion mercantile du « Grand Aztatlan » 514 s’étendant du Sud-Ouest des États Unis au Sud-Est du Mexique. Ce « système mercantile proposait la distribution du cuivre et de la turquoise et était accompagné du concept idéologique du Xiuhcóatl » 515 , c’est-à-dire le serpent du feu libérateur pour Quetzalcóatl ou arme cosmique dans les mains de Huitzi­lopochtli 516 .

Partie 2 - fig. 11. Xiuhcóatl, qui est également le nahual de Huehuetéotl.
Partie 2 - fig. 11. Xiuhcóatl, qui est également le nahual de Huehuetéotl.

Source : Los Yaquis. Historia de una cultura, Edward H. Spicer.

Le corridor de la frange côtière occidentale du « Complexe Aztatlan », confirmerait la réalité des interrelations entre le Nord-Ouest et le centre du Mexique et viendrait appuyer l’hypothèse d’Arturo Guevara Sánchez sur l’unité des interactions, de 350 à 1350, entre Oasisamérica et la Méso-Amérique avec le phénomène « expansif/rétrocessif » des limites nord occidentales.

D’ailleurs, la séquence chronologique du « Complexe Aztatlan » est encore tributaire de l’appréciation qu’en font les différents auteurs ; pour certains, la phase culturelle d’Az­tatlan se situe entre 750 et 900 dC et pour d’autres entre 450 et 600 dC.

Il faut également préciser que l’habitat avait, autour des fleuves San Lorenzo et Culiacán, à l’arrivée des Conquistadors, aux ordres du capitaine Nuño de Guzmán, la forme de villes prospères, avec d’importants marchés, exerçant leur domination sur un nombre important de « rancherías » 517 ou « aldeas » tout le long des fleuves.

Malheureusement, d’après Marie-Areti Hers, il n’est pas encore possible de dater précisément l’apparition de ces centres urbains.

Les preuves des contacts entre le centre du Mexique et le Río Fuerte, pour la zone la plus éloignée (près de 2 000 km), sont, d’une part, certifiées par la « présence — sur la céramique de fabrication locale — de motifs similaires à ceux du type noir sur orangé Azteca I de Culhuacan et à ceux des Codex du groupe Borgia » 518 , et d’autre part également attestées par leurs « similitudes avec les types céramiques Coyotlatelco, Mazapa et Matlatzinca, en plus de la présence de formes similaires à celles des poteries orangées fines et Plombées de distribution pan-méso-américaine… » 519 . Et, si nous considérons la distance entre les deux pôles les plus éloignés, 2 000 kilomètres entre le centre du Mexique et la zone du Río Fuerte (Sinaloa), comment les artisans potiers du Nord-Ouest ont-ils pu reproduire les mêmes motifs ?

Des réponses apportées nous ne retiendrons que l’hypothèse la plus moderne qui fait état « d’un complexe réseau commercial dominé par des gens du centre » 520 .

Cette hypothèse, d’après Marie-Areti Hers, devrait « orienter les futures enquêtes de terrain qui ne pourront laisser de côté une autre question difficile à résoudre : comment les artisans potiers de chaque localité ont-ils intégré à la décoration de leurs poteries des motifs propres aux Codex ? On a implicitement nié la possibilité de la présence de Codex dans ces contrées et en Occident en général et, à plus forte raison, leur production locale » 521 .

Le professeur Sandomingo nous apporte un élément de réponse très intéressant au sujet de la présence de motifs propres aux Codex dans ces régions et ouvre de nouvelles pers­pectives pour l’étude sur les interrelations entre les peuples Cáhita et les sociétés méso-américaines. C’est la découverte dans le village yaqui de Torim d’une Archive de Codex qui, selon les propres dires du professeur, provoqua la stupéfaction des Espagnols qui quelque temps après promulguèrent un Autodafé pour brûler tous les Codex. Le premier archevêque de la Nouvelle Espagne, D. Juan Zumárraga, avait promulgué la destruction des signes de la manifestation du démon que les chúculi cuálim, les « jupes noires » 522 , comme les ont dénommés les Yaqui, ont méthodiquement appliqué 523 . Les jésuites avaient compris que pour asseoir leur domination sur les « Indigènes », ils devaient casser le pouvoir exercé par les Caciques et les Hechiceros.

La conquête spirituelle des Amérindiens justifiait alors la négation et la destruction des signes réels de l’existence d’une pensée religieuse et philosophique chez ces hommes de l’autre monde. Les actes d’extirpation et de conversion imposés à ces sauvages sans foi ni lois, étaient dès lors un pas de plus vers leur humanisation ; la controverse de Valladolid a fait date dans l’histoire humaine et les arguments défendus par Las Casas contre Sepúlveda ont finalement doté les Indiens d’un corps et d’une âme.

Les Codex de Torim étaient la personnification du mal et ils fallaient tous les brûler. Pourtant, ces Codex brûlés, d’après le professeur Sandomingo, se composaient surtout de différents types de documents, des traités d’alliance, des manuscrits, des peintures, qui provenaient soit des butins dérobés lors des campagnes militaires contre les ethnies voisines soit des échanges qui se produisaient entre les sociétés méso-américaines et les populations de la frange côtière nord occidentale. Rien de maléfique et de destructeur.

Un jésuite anonyme du Rectorat des Trois Saints Martyres du Japon 524 , a pris la peine de déchiffrer, sur un vieux papier en fibres de maguey, un nombre important de glyphes idéographiques : par exemple, la rivière Bacoachi ou Bacuachi, était représentée par plusieurs signes que le jésuite décompose de la façon suivante :

« Ba, un tourbillon d’eau ; Coa, un serpent à la tête dressée ; Chi, terme révérenciel » 525 ou bien pour Cahuiona ou Kawiona, une « montagne représentée par une ligne incurvée et en-dessous un cercle avec des points, qui disait : Cahui, montagne et Ona, sel et le mot tout entier Cahuiona, la Montagne du Sel » 526 .

Nous savons que la rivière Bacoachi a été une voie de contact entre la Culture Trincheras et les Seri de la côte avec lesquels la Culture Trincheras faisait le commerce de coquillages (l’espèce Glycimeris) 527 et où, vers le lieu-dit El Reliz Pintado, ont été découvertes des pictographies de couleur orangée appartenant le plus vraisemblablement à la culture Seri ou à leurs ancêtres mythologiques, les « Six KóosiaT » 528 .

La destruction des documents en fibres de maguey, en peaux de cerfs ou en toiles de coton d’agave 529 , est une perte irréparable pour « l’Histoire Sonorense et la Préhistoire du vieux Pusolana » 530 . L’art de la gravure comprenant les peintures rupestres, les géoglyphes, les pétroglyphes, mais aussi les Codex de l’ère Olmeca, est le patrimoine culturel qui, sans la mémoire de la tradition orale, aurait eu une signification incomplète.

Au Sud de la Sierra del Bakatebe, près du Rancho Agua Caliente, nous trouvons, sur une pierre appelée par les Yaqui Muteka et connue sous le nom de Pierre écrite ou de Pierre ancienne, des dessins finement gravés. Le Mtro. Carlos Silva, confirme la venue de plusieurs spécialistes étrangers qui ont tenté de déchiffrer les pétroglyphes, mais sans succès.

Les pétroglyphes de cette Pierre dont il n’existe, à notre connaissance, aucune reproduc­tion, dateraient de la même époque (au moins 4 000 ans pour les plus anciens) que les pétroglyphes du site de Caborca (ci-dessous), situés sur le territoire des Pima-Pápago, qui présentent des similitudes flagrantes avec le style des Pierres découvertes en Californie et au Nevada, dans cet endroit de « Coso Range » qui en compte plus de 14 000.

Partie 2 - fig. 12. Pétroglyphes de la « 
Partie 2 - fig. 12. Pétroglyphes de la « Proveedora » Caborca.

Source : Los Yaquis. Historia de una cultura, Edward H. Spicer.

Ambrosio Castro Buitimea 531 , poète yaqui, a écrit un poème sur la Pierre écrite de Muteka.

A Muteka.

De Muteka al oriente,

está el aguaje Los Limones ;

rodeado de grandes mezquitones.

Y hace bonito ambiente.

Sale el agua de una peña,

brinca las piedras que forman galería.

Pasa el arroyo la ranchería

que en dulces éxtasis sueña.

Las cabras de Tía Chalía,

frente a la antigua vinata.

También una palma muy alta

con el viento hace armonía.

En mi casa dos chalates

y otras ramas con espinas,

en el patio muchas gallinas

y entre ellas unos chanates.

En el fondo del arroyo,

incrustada una piedra,

como estampa una culebra,

donde el agua hace murmullo.

Pour restituer seulement l’allusion métaphorique à la pierre, voici la traduction littérale des quatre derniers vers :

« Dans le fond de la rivière,

incrustée une pierre,

pour estampe un serpent,

là où l’eau murmure ».

Le motif sur la pierre, seulement pour celui qui est mentionné (il nous a été impossible de trouver un croquis), semble restituer l’association du serpent et de l’eau. Les deux éléments font réapparaître la thématique des valeurs opposées dans la combinaison du serpent et de l’eau, qui synthétisent les trois niveaux de la transcendance. Quant aux pé­troglyphes de Caborca, les plus anciens représentent soit des figures humaines, des Borregos Cimarrón 532 , des Berrendos (Antilocapra americana sonoriensis), des petits mammifères, des reptiles, des insectes ou des dessins abstraits et des formes géométriques 533 .

Les peintures des Borregos, ainsi que celles des autres figures anthropomorphes et animales (Fig. 13), dans les Sierra de San Francisco, San Borja, San Juan et Guadalupe, sont presque toujours de couleur noire et rouge, avec parfois du blanc et du jaune ; ces couleurs rouges et noires sont celles que les maîtres des Codex, utilisent pour conserver la mémoire de leurs mythes.

In tlilli in tlapilli, « la couleur noire et rouge, la connaissance », les couleurs de la sagesse, de la dualité, de la lumière et de l’obscurité, de la mort et de la vie, symboles de l’au-delà, de la conscience enfin maîtrisée par ceux qui ont accompli la jonction entre les opposés.

Partie 2 - fig. 13. Figure anthropomorphe en noir et rouge.
Partie 2 - fig. 13. Figure anthropomorphe en noir et rouge.

Source : Los Yaquis. Historia de una cultura, Edward H. Spicer.

Sur d’autres peintures, représentant des scènes de chasse, des figures humaines portent dans leurs mains le atlatl, le « propulseur », instrument que les hommes de la préhistoire ont inventé pour chasser et pour se défendre.

A propos de la chasse, la scène représentée sur les pétroglyphes de la « Proveedora » 534 de Caborca (Fig. 12) est une cérémonie de chasse qui se rapproche de celle que les Azteca organisaient en l’honneur de leur divinité Camaxtle/Mixcóatl, la chasse du Momazaizo, que nous avons déjà décrite 535 .

Manuel Robles Ortíz précise que certaines des figures humaines montrent une tête représentée par deux cercles concentriques, qui pourraient être l’expression de la dualité. Pour lui, la représentation suggère l’emploi d’un masque qui symboliserait le concept de la dualité.

La marque de la dualité nous la trouvons dans le principe originaire, c’est-à-dire Ometéotl, symbole de la dualité, car il porte le masque du double, Tezcatlipoca/Tezcatlanex­tia, figurant la « représentation de l’autre moi », telle que Walter Krickeberg l’a définie.

Pour les Yaqui, les Pajkoola, au cours des danses rituelles avec le Maáso, participent de la même marque du double par le port d’un masque figurant des animaux. Les deux po­sitions du masque, de profil 536 et de face, révèlent ce phénomène de la métamorphose et de la dualité. Il s’agit de l’acte transcendant de la mimésis d’imprégnation 537 en cet instant qui voit les Pajkoola se transformer en colibri, en coyote, en lézard, en serpent, etc.

Dans ce rapport de correspondance autour de la dualité, la découverte de l’Archive de Codex dans le village yaqui de Torim, pourrait confirmer que la région du Nord-Ouest (qui dès les premières vagues migratoires des hommes préhistoriques a toujours été un corridor naturel de migration vers le Sud), soit devenue une région importante (celle du peuple Cáhita) parce que « c’est une aire de transition entre la culture méso-américaine et la culture des indigènes du Nord-Ouest. […] C’est aussi, une zone de flux et de reflux où la frontière avance ou recule » 538 . Le phénomène de « méso-américanisation » 539 dans la zone mentionnée, connaît alors une certaine continuité entre 700 et 900 apr. J.-C.

Partie 2 - fig. 14. Ouest et Nord-Ouest depuis 700/900 apr. J.-C.
Partie 2 - fig. 14. Ouest et Nord-Ouest depuis 700/900 apr. J.-C.

La carte donne les emplacements des sites ayant eu des interrelations avec la Méso-Amérique.
Source : En le País de los Yaquis, Ma. De Los Angeles Orduño García.

A partir de ces indications, il est fort possible que les interactions entre Teotihuacan et des sites aussi éloignés que ceux du Río Fuerte (Fig. 15) n’aient posé aucun problème.

D’ailleurs, Dominique Michelet, à partir des travaux effectués par J. Charles Kelley ou Marie-Areti Hers, considère que cette partie de l’occident a connu « son apogée au mê­me moment que le grand centre classique de Teotihuacan » 540 .

Il paraît donc tout a fait probable que le peuple Cáhita (par exemple, les groupes du site de Guasave, lettre a de la Fig. 14) ait, pendant la période mentionnée, profité du réseau commercial pour faire des échanges. Sergio Ortega Noriega 541 , signale que les cultures préhispaniques de Sinaloa étaient des sociétés très développées et c’est pour cette raison que les archéologues les classent dans l’aire culturelle nommée Méso-Amérique ; Guasave est donc considéré comme la frontière Nord de la Méso-Amérique.

Les archéologues, toujours selon Sergio Ortega Noriega, « affirment que les cultures préhispaniques de Sinaloa étaient une extension des cultures du Nayarit, et que le plateau sinaloense était un corridor de communication par où circulaient les influences culturelles réciproques entre la Méso-Amérique et les groupes du Nord » 542 .

Enfin, Guasave est le site où les archéologues ont trouvé les plus nombreux vestiges de la culture qu’ils ont nommée « Complexe Aztatlan ».

Dans ce champ des interrelations entre les sociétés mentionnées, Wigberto Jiménez Moreno voit dans les Tahue, qui se situaient entre le Río Piaxtla (ou Piantla) et au Nord de celui de Culiacán (ou Culhuacan), mais aussi chez les Totorame 543 , des sociétés qui possédaient un haut degré de stratification sociale avec une organisation politique basée sur une technologie agricole très développée. Les témoignages des premiers chroniqueurs, lors de leur incursion sur ce territoire, confirment ce point ; en effet ils comparent ces sociétés avec les groupes situés dans les États de Jalisco et du Michoacán.

Partie 2 - fig. 15. Les onze fleuves de Sinaloa.
Partie 2 - fig. 15. Les onze fleuves de Sinaloa.

Source : Neo’Okay, PERIÓDICO BILINGÜE YAQUI, Dirección General de Culturas Populares, Sonora, Abril y Julio de 1993.

Sergio Ortega Noriega, considère également que la culture de ces deux groupes, les Tahue et les Totorame, avait atteint un niveau très élevé de production avec la capacité d’exploiter les terres moins fertiles ; leur économie basée sur l’agriculture « incluait le commerce organisé et la manufacture de textiles et de la céramique » 544 .

Partie 2 - fig. 16. Les Cáhita et leurs voisins avant 1600.
Partie 2 - fig. 16. Les Cáhita et leurs voisins avant 1600.

Source : En le País de los Yaquis, Ma. De Los Angeles Orduño García.

La société des Tahue, d’après Sergio Ortega Noriega, était hautement stratifiée avec un pouvoir politique qui s’était organisé autour du concept du « Cacicazgo » sans pour au­tant établir une cohésion pérenne avec les autres centres de pouvoir sous l’autorité d’un Cacique 545 .

Chez les Yaqui, la situation était un peu différente avec une production agricole tributaire d’inondations régulières qui permettaient deux récoltes annuelles. Alejandro Figueroa considère que les Yaqui 546 possédaient une organisation sociale et politique supéri­eure à celle des autres groupes Cáhita. Et, cela est confirmé par la réalité territoriale des Yaqui qui, selon Alejandro Figueroa, apparaissaient comme une confédération 547 regroupant plusieurs communautés qui leur donnait une unité politique basée sur le sentiment d’appartenir, malgré les rivalités ethniques, à une même communauté.

Un autre élément complique un peu plus cette perception des Yaqui : leurs affinités avec les Mayo. Les Yaqui s’appellent entre eux yo’emem ou yolemem et les Mayo yoremem, c’est-à-dire une autodénomination lourde de sens, car yo’eme (au singulier) est le terme qui en fait donne son identité à ces hommes qui ne deviennent des Yaqui ou des Mayo, qu’à partir du moment où ils rentrent en contact avec les Espagnols.

Ainsi, la perception du peuple Cáhita, comme le fait remarquer Alejandro Aguilar Zeleny 548 , devrait se situer sur des positions plus ouvertes où par exemple, pour nous intéresser à d’autres groupes Cáhita ou voisins, il faudrait considérer les liens de parenté entre les Warohío ou Guarijío avec les Rarámuri (Tarahumara), et entre les Warohío et les Mayo du Sinaloa et du Sonora, ainsi qu’avec les Yaqui.

Le découpage du Mexique (Fig. 2) avec ses différents États et la redistribution ethnico-étatique, sont des facteurs qui ont introduit plusieurs niveaux de confusion sur l’ap­partenance des groupes à certains États, comme par exemple les Yaqui avec le Sonora ; en effet il faut se garder de définir ces groupes ethniques uniquement par rapport à leur assise géographique, désormais délimitée par les frontières étatiques du Mexique moderne.

Ainsi, faire abstraction de la territorialité ethnolinguistique des Cáhita, telle que Edward Spicer (Fig. 16) la présente, serait occulter un rapport pluriethnique qui déborde largement du cadre restreint établi par le découpage actuel des États mexicains. García Wikit Santos, pour sa part, montre son désaccord quand il donne les limites de Pusolana. Il inclut une approche beaucoup plus large de l’influence exercée par les premiers groupes Cáhita qui au cours de leur sédentarisation ont dû subir ce phénomène de la territorialité produisant les dissemblances entre les groupes humains du même tronc linguistique.

D’ailleurs, la limite méridionale de Pusolana, Masobwiya, avant qu’elle ne soit « na­huatlisée » en Mazatlán, laisse entrevoir les affinités culturelles qui, malgré l’évolution logique des langues, se retrouvent dans l’expression des codes mythiques et culturels des Cáhita. Par exemple, la récurrence de ce patron culturel autour de la figure du Cerf, source de connaissance et de sustentation.

En effet les témoignages recueillis par Buelna et Acosta 549 sur le groupe Cáhita des Yaqui, signalent l’existence d’une grande nation, comme le prouve l’unité du langage dans la zone concernée ; mais une nation qui, au moment de ce premier contact, s’était déjà fractionnée en de nombreuses ethnies. Les Yaqui possédaient, selon les sources historiques, un territoire qui s’étendait du Río Yaqui (le Jiak Ba’tue) jusqu’au Río Mocorito, soit du Nord au Sud près de 400 kilomètres, et en faisait les voisins directs des Tahue.

Les Cáhita créent une zone intermédiaire entre Oasisamérica et Mesoamérica, par leurs affinités culturelles et linguistiques, car ils participent aux interrelations commerciales entre les deux aires. Enfin, il faut se rappeler que les Yaqui sont considérés comme le groupe Cáhita présentant une unité sociale et politique capable de maintenir une autono­mie que les Espagnols ne pourront pas briser.

Notes
479.

Lorena Mirambell S., « Los primeros pobladores del actual territorio mexicano », Historia antigua de México, vol. 1, op. cit., p. 178.

480.

Pablo Martínez del Río, Orígenes del hombre americano, Ed. CNCA, México, 1997, pp. 18-19.

481.

Lorena Mirambell S., Historia antigua de México, vol. 1, op. cit., p. 179.

482.

Manuel Robles Ortíz, Sonora . Arte rupestre. Tradiciones, Mitos e Historia, op. cit., p. 14.

483.

Manuel Robles Ortíz, Sonora . Arte rupestre. Tradiciones, Mitos e Historia, op. cit., p. 18.

484.

Primer simposio de historia de Sonora, Memoria, Uni-Son, Instituto de Investigaciones Históricas, 1976, p. 146.

485.

Nous préférons conserver le terme de groupe, « grupo » en espagnol, au lieu de celui de bande, car il correspond à la traduction du mot utilisé par les chercheurs mexicains.

486.

Nous utilisons le terme espagnol, car nous n’avons pas trouvé de terme correspondant en français.

487.

Manuel Robles Ortíz précise tout de même que les Amargosanos dessinaient des figures raclées, mais en très petit nombre.

488.

Sociedad Sonorense de Historia, in Boletín de la Sociedad de Historia, n°14, Marzo-Abril, 1984.

489.

Sonora provient du mot ópata « xunuta » qui signifie le « Lieu du maïs ». Sinaloa, dont l’étymologie est encore très incertaine proviendrait du cáhita et pourrait signifier le « Lieu des Pitahaya dans l’eau ».

490.

Sociedad Sonorense de Historia, in Boletín de la Sociedad de Historia, n°30, Enero-Febrero, 1987.

491.

Universidad de Sonora. Unidades Regionales, page officielle Internet.

492.

Affirmation qu’il faut encore considérer avec beaucoup de précautions.

493.

La composition du groupe cáhita, selon les différents ouvrages consultés, n’est pas toujours la même.

Pour certains auteurs les Tahue, les Acaxee, les Xixime, etc., ne sont pas des Cáhita, tandis que pour Ed­ward Spicer, par exemple, cela ne fait aucun doute.

494.

Alejandro Figueroa, Por la tierra y por los santos, op. cit., p. 56.

495.

Cf. 3ème partie.

496.

Juan José Rodríguez Villarreal, Los indios del noroeste en los escritos de sus cronistas, op. cit., p. 40.

497.

Ibid., p. 150.

498.

Ibid., p. 148.

499.

Ibid., p. 150.

500.

Le père Andrés Pérez de Ribas était horrifié de la fréquence, dans les noms yaqui, du terme « mea » qui signifie « tuer ».

501.

Eduardo Matos Moctezuma, « Mesoamérica », Historia antigua de México, vol. 1, op. cit., p. 72.

502.

Ibid., p. 68.

503.

Eduardo Matos Moctezuma, « Mesoamérica », Historia antigua de México, vol. 1, op. cit., p. 68.

Pour une plus ample information sur ce point, nous renvoyons aux ouvrages de références inclus dans la bibliographie d’Eduardo Matos Moctezuma.

504.

Historia antigua de México, vol. 1, 2, 3, op. cit.

505.

Beatriz Braniff Cornejo, « La frontera septentrional de Mesoamérica », Historia antigua de México, vol. 1, op. cit., pp. 125-132. Nous pouvons citer la turquoise, la hache de gorge, la porte en T, le coton, les peaux de bisons, les plantes médicinales (ce qui précise à nouveau les connaissances botaniques des peuples nordiques), et les coquillages qui semblent provenir du Golfe de Californie et de la Haute Californie.

506.

Beatriz Braniff Cornejo précise que cette date est encore de l’ordre de la spéculation.

507.

Beatriz Braniff Cornejo, Historia antigua de México, vol. 1, op. cit., p. 126.

508.

Beatriz Braniff Cornejo, Historia antigua de México, vol. 1, op. cit., p. 126.

509.

Ibid., p. 127.

510.

Arturo Guevara Sánchez, « Oasisamérica en el Posclásico : la zona Chihuahua », Historia antigua de México, vol. 3, op. cit., p. 334.

511.

Arturo Guevara Sánchez, Historia antigua de México, vol. 3, op. cit., p. 345.

512.

Beatriz Braniff Cornejo, Historia antigua de México, vol. 1, op. cit., p. 129.

513.

Ibid., pp. 129-130.

514.

Ibidem.

515.

Ibid., p. 130.

516.

Cf. 3ème partie.

517.

Les « rancherías », sont des unités de coexistence à estimer entre le petit village et le campement.

518.

Marie-Areti Hers, « La zona noroccidental en el Clásico », Historia antigua de México, vol. 2, op. cit., p. 251.

519.

Ibidem.

520.

Ibidem.

521.

Ibidem.

522.

Palemón Zavala Castro, El indio Cajeme y su nación del Río Yaqui, SFEC, Sonora, 1985, p. 64.

523.

Par exemple la bibliothèque de Texcoco qui fut totalement ravagée par les flammes de la conversion.

524.

Juan Nentuig, auteur de la relation, « El Rudo Ensayo. Descripción geográfica, natural y curiosa de la provincia de Sonora », a occupé la charge de Recteur des Trois Saints Martyres du Japon pendant plusieurs années, lors de son séjour dans la Pimería Alta, les missions Ópata et dans le Sonora, entre 1751 et 1767.

525.

Manuel Sandomingo, Historia de Sonora . Tiempos prehistóricos, op. cit., p. 422.

526.

Ibidem.

527.

Manuel Robles Ortíz, Sonora . Arte Rupestre. Tradiciones, Mitos e Historia, op. cit., p. 40.

Ces coquillages servaient à la fabrication de bracelets et de différents ornements que l’on retrouve dispersés dans les zones d’occupation des Amérindiens du Colorado, de l’Arizona, de l’Utah et du Nouveau Mexique.

528.

Ibid., p. 41.

529.

José P. Nicoli, Yaquis y Mayos. Estudio histórico, Imp. Francisco Díaz de León, México, 1885, p. 31.

530.

Manuel Sandomingo, Historia de Sonora . Tiempos prehistóricos, op. cit., p. 423.

531.

Juan A. Ibarra Norriega, « Ambrosio Castro Buitimea. Poeta de la raza yaqui », Revista. Sonora Mágica, n° 91, diciembre 1990.

532.

Dans les régions du Sud-Ouest des États Unis et du Nord-Ouest du Mexique, nous trouvons le genre Ovis de l’espèce Ovis canadensis avec les sous-espèces O. c. cremnobates, O. c. nelsoni, O. c. weemsi et O. c. mexicana. Les fouilles récentes dans l’ancien delta du Río Colorado, proche du Golfe de Santa Clara, Sonora, signalent la découverte « des restes fossilisés de chevaux primitifs américains, (Equus), antilopes, canidés, félidés, tapirs, cervidés, et… ovinés. Cela n’aurait rien de spectaculaire, si ce n’est que ces restes datent d’au moins d’un à deux millions d’années ». (Cf. Alberto Tapia Landeros, Cimarrón, Dirección General de Investigación y Posgrado de la UABC, mars 1996. Document Internet).

Dans la cosmo-anthropogenèse des Kiliwa (Indiens de la Basse Californie), le Borrego est associé à la constellation d’Orion, constituant le cadre des interactions entre la chasse, les étoiles et l’eau. Le Borrego a été créé par Meltí-ipá jala’ú, le « coyote-gens-lune », divinité du monde Kiliwa, qui a créé de ses mollets quatre Borregos cimarrones qui ont pour tâche de soutenir avec leurs cornes le ciel.

Nous retrouvons ici la thématique du nombre quatre avec l’action de quatre porteurs qui nous rappelle le rôle attribué aux quatre porteurs de la mythologie nahuatl.

Enfin, les Borregos soumis aux conditions de survie de leur habitat naturel, mettent en application ce phé­nomène de la mimésis d’imprégnation : les spécimens de Basse Californie, Sonora et Chihuahua, sont plutôt de couleur café clair, ce qui est un mimétisme protecteur en harmonie avec leur environnement.

533.

Manuel Robles Ortíz, Sonora . Arte Rupestre. Tradiciones, Mitos e Historia, op. cit., p. 28.

534.

Manuel Robles Ortíz, Sonora . Arte Rupestre. Tradiciones, Mitos e Historia, op. cit., p. 28.

535.

Cf. 2ème partie.

536.

Le masque peut aussi être porté derrière la tête.

537.

René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Ed. Grasset & Flasquelle, 1978, p. 14.

538.

Juan José Rodríguez Villarreal, Los indios del noroeste en los escritos de sus cronistas, op. cit., p. 14.

539.

Dominique Michelet, « La zona occidental en el Posclásico », Historia antigua de México, vol. 3, op. cit., p. 154.

540.

Ibidem.

541.

S. Ortega Noriega, Un ensayo de historia regional. El Noroeste de México. 1530/1880, UNAM, 1993.

542.

Ibid.

543.

Le groupe des Totorame n’est pas un peuple Cáhita.

544.

Sergio Ortega Noriega, Un ensayo de historia regional. El Noroeste de México. 1530/1880, op. cit.

545.

Le terme de « Cacique » est originaire des Antilles et provient du mot « kassicuan » qui en langue Arawak signifie « avoir ou maintenir une maison » ; ce mot fut utilisé pour désigner les Autorités locales, c’est-à-dire le « Cacique » ou le « Principal ». (Cf. Griselda Sarmiento, « La creación de los primeros centros de poder », Historia antigua de México, vol. 1, op. cit., pp. 247-275).

546.

Alejandro Figueroa, Por la tierra y por los santos, op. cit., p. 56.

547.

Le concept de « confédération » appliqué aux Yaqui, prend une dimension plus allogène, car ils sont décrits (par Alfonso Fabila) comme faisant partie de la grande « confédération Indienne » qui regroupe les Yaqui, Mayo, Pápago, Pima, Ópata, Euleve, Seri et Apache.

548.

INI, Etnografía contemporánea de los pueblos Indígenas de México. Región del Noroeste, Secretaría de desarrollo Social, Hermosillo, México, 1995.

549.

Josefina Urquijo Durazo, « ¿Yaqui-Mayo o Cáhita ? » Simposio de Historia y Antropología de Sonora, vol. 12, Unison, Instituto de Investigaciones Históricas, Universidad de Sonora, México, 1978, p. 363.