La dualité des corps

Le système religieux des Yaqui, dans ce qu’ils ont su re-élaborer et préserver de son origine préhispanique, appartient à ce que Edward Spicer nomme une variation du type « yuto-azteca central » 1013 . Spicer introduit cette variation pour le différencier du type « Azteca du Sud et du Shoshone du Nord » 1014 . Dans son appellation de « yuto-azteca central », il est composé de quatre ramifications : la huichol-cora 1015 , la tarahumara, la mayo-yaqui et la pima-tepehuan.

De plus, le système religieux du peuple yaqui est pris dans la règle du cercle cosmique 1016 de la triade « Soleil, Lune et Vénus » 1017 qui traduit l’influence directe des astres et leurs relations avec les pouvoirs du huya aniya/yo aniya. Le Soleil, la Lune et Vénus évoluent dans une séquence rythmée par le mouvement de la double polarité des énergies dont les modalités d’action reproduisent, en fait, le cycle fondamental de la vie :

Naître

Vivre

Mourir

La translation des formes de vie, signifiée par la dualité des éléments cités, renvoie à un rapport au monde où le système des rituels yaqui, par exemple, cherche à s’harmoniser avec le mouvement du monde pour ressentir, lors des modifications d’état et de forme, la dualité des corps. Ainsi, le dualisme stellaire de Vénus 1018 , avec son double caractère comme astre matutinal et vespéral, que les Yaqui nomment « Hermano mayor » 1019 , dénomination qu’ils attribuent aussi au Cerf, au Sewa Wailo, dans son double rôle en tant que Yooeta et Benefactor, traduit l’importance du mouvement des formes dans la réalité vécue par ce peuple. Mais, avant d’aborder le double aspect du « Hermano mayor », c’est-à-dire de Vénus et du Cerf, nous pouvons succinctement rappeler la dualité du Soleil et de la Lune ; Soleil que les Yaqui appellent Itom’achai Ta’ha, « Notre père le Soleil » et qui, sur les essences animiques, imprime tout aussi bien son influence positive que négative.

La médecine traditionnelle yaqui prend en considération les facteurs étiologiques attribués au soleil : son double aspect bénéfique/pathogène est inclus dans la cosmovision populaire qui voit dans les êtres vivants une valeur thermique double : chaud/froid.

Nous observerons, en fait, que la trajectoire du soleil tout au long de l’année sur l’éclip­tique, prend, dans cette « phénoménologie » 1020 des facteurs étiologiques, une importance capitale. La Lune (dans ses phases lunaires) n’est pas exempte de cette même « phéno­ménologie » avec son double rôle d’agent bénéfique/pathogène sur le corps humain. Nous n’insisterons pas non plus, dans ce chapitre, à partir de la période synodique de la Lune, sur la thématique de la mort et de la résurrection, dans laquelle se manifeste le caractère lunaire du Cerf, mais sur cet aspect très particulier qui le voit représenter la fertilité de la nature et son cycle saisonnier. Par exemple, sur les peintures rupestres de Caborca 1021 nous avons une rangée de cerfs qui représentent le cerf dans sa gestation avec les différents moments où on aperçoit l’évolution de son état jusqu’à la venue au monde du faon. La dualité des formes nous inscrit également dans l’en-dehors ou dans « l’autre moi » 1022 que, selon Walter Krickeberg, l’art antique des Amérindiens du Mexique reproduit, par exemple, dans la représentation des dieux du panthéon nahuatl et qui renvoie à ce phénomène complexe du nahualisme. Ce phénomène du double ou de la représentation de l’autre moi repose, en fait, sur le principe originaire dénommé Ometéotl, c’est-à-dire la Dualité suprême dont le double visage (Tezcatlipoca/Tezcatlanextia) élabore une autre réalité dans laquelle la forme du double, souvent terrifiante et monstrueuse, se présente comme l’épreuve à subir pour dépasser sa propre réalité.

Notes
1013.

Leticia Varela, La música en la vida de los Yaquis, op. cit., p. 26.

1014.

Ibidem.

1015.

Actuellement, selon Ilario Rossi, les « experts s’accordent à reconnaître la classification selon laquelle la langue des Huichol, comme les idiomes pima, yaqui, pápago, cora et tepehuana, appartiennent à une subdivision du groupe de la région sonorense méridionale ». (Cf. Ilario Rossi, Corps et chamanisme, op. cit., p. 180).

1016.

Leticia Varela, La música en la vida de los Yaquis, op. cit., p. 142.

1017.

Ibid., p. 26.

1018.

Les informateurs consultés ne nous ont pas donné le nom yaqui de Vénus.

1019.

INI. Diccionario Enciclopédico de la medicina tradicional mexicana, tomo II, 1994, p. 856.

L’appellation de « Hermano Mayor » lui est attribuée dans sa position vespérale et celle de « Hermano Menor » dans sa position d’étoile matutinale.

1020.

Ibid., p. 762.

1021.

Miguel Pérez Negrete, El simbolismo en los indígenas americanos de la tortuga y otros elementos gráficos.

1022.

Walter Krickeberg, Las antiguas culturas mexicanas, op. cit., p. 127.