Le mouvement translatif

Dans l’univers magique de la fleur et des correspondances symboliques entre les nations amérindiennes, le Cerf est appelé par les Nahua Chicomexóchitl, c’est-à-dire « Sept fleur ». C’est aussi le septième signe du tonalli sous la désignation de mazatl, « cerf ». Nous ne reviendrons pas sur la symbolique du chiffre sept que nous avons déjà abordée. Pour la communauté Yaqui, la dimension magico-religieuse du Cerf est très importante et ils en font l’expérience à chaque instant ; ainsi pour protéger leurs enfants de la maladie appelée « coraje », les Yaqui font porter à leurs enfants, autour du cou, un os de cerf. Dans le même esprit de protection, toute famille yaqui se doit de posséder, dans sa maison, une queue de cerf, qu’ils nomment aussi « fleur » ; une « fleur » qui apporte la chance en plus de ses pouvoirs curatifs. Les Yaqui affirment également qu’un homme âgé 1074 , un ancien, peut changer le cours d’un fleuve en utilisant pour cela la queue du cerf, c’est-à-dire sa « fleur ».

Il faut alors reconsidérer, avec plus de nuance, l’idée que le système huichol du Peyotl-Cerf-Maïs serait le complexe original instituant les relations magico-religieuses des Indiens Huichol avec le Cerf. Peter Furst entrevoit, dans un mythe huichol, comment le peyotl, par l’apparition d’un phénomène idéologique, serait venu supplanter la datura ; affrontement terrible qui met en scène le combat entre Kieri (Datura) et Kauyumarie (Peyotl).

Pour résumer le mythe, citons Peter Furst : « …le récit huichol du Kieri a une saveur résolument historique. Nous savons qu’il agit comme un chaman : il soigne, il chante, il joue de son tambour, il converse avec la déité solaire et recherche son aide. Kauyumarie observe et décide que Kieri est en réalité un méchant sorcier qui abuse les gens. Ce n’est qu’après qu’il a appris tout ce qu’il a pu des secrets de Kieri, c’est-à-dire sa magie, que Kauyumarie décide de l’attaquer. Dans la rencontre finale pour vaincre son adversaire, il invoque l’aide de la cactacée du peyotl, laquelle arrête les projectiles de maladie de Kieri, ce qui permet à Kauyumarie de décocher cinq flèches sur la poitrine de son ennemi. Kieri tombe, mais au lieu de mourir et grâce à l’intercession du soleil, son protecteur, il se transforme en une plante qui fleurit. De cette façon il retourne vers sa cachette secrète tout en haut des rochers, où tous ceux qui respectent ses pouvoirs magiques lui rendent hommage et très souvent se retrouvent ensorcelés par son poison, lequel est offert avec des exhortations comme celle-ci : Ici, mange ceci, c’est meilleur que le peyotl » 1075 .

Peter Furst, dans son interprétation du mythe, retient surtout le caractère historique, car il considère « qu’il a dû y avoir une époque dans la préhistoire huichol pendant laquelle s’est produit un déplacement idéologique parmi certains de leurs ancêtres uto-azteca qui se sont éloignés des cultes du datura caractéristiques du Sud-Ouest et ont adopté le peyotl, plus bénin, peut-être quand ils ont trouvé pour la première fois le lophophora williamsii au cours de leur expansion vers le Sud à partir du territoire original de cette importante famille linguistique dans le désert du Sonora-Arizona » 1076 . Enfin, P. Furst met en évidence, que dans la « tradition Kieri-Kauyumarie » 1077 apparaît le souvenir de cette « rivalité réelle entre les deux systèmes symbolisée par les chamans-prêtres des plantes sacrées en compétition, … » 1078  ; rivalité qui peut aussi, toujours selon ses dires, marquer un changement graduel : après une période de coexistence, la datura n’est plus désormais qu’un symbole encore manifestement présent dans les offrandes et les prières, lors des actes religieux. Peter Furst observe un phénomène identique chez les Indiens des Plaines du Sud où le Haricot rouge est supplanté par le peyotl vers la fin du XIXe siècle 1079 .

Le Cerf est animal de l’altération et de l’autre moi, c’est-à-dire une « fleur » qui mange les fleurs du corps conscient du corps pour transmettre alors le message de la liberté.

Les Nahua, d’après Paso y Troncoso, voient en Chicomexóchitl/Xochiquetzal, la « fleur cerf », celui/celle qui distribuait les « grandeurs du monde et les subsistances » 1080 , la nourriture du corps et de son essence que les Nahua reconnaissaient aussi dans Tonacacíhuatl/Tonacatecuhtli où, dans son invocation de Chicomexóchitl, il était le créateur des êtres irrationnels 1081 . Le propos est obscur et abstrait mais, dans la double dénomination de Tonacatecuhtli/Chicomexóchitl (le premier, créateur des êtres rationnels et le deuxième, créateur des être irrationnels), il nous renvoie au domaine du rationnel/irrationnel que Chicomexóchitl, par sa double qualité de nourriture du corps et de l’esprit, est capable de transcender. D’ailleurs, le Codex Magliabecchiano, sur le folio 73, attribue comme emblème à Chicomexóchitl un végétal de « Sept fleur » apparaissant de l’un et de l’autre côté du momoztli, c’est-à-dire « l’autel » 1082 . Le Cerf, dans sa dénomination de fleur, se trouve donc pour les Nahua associé à une plante dont la double représentation fait penser à une datura ; cette plante (Fig. 44) figure dans l’herbier azteca.

Partie 2 – fig. 44. Datura
Partie 2 – fig. 44. Datura

Deux espèces telles qu’elles furent représentées dans l’herbier azteca du Codex Badianus. XVIe siècle.
Source : Alucinógenos y cultura, Peter T. Furst.

La datura nous ramène vers le domaine des formes stellaires et de la dualité des corps ; Richard Evans Schultes s’appuyant sur une légende taoïste, écrit que la « Datura metel est l’une des étoiles circumpolaires et les messagers qu’elle envoie sur terre portent à la main une de ses fleurs » 1083 .

Chicomexóchitl, le Cerf « Sept fleur », s’inscrit aussi dans ce que nous pourrions appeler le « complexe hétéronyme » avec tous les termes formés à partir de la même racine, comme :

Xochipilli, « Fleur précieuse ou Fleur noble ».

Xochiquetzal, « Fleur quetzal ».

Xochicalli, « maison des substances divines ou maison des Fleurs ».

Xochicahuaca « Celui qui possède des Fleurs, des enchantements».

Xochitlahtolli, « parole Fleurie ».

Xochitónal, « Fleur de jour », qui est le nom du monstre subaquatique du Mictlan.

Xochiyaoyotl, « guerre Fleurie ».

Etc.

Etablir une étude complète des termes cités nous ferait trop largement déborder du cadre de notre étude, mais l’énumération proposée veut avant tout signaler l’importance de la fleur dans la pensée nahuatl. Les Yaqui participent d’une pensée et d’un symbolisme identique autour de la fleur, avec Sewa yo’eme, Sewa Wailo, Sewataka, Sewa aniya, Vari Sewa, etc.

Chicomexóchitl, « Sept Fleur », se superpose enfin au Sewa yo’eme ou au Sewa Wailo (pour établir la comparaison entre les noms magiques) des Yaqui et nous situe dans un espace qui tisse les liens magiques entre les formes stellaires, les formes végétales et les formes animales. Le Sewa yo’eme, la « Fleur homme-cerf », révèle surtout le regard des Yaqui sur la réalité du monde et ses formes surnaturelles, ses pouvoirs cosmiques et ses métamorphoses énigmatiques. Le trinôme homme-cerf-étoile ou homme-cerf-fleur, par « l’imprégnience » du mouvement de l’Univers, se matérialise dans l’exécution de la « danse du Cerf » qui reproduit, par les pas et la position du Maáso yi’iwa entre les quatre Pajkoola, la croix du Nahui Ollin. La danse yaqui du Cerf est avant tout la représentation de la trajectoire diurne du soleil, levant, zénith et couchant, qui dans son déplacement tout au long de l’année, de l’hiver à l’été, reproduit cette croix (Fig. 46) appelée scientifiquement écliptique. Nous pouvons alors dire que la trajectoire annuelle du soleil est le mouvement translatif qui provoque l’efflorescence de l’en-dehors, du corps conscient du corps.

Partie 2 - fig. 45. Trajectoire cruciforme du soleil représentée par la danse du Maáso yi’iwa.
Partie 2 - fig. 45. Trajectoire cruciforme du soleil représentée par la danse du Maáso yi’iwa.

Source : La música en la vida de los yaquis, Leticia Varela.

Partie 2 - fig. 46. Ecliptique
Partie 2 - fig. 46. Ecliptique Petit Larousse illustré, Librairie Larousse, Paris, 1978. .

S et S’ : solstices d’hiver et d’été ; E et E’ : équinoxes de printemps et d’automne ; P1 et P’: pôles boréal et austral de l’écliptique ; P et P’ : ligne des pôles. L’angle du plan de l’écliptique avec celui de l’équateur est mesuré par l’arc PP1.
Source : Petit Larousse illustré, Librairie Larousse, Paris, 1978.

Enrique Florescano, dans son ouvrage intitulé Memoria mexicana, à propos de la perception du mouvement du soleil, introduit le même schéma (Fig. 47) : la trajectoire du soleil, tout au long de l’année, établit l’ordre cyclique qui marque inexorablement la division du cycle en quatre saisons. Le schéma établit la répartition suivante où chacune des saisons est associée à un des coins du cosmos déterminé par « un solstice ou un équinoxe » 1085 qui provoquent ce mouvement « Est-Nord-Ouest-Sud ». Nous aurons alors, « le printemps associé avec le quadrant NE et le N, point dans lequel il culmine pendant le solstice d’été ; l’été avec NO et O ; l’automne avec le SO et S ; et l’hiver avec le SE et E » 1086 .

Partie 2 - fig. 47. Les quatre « 
Partie 2 - fig. 47. Les quatre « coins du ciel » pendant les solstices avec le point central du passage du soleil par le zénith.

Source : Memoria mexicana, Enrique Florescano.

D’ailleurs, Enrique Florescano, remarque que le soleil « à partir de sa naissance à l’Est, … se déplace au cours de l’année vers la droite (le Nord), touche en été le coin Ouest du cosmos, passe en hiver par le Sud et ensuite retourne une nouvelle fois à l’Est, suivant un mouvement de droite à gauche » 1087 . Le mouvement du soleil, décrit par Enrique Florescano, correspond au mouvement translatif que le corps du Maáso yi’iwa doit exécuter pour déclencher l’efflorescence 1088 de son corps de fleur. Nous ne reviendrons pas sur le mouvement du Ollintonatiuh ; sur la position du soleil au zénith établissant l’axe de convergence de l’infra, du terra et du supra ; sur l’orientation des temples, des monuments et des axes d’accès aux principales villes ; sur la constitution du calendrier à partir des mouvements du soleil ; sur la division spatiale des treize ciels supérieurs avec ses six étages du côté oriental et six du côté occidental et le dernier au zénith, c’est-à-dire le nombre 7, ainsi que les neuf étages inférieurs, quatre de chaque côté et le dernier au nadir, qui situe le nombre 5 ; sur les quatre arbres cosmiques plus celui au centre ; etc.

Le Sewa yo’eme s’inscrit donc dans un rapport cosmique car, par l’exécution de la dan­se du cerf, il se place en définitive sur l’axe de l’efflorescence, du sewataka, le « corps de fleur » ou plus exactement la « fleur du corps » ; danseur cerf qui dessine la « fleur du corps » de la réincorporation vers le domaine de sa dualité. Ainsi, le sewataka, doit éclore à la réalité que lui offrent les deux mondes délimités par le huya aniya et le yo aniya tout comme le Sewa yo’eme, dans sa dénomination de Yooeta et de Benefactor, effectue la transition entre ces deux mondes.

Pour les Yaqui, le Sewa yo’eme symbolise le passage entre les deux formes de vie, c’est-à-dire, que la mort ou plutôt la façon de mourir est l’exploit que le Yo’eme, par la mimétique d’imprégnation, doit accomplir dans la reconnaissance des manifestations du yo aniya (avec ses autres mondes) et du principe dual. Et, le chemin de la dualité, pour le peuple yaqui, est représenté et symbolisé par sa musique, ses instruments, ses danses, ses chants, sa poésie, ses légendes, ses mythes, etc., qui dévoilent une cosmovision où les phénomènes cosmiques se répercutent sur le niveau terrestre par la superposition des éléments tangibles et intangibles de l’entre-deux.

Le Soleil, c’est le huya aniya, le monde du tangible et du visible qui illumine les splendeurs de la nature ; la Lune, c’est le monde de l’intangible et de l’obscur, l’espace du yo aniya où l’homme commence à ressentir l’appel des pouvoirs ancestraux ; Vénus, enfin, délimite la fêlure, l’espace autre, le passage entre la lumière et l’obscurité que le Sewa yo’eme (homme-cerf-fleur) dévoile par le corps conscient du corps, c’est-à-dire de l’en-dehors ou de l’autre moi. Pris dans la réalité des deux mondes, du huya aniya/yo aniya, le Sewa yo’eme parvient alors à dépasser l’entre-deux pour provoquer sa métamorphose et de cette manière redevenir une « Étoile ».

Federico González, dans son livre « Los Símbolos Precolombinos. Cosmogonía, Teogonía, Cultura », insiste sur la nécessité de considérer le « monde du symbole » 1089 , ainsi que le rite et le mythe, dans leur relation avec le sacré et non pas comme une « convention, une allégorie ou une métaphore » 1090 , c’est-à-dire comme quelque « chose de vague en dehors de l’être » 1091 . Le symbole, par exemple le Sewa yo’eme, que nous pouvons appréhender comme la fleur-étoile, constitue le signe réel qui, par la pluralité de ses significations, est le révélateur de la cohésion du peuple yaqui. La fleur-étoile, c’est-à-dire le Cerf, s’inscrit dans le trinôme du « symbole-mythe-rite », tel que le dénomme Federico González, parce qu’il signale le passage, le pont qui emmène le corps d’un plan de la réalité vers un autre ; qui rend au corps son ombre et sa lumière. Olivier Keller, dans sa réflexion autour de la préhistoire de la géométrie, considère lui aussi que le symbole est à percevoir comme l’élément clef de la pensée mythico-rituelle des peuples ancestraux, voire aussi de nos ancêtres du Paléolithique supérieur 1092 . D’ailleurs, comme le souligne Olivier Keller, il « serait vain d’espérer lire la production graphique des peuples primitifs sans la connaissance précise des mythes et des rites qui la sous-tendent… » 1093 .

Enfin, Sewa yo’eme, par cette manifestation « symbolico-mythico-rituelle », révèle à l’homme traditionnel yaqui les « secrets les plus profonds de la vie, du cosmos et de l’être… Et par conséquent son identité » 1094 . Le Maáso yi’iwa devient alors la figure, ou plutôt le symbole à l’origine du passage entre la réalité du monde et la réalité de l’en-dehors, c’est-à-dire un acte mythico-rituel déclenchant le mouvement translatif de cette réalité du double espace.

Les Yaqui (Mayo, Zuñi, Huichol, Cora, etc.) investissent dans la valeur symbolique du Cerf, qui est perçue comme « l’imprégnience » de la fleur-étoile libérant l’autre moi, l’en-dehors, vers son « origine lumineuse », leur vision du monde qui s’oppose à la dichotomie du vrai et du faux, du bien et du mal, propre à la pensée occidentale.

Les peuples amérindiens, d’une certaine manière, considèrent que l’infini se trouve dans le principe actif de l’agent interne/externe propre à chaque être humain et que par le rêve (l’espace de l’autre réalité) l’homme pourra atteindre l’origine de son altérité ; les rêves 1095 dans la pensée nahuatl créent cette contradiction où la vie est perçue comme un songe (poème ci-dessous) et le rêve comme la vérité.

Peut-on vraiment dire ici quelque chose de vrai ?

Notre vie n’est qu’un rêve, nous en sommes à peine réveillés,

notre vie n’est qu’un rêve…

Personne ne parle ici pour de vrai 1096 .

Les Nahua laissent entendre que l’homme doit prendre conscience que la réalité du corps et de la vie sont une illusion ; qu’ils sont dans un faux semblant et que le vrai rêve est l’émanation du corps fluide du monde autre. La vie véritable est dans le corps de l’en-dehors tel que l’exprime Federico González quand il écrit : « Cette vie n’est pas sa vie réelle, et son corps n’est pas son être authentique puisque la véritable demeure est céleste » 1097 .

Dans cet univers du symbole, du mythe et du rite, pour reprendre les termes de Federico González ou d’Olivier Keller, il faut se placer dans la perspective amérindienne où les « symboles et les mythes ne doivent pas être inventés, car ils sont donnés, éternels et ils se révèlent à l’homme ou plutôt dans l’homme » 1098 . Le dieu Quetzalcóatl illustre cette réflexion, lui qui ne peut être considéré seulement dans le cadre de l’homme déifié ; Quetzalcóatl est une étoile qui, comme les hommes, est tombée du firmament 1099 et dont la destinée est, s’il maîtrise sa mort, de renaître par son autre moi, son en-dehors, à sa véritable identité, celle de réintégrer son « origine lumineuse ».

Les Amérindiens, par l’observation du symbole cosmique autour des phénomènes célestes du Soleil, de la Lune, de Vénus, de la Voie Lactée, des escadrons du Sud (Cent­zon Huitznáhuac) et du Nord (Centzon Mimixcoa), s’inscrivent dans ce rapport à l’Uni­vers qui décrit le mouvement de la disparition et de la résurrection, du connu et de l’in­connu, du moi et de l’autre moi. Ainsi, les Yaqui, dans leurs liens avec les symboles, mais aussi la dualité des formes, reconnaissent le Sewa yo’eme qui représente le moment transitoire et fugace du retour vers le principe stellaire ; il est le symbole qui révèle « l’unité dédoublée », celle de l’esprit et du corps (Yooeta et Benefactor), celle du tangible et de l’intangible (huya aniya et yo aniya), car il est celui qui crée l’identité yaqui et non pas l’inverse ; celui du « rêve éveillé », l’autre côté du monde libérant la complémentation des valeurs opposées.

Le Sewa yo’eme, comme Quetzalcóatl, est conscient de sa dualité, du sentiment que le Yo’eme doit pressentir dans la réalité autre ; sentiment que le poète Juan Manz décrit sous ses termes : « Por eso te canto Itom’achai, hermano mayor ; porque soy nadie y nada mientras no sea una pizca de tu realidad, un algo, un alguien en tu entorno de sonaja… » 1100 .

Le poème évoque, semble-t-il, l’instant fugace où l’individu, dans sa captation du message occulte de Itom’achai (le Père astral), ressent, s’il prend conscience de sa double réalité, la métamorphose du « Hermano Mayor », c’est-à-dire de Sewa Wailo. Le peuple yaqui, par la danse du Maáso yi’iwa, a su protéger le symbole de son identité, ce Sewa yo’eme ou Sewa Wailo dont la dimension cosmique le situe au même niveau d’identifi­cation que Quetzalcóatl. Sewa Wailo, selon Leticia Varela, est la « figure parallèle à celle de Quetzalcóatl, père d’une culture, qui s’éloigne en marchant vers l’orient pour se transformer en étoile, laissant derrière lui une tradition que l’homme devra conserver » 1101  ; dans cette tradition se cache toute la profondeur de la cosmovision yaqui.

Le Cerf se manifeste enfin comme le Itom’achai, le père fondateur et ancêtre de la nation yaqui qui dans les temps préhispaniques était parfois vénéré à travers une idole de pierre ou de bois 1102 .

Les Yaqui, par la défense de leur unité spatio-temporelle et de leurs traditions, surtout celle de la Maáso yi’iwa 1103 , délimitent un monde où la danse du Cerf est le cycle qui traduit l’entre-deux de la vie et de la mort. Ce cycle pour les Yaqui est l’intervalle par lequel ceux qui sont restés fidèles au message du Sewa yo’eme sauront trouver dans leur cœur le véritable chemin. Ainsi, le cœur du Yooeta, l’homme-cerf-fleur, est le rêve que reçoivent les Yaqui qui, attirés par l’esprit-Cerf 1104 , s’élèvent vers le domaine des pouvoirs magiques pour s’imprégner du savoir, de la force, de la noblesse, mais surtout des valeurs qui pérennisent leur bat-naátaka.

Le Sewa yo’eme prend alors conscience de l’autre, de l’en-dehors, qui vient lui révéler le corps de sa dualité pour qu’il sache que lui incombe aussi la responsabilité de ressentir dans son cœur le symbole du mouvement translatif.

Notes
1074.

INI. Diccionario Enciclopédico de la medicina tradicional mexicana, tomo II, p. 851.

L’auteur fait référence à l’autorité et au pouvoir que les Yaqui reconnaissaient aux « Anciens » sur lesquels reposait, le plus souvent, le commandement du village.

1075.

Peter T. Furst, Alucinógenos y cultura, op. cit., pp. 239-240.

1076.

Ibidem.

1077.

Ibidem.

1078.

Ibidem.

1079.

Ibid., p. 241.

1080.

Cecilio Robelo, Diccionario de mitología nahuatl, op. cit., p. 152.

1081.

Ibidem.

1082.

Cecilio Robelo, Diccionario de mitología nahuatl, op. cit., p. 152.

1083.

Richard Evans Schultes, Les plantes des dieux, op. cit., p. 107.

1084.

Petit Larousse illustré, Librairie Larousse, Paris, 1978.

1085.

Enrique Florescano, Memoria mexicana, op. cit., p. 531.

1086.

Ibidem.

1087.

Enrique Florescano, Memoria mexicana, op. cit., p. 65.

1088.

Cf. 3ème partie.

1089.

Federico González, Los Símbolos Precolombinos. Cosmogonía, Teogonía, Cultura, op. cit.

1090.

Ibidem.

1091.

Ibidem.

1092.

Olivier Keller, « Préhistoire de la géométrie : la gestation d’une science d’après les sources archéologiques et ethnographiques », Thèse, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1998.

1093.

Olivier Keller, « Préhistoire de la géométrie : la gestation d’une science d’après les sources archéologiques et ethnographiques », Thèse, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1998.

1094.

Federico González, Los Símbolos Precolombinos. Cosmogonía, Teogonía, Cultura, op. cit.

1095.

Cf. 3ème partie.

1096.

Miguel León-Portilla, La pensée aztèque, op. cit., p. 65.

1097.

Federico González, Los Símbolos Precolombinos. Cosmogonía, Teogonía, Cultura, op. cit.

1098.

Ibid.

1099.

Ibid.

1100.

Juan Manz, Padre Viejo. La cosmogonía del pueblo yaqui, Universidad Autónoma de Sonora, Hermosillo.

1101.

Leticia Varela, La música en la vida de los Yaquis, op. cit., p. 147.

1102.

Andrés Pérez de Ribas, tomo I, op. cit., pp. 17-18.

1103.

La parure du Maáso yi’iwa se compose de la façon suivante :

Une tête de cerf disséquée, dont les bois sont décorés de rubans rouges très brillants, attachée sur le haut de la tête du danseur.

Un foulard blanc enveloppant la tête et recouvrant partiellement les yeux, dont la pointe retombe sur le dos du danseur.

Un chapelet ou un collier de coquillages nacrés terminé par une croix en bois. A l’époque préhispanique la croix était faite de perles fines de très grande taille.

Un fichu couleur vive autour de la taille.

Une fustanelle qui tombe jusqu’aux genoux soutenue par une gaine noire ou bleue. Autrefois, le dan­seur portait une peau de cerf.

Rihu’utiam, le ceinturon-sonaja fait en sabots de cerf, lui aussi autour de la taille.

Teneboim de la cheville jusqu’au mollet.

Aócosim (maracas), les sonajas de calebasse dans les mains.

Un ruban blanc attaché autour du poignet symbolisant le bracelet qu’utilisent les chasseurs pour se protéger du coup de la corde au moment de décocher la flèche.

1104.

Le Yooeta ne parle pas. Son message et sa connaissance il les transmet de cœur à cœur, d’esprit à esprit.