L’autre du corps

La perception de l’esprit, de l’âme, de l’ombre, du souffle 1110 , etc. nous ramène à la cosmovision du peuple amérindien qui nous permet de restituer le concept primordial de la dualité. Pour les Nahua, Ometéotl est « l’essence des choses » à l’origine des « entités animiques » (le tonalli, le teyolía, le ihíyotl) ; substances divines qui sont insufflées dans la demeure de la Dualité suprême : l’Omeyocan.

L’homme de la préhistoire, si nous acceptons l’hypothèse de Sir Edward Tylor selon laquelle l’animisme prend son origine dans les rêves 1111 , participait déjà au phénomène de la dualité afin de faire la distinction entre le moi et l’autre moi ; cet autre moi, dans l’art du rêveur, est l’un des procédés pour arrêter le temps et rejoindre « l’espace autre » du mouvement translatif où le corps se désentrave de sa pesanteur.

Pour l’homme préhistorique, la conscience de l’autre dans le corps (la mort), prend sans doute forme avec l’apparition des premières sépultures 150 000 ans av. J.-C., comme le souligne Danièle Vazeilles : « Le début des pratiques de type chamanique associées à l’utilisation de substances hallucinogènes remonte à l’époque des premières sépultures, lorsque les hommes découvrirent l’angoisse devant la mort, la naissance, les maladies » 1112 .

La découverte dans la grotte de Shanidar 1113 , dans les Monts Zagros du Kurdistan irakien, de neuf Néandertaliens nous permet de mieux apprécier le rôle ou le pouvoir de certains hommes ainsi que leur connaissance de plantes aux propriétés médicinales et psychoactives. Des neuf Néandertaliens, c’est Shanidar IV qui a attiré notre attention puisque ce dernier à été inhumé sur un lit de rameaux d’Ephedra orné de fleurs dont la plupart ont des qualités médicinales ou psychoactives. Pour Ralph Solecki, Shanidar IV a dû être non seulement un personnage très important mais aussi une sorte de guérisseur ou de chamane. A. Leroi-Gourhan a d’ailleurs réussi à identifier sept des huit grains de pollen provenant des fleurs en question et qui appartiennent au type Achillea 1114 ,Senecio 1115 vulgaris, Centaurea 1116 solstitialis, Muscus 1117 , Ephedra 1118 altissima, Althæa 1119 (nom qui vient d’un mot grec signifiant guérisseur), etc. Cette découverte 1120 , pour Ralph Solecki, est la preuve directe de la haute spiritualité des hommes du néandertalien et la présence aussi importante de plantes aux vertus médicinales témoigne de leurs connaissances botaniques. Ainsi, il ne faut plus considérer les Néandertaliens comme des pré-humains barbares car à l’aune de cette découverte nous savons que ces hommes respectaient leurs morts (les offrandes de fleurs), avaient, avant leur disparition, créé un art mobilier (pro­to-figurines, collier) et étaient sans doute des botanistes avertis.

D’après ces observations, il est donc vraisemblable que les « Néandertaliens (100 000 à 35 000 ans BP) » aient connu les phénomènes de l’altération de la conscience et il semble « certain qu’au moins quelques-uns des humains anatomiquement et physiologiquement modernes du Paléolithique supérieur en étaient capables » 1121 . J. Clottes 1122 et David Lewis-Williams, à propos des phénomènes hallucinatoires, sont convaincus que différents éléments de la période du paléolithique supérieur « permettraient de soupçonner l’existence de certaines formes de chamanismes à cette époque reculée » 1123 . D’ailleurs, à propos des phénomènes hallucinatoires, l’élément le plus surprenant est que le système nerveux de l’être humain est capable de produire les substances chimiques susceptibles de provoquer les états de conscience altérée 1124  ; les animaux 1125 possèdent cette même capacité d’altération. J. Clottes écrit : « La capacité d’halluciner n’est pas… caractéristique des seuls humains : elle fait partie du système nerveux des mammifères » 1126 .

Une première constatation à propos des composantes biochimiques du cerveau humain nous permet d’observer que l’alcaloïde du peyotl, la mescaline, est presque identique à l’hormone cérébrale de la noradrénaline ; que la psilocybine, l’alcaloïde du teonanácatl, est similaire à la structure chimique de l’hormone cérébrale de la sérotonine (tryptamine) ; que l’ololiuhqui a des propriétés hallucinogènes dérivées de la tryptamine et que le plus surprenant est la présence dans ses « deux principaux composants actifs » de l’acide lysergique amide et de l’acide lysergique hydroxyéthylamide, c’est-à-dire du LSD tel qu’il a été découvert par Hofmann ; et pour citer un dernier exemple, l’ayahuas­ca, « liane des esprits », une combinaison de deux plantes, contient de la diméthyltryptamine, une hormone également présente dans le cerveau humain 1127 .

Mais quelles sont les implications biochimiques des similitudes entre les principes actifs des plantes psychotropes et les productions chimiques de notre cerveau, mis à part, nous semble-t-il, comme le fait remarquer Peter Furst, que « dans la chimie de notre conscience nous sommes similaires au règne végétal » 1128 .

La réponse se trouve sans doute dans la prise de conscience que les hommes, comme l’a souligné Danièle Vazeilles, ont dû éprouver lorsqu’ils découvrirent l’angoisse devant la mort. Confrontés à cette angoisse, il est alors fort possible que l’absorption de plantes hallucinogènes (mais aussi d’autres pratiques de la sorcellerie) soit devenue une métho­de capable d’apporter la maîtrise de l’espace autre (la mort) situé dans l’autre réalité du monde. Nous pouvons alors considérer que les rites initiatiques, par exemple, avec cette recherche du choc cathartique, se situent sur un niveau de signification analogue car les phénomènes vécus, ceux de l’autre réalité, sont une manière de se confronter à la conscience de la mort. Les phénomènes expérimentés par les jeunes cahuila 1129 , lors des rites initiatiques, s’insèrent donc dans ce processus de la conscience de la mort pour apporter la réponse d’un peuple à sa présence au monde. Peter Furst écrit : « Quand on considère que le datura provoque des images mentales d’une terrible intensité, il n’est pas surprenant qu’un jeune garçon cahuila, après sa première vision sous son influence, soit devenu un croyant fervent des traditions mythiques. Le datura lui a permis d’entrevoir la réalité ultime des histoires à propos de la création dans la cosmologie cahuila. Les êtres surnaturels et les aspects de l’autre monde dont il avait entendu parler depuis son enfance sont apparus devant ses yeux comme la preuve définitive : cela a été sa propre évaluation empirique. Ils les a vus. Ils sont réels… Une fois que le néophyte cahuila a été convaincu de ses propres perceptions, à partir de ce moment-là, il est resté enfermé dans toute la cosmologie cahuila, dramatiquement, soutenu et guidé par sa communauté » 1130 .

L’expérience psychotropique du jeune cahuila est exemplaire et nous renvoie à cet être-au-monde des Amérindiens qui, chez les Yaqui, fait émerger les marqueurs de différentiation comme facteur prépondérant de leur particularisme identitaire et renvoie à la va­leur axiologique des phénomènes inattendus. Pour les Yaqui, en quelque sorte, il ne faut pas limiter sa perception du monde au visible mais l’étendre à l’invisible, c’est-à-dire à l’autre du corps. L’utilisation des plantes psychotropes, comme le rêve, est un procédé qui, à un certain niveau, devient une expérimentation permettant de résorber au sein de la communauté, par la médiation des sorciers, l’angoisse de l’inconnu et de la mort. Le jeune initié, dans le cas du cahuila, prend alors conscience de l’autre du corps dans un espace qui participe lui aussi d’une autre dimension et s’apparente dès lors à une forme de mort. Ainsi, le principe actif de l’agent interne/externe, provoqué par les plantes ainsi que par le rêve, nous renvoie à la recherche de la réponse de la découverte de l’angoisse devant la mort que nous avons dénommée la maîtrise de la conscience de la mort.

Chez les Yaqui, comme nous l’avons déjà fait remarquer, le « rêve éveillé » (ensueño) du yo aniya ne se manifeste que chez ceux dont le cœur a reçu le don du sewataka et l’acquisition du pouvoir est soumise à la réaction de l’élu confronté par exemple aux visions terrifiantes d’un serpent 1131 , face auquel il ne doit exprimer aucune crainte s’il désire obtenir le pouvoir convoité. Ainsi, le yo aniya ne révèle ses secrets qu’à ceux qui sont déjà porteurs des qualités endogènes/exogènes pour recevoir le don ; nous retrouvons ici le principe actif de l’agent interne/externe 1132 qui, par le rêve, voit l’élu accomplir le paradoxe de sa dualité pour agir à partir de l’intérieur (le rêve, mais surtout le rêveur rêvé) vers un extérieur inimaginable de « l’espace autre » où ce dernier fait l’expérience de l’autre du corps.

Partie 2 - fig. 48. Indien initié au rituel des plantes-pouvoirs.
Partie 2 - fig. 48. Indien initié au rituel des plantes-pouvoirs.

Source : Les plantes des dieux, Richard Evans Schultes et Albert Hofmann.

Le dessin (Fig. 48) décrit le phénomène de la dualité, c’est-à-dire le principe de l’agent interne/externe ; l’élu (mais aussi l’initié) est confronté à l’émergence du pouvoir, de la forme terrifiante qui prend ici les traits du dieu de l’inframonde, Mictlantecuhtli, dont la représentation monstrueuse avec sa tête de mort et ses griffes de jaguar, est le symbole des formes surnaturelles que le jeune élu (ou l’initié) affronte sur le chemin de la dualité. Sur le folio, page 24, du Codex Vindobonensis 1133 (Fig. 49), c’est Quetzalcóatl qui intervient pour donner ses instructions à neuf divinités, sur les rites et l’usage des champignons sacrés.

Partie 2 – fig. 49 : Codex Vindobonensis. Folio central page 24.
Partie 2 – fig. 49 : Codex Vindobonensis. Folio central page 24.

Source : El hongo maravilloso : Teonanácatl, Robert Gordon Wasson.

Selon Gordon Wasson, pour lire cette page du Codex Vindobonensis, il faut commencer par le coin inférieur droit ; Quetzalcóatl revêtu de tous ses ornements apparaît alors, sur l’une des représentations, en train de jouer sur une tête de mort en face de Piltzintecuhtli qui tient dans sa main deux champignons. Et, comme l’écrit Alfonso Caso, à cet instant, Piltzintecuhtli reçoit des « mains de Quetzalcóatl le don des champignons sacrés » 1134 . Piltzintecuhtli, c’est le dieu « Sept fleur » 1135 , un des autres aspects de Xochipilli, qui fait briller les âmes et les fleurs des formes terrestres. Ainsi, les rituels autour des champignons sacrés, nous renvoient à l’univers des fleurs enivrantes et à l’origine de la venue au monde de l’enfant créé ; par exemple, la fête d’initiation du nacazxapotlaliztli et du pillahuanaliztli 1136 , fait intervenir les figures de Xochiquetzal et de Piltzintecuhtli, le « Dieu enfant, Prince enfant, Très Noble enfant », symbole du bébé-jaguar Olmeca. Le double animal réapparaît alors comme le corps autre capable de transcender la mort et le secret de la vie. Les fleurs occupent une fonction similaire dans l’éveil de l’enfant au monde véritable.

Le culte du jaguar Olmeca est en relation directe avec le concept du nahualisme qui, se­lon Maria Longhena, est « un phénomène qui plonge ses racines dans une culture extrêmement ancienne » 1137  ; le nahualisme, d’une certaine manière, s’insère dans le trinôme de la « mort-purification-création » ou de la « germination, putréfaction, création ». Le cycle de la vie est alors restitué par le « méta-symbole » du dragon-ophidien-jaguar 1138 qui, à partir de l’époque des communautés sédentaires 1139 de la période « Agrícola aldeana » 1140 , jusqu’à la stratification et la complexification des sociétés méso-américaines, acquiert les qualités qui font de lui « l’abstraction métamorphosée » 1141 (Fig. 50), capable de synthétiser les trois stades de la vie (naître, vivre et mourir).

Partie 2 - fig. 50. Dragon-ophidien-jaguar. Poterie, Tlatilco.
Partie 2 - fig. 50. Dragon-ophidien-jaguar. Poterie, Tlatilco.

Source : Quetzalcóatl. Serpiente Emplumada, Román Piña Chan.

Le dragon-ophidien-jaguar, autour du phénomène du nahualisme, participe, dans le particularisme de sa représentation (sorte de symbiote surnaturel), à l’évolution des formes animistes, totémiques, vers ce que Fortunato Hernández a dénommé « zootéisme » : les animaux sont investis de pouvoirs magiques qui leur donnent la capacité de se métamorphoser pour devenir des êtres humains.

Les animaux du yoawa, dans la mythologie yaqui, évoluent dans la même dimension de la mimésis d’imprégnation, de la métamorphose, car, comme nous l’a fait remarquer Crescencio Buitimea : « Ce ne sont pas des animaux, mais des yoawa et yoawa signifie produit de la terre. Le yoawa à son tour prend son pouvoir du yo aniya ou source de la force magique dans l’Univers ». D’ailleurs, pour revenir aux Nahua et au phénomène du nahualisme, autour de Yohualli Ehécatl, López Austin note que le nahualisme est, entre autres, en relation avec « l’essence spirituelle de la terre » 1142 et le pouvoir de métamorphose du sorcier, du « magicien » 1143 , en animal. Le phénomène du nahualisme nous incite à reconsidérer les liens étroits qui existent entre l’homme et l’animal, comme essence de la terre, et qui nous renvoient au concept d’animisme (essence de vie des formes de la nature) mais auquel nous préférons substituer le néologisme d’anatisme 1144 , c’est-à-dire ce qui cherche à définir la part animale de l’homme confronté à la sacralité symbolique de la nature.

Les yoawa possèdent le don de lire dans les pensées des êtres humains, de pénétrer dans leur conscience, et certains d’entre eux peuvent s’avérer des yoawa maléfiques et dangereux. Chez les Yaqui, les croyances religieuses commencent dans un premier temps par le « zootéisme », avec le Cerf, le Serpent, le Coyote, etc., puis passent à la déification de la terre, de l’eau, des astres, qui élabore une nouvelle perception, le « sabé­isme ». Aujourd’hui encore, les Yaqui se tournent vers l’Est en souvenir de leurs anciennes croyances 1145 . Alfonso Fabila, pour évoquer le système religieux des Yaqui, crée le néologisme du « zoosabéisme » 1146 , car il considère que le système participe des deux concepts et qu’il est le noyau fédérateur de l’apparition du mouvement théocratique 1147 .

Notes
1110.

Alfredo López Austin, Cuerpo humano e ideología, op. cit., pp. 228-254.

1111.

Géza Róheim, Les portes du rêve, op. cit., p. 12.

1112.

Danièle Vazeilles, Les chamanes, Ed. du Cerf, 1991, p. 75.

1113.

Entre 1953 et 1960 Ralph S. Solecki et T. Dale Steward ont effectué des fouilles dans la grotte de Shanidar où ils ont découvert les ossements de neuf Néandertaliens datés de 44 000 à 60 000 ans.

1114.

Achillée : plante à longues feuilles dont l’espèce la plus commune et l’achillée millefeuille utilisée en pharmacopée.

1115.

Séneçon : plante herbacée (composées) aux fleurs jaunes.

1116.

Centaurée : plante herbacée (composées).

1117.

Muscari : plante (liliacées) à fleurs bleues ou blanches disposées en grappes, et très parfumées.

1118.

Éphédrine : alcaloïde extrait des rameaux d’arbustes du genre ephedra.

1119.

Althæa : plante vivace (malvacées) appartenant au genre du même nom, appelée aussi rose trémière.

1120.

Peter T. Furst, Alucinógenos y cultura, op. cit., p. 20.

1121.

Jean Clottes, Les chamanes de la préhistoire, op. cit., p. 81.

1122.

Ibidem.

1123.

Ibidem.

1124.

L’ingestion de plantes hallucinogènes pour provoquer les états de conscience altérée, n’est pas la seule technique pour favoriser le phénomène de l’altération. Les pratiques de la sorcellerie favorisent tout autant d’autres procédés comme la danse, le jeûne, les veilles, le rêve, mais aussi des symptômes comme la fatigue, la maladie, la fièvre, pouvant produire des altérations de la conscience.

Dans ces phénomènes de l’altération, le professeur Michel Jouvet nous apprend à propos du rêve (le corps altéré) que le cerveau est aussi actif pendant notre sommeil que lors de notre état de veille ; activité cérébrale que le professeur a dénommé « sommeil paradoxal ». Ainsi, le rêve nous pousse à prêter beaucoup plus d’attention aux pratiques visionnaires des Amérindiens (le rêve éveillé des Yaqui par exemple) où le rêve était le moyen de connaître le futur. Michel Jouvet fait remarquer à ce propos que « si le rêve n’est pas en rapport avec le passé, c’est peut-être qu’il concerne l’avenir. On peut dire : Je rêve donc je serai ». (Cf. « Ces nuits qui gouvernent nos jours » Le nouvel Observateur, dossier du 2/04/1998, numéro 1743). Michel Jouvet a également montré que certains animaux rêvent mais en précisant tout de même que cela impliquerait que les animaux ont une conscience, « ce qui reste à prouver ».

1125.

Jean Clottes, Les chamanes de la préhistoire, op. cit., p. 81.

1126.

Ibidem.

1127.

Cf. Richard Evans Schultes et Albert Hofmann : Les plantes des dieux. Peter T. Furst : Alucinógenos y cultura. Aldous Huxley : Les portes de la perception.

1128.

Peter T. Furst, Alucinógenos y cultura, op. cit., p. 40.

1129.

Amérindiens du Sud de la Californie.

1130.

Peter T. Furst, Alucinógenos y cultura, op. cit., p. 42.

1131.

Richard Evans Schultes, dans son livre Les plantes des dieux, observe que les Nahua, par l’ingestion du teonanácatl, « avaient mille visions, et plus particulièrement des serpents… ». (Cf. Richard Evans Schultes, Les plantes des dieux, op. cit., p. 145).

1132.

Le principe de l’agent interne/externe renvoie à la capacité de la maîtrise de la conscience de la mort, c’est-à-dire de l’autre, et provoque une action qui se produit autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du corps. Ilario Rossi, à propos du siège de l’iyáari, le « chemin du cœur », écrit que « les Wixaritari, eux, situent l’origine de toute activité corporelle dans le tunuiyáari (le plexus cœliaque), lieu de convergence des stimuli extérieurs et intérieurs, qui constituent ainsi le pôle émetteur, par opposition au pôle récepteur qu’est le cuupuri (le cerveau). Dans cette optique, la connaissance du corps propre à cette expression du chamanisme fait du plexus solaire le lieu qui régit certaines activités et fonctions cérébrales ». (Cf. Ilario Rossi, op. cit., p. 171). Ilario Rossi ajoute : « Il se produit en effet une interaction complexe entre intériorité et extériorité, entre expérience et connaissance, qui relève d’un processus unique d’intelligibilité, lié à l’iyáari ». ». (Cf. Ilario Rossi, op. cit., p. 168).

La fonction du rêve participe aussi à ce processus du principe de l’agent interne/externe ; comme l’écrit Géza Róheim : « La mère et l’enfant à naître partagent les mêmes rêves, mais ni l’un ni l’autre n’en est l’instigateur, puisque leurs rêves, comme tous les rêves viennent de l’extérieur ». (Cf. Géza Róheim, op. cit., p. 210). Il ajoute : « Jekels et Bergler considèrent le fait de rêver comme l’œuvre de principe de vie mobilisé contre l’œuvre de principe de mort tel qu’il se révèle dans le sommeil ». (Cf. Géza Róheim, Les portes du rêve, op. cit., p. 126).

Enfin, Géza Róheim, autour des notions de rêves, d’âmes, d’ombres et d’esprits, écrit à propos des Naskapi « qu’ils ont un terme spécifique que l’on pourrait traduire par Grand Homme. Cette expression désigne l’âme à l’état actif. […] Le siège du Grand Homme est le cœur ; il est l’étincelle de vie qui anime les êtres humains et leur survit après la mort. Le Grand Homme s’exprime par le rêve . […] Speck a remarqué que les dessins qui ornent leurs sacs et que les indigènes décrivent tantôt comme des arbres et des fleurs (…), tantôt comme des symboles célestes (…), sont par ailleurs appelés âme ou cœur du Grand Homme . Un homme à qui Speck demandait le sens de ces dessins, répondit que les lignes sinueuses près du bord étaient des chemins et que les petites formes représentaient des fleurs. Il fit beaucoup plus de difficulté pour expliquer la figure centrale, qui elle aussi évoquait une fleur. … En fait c’est mon Grand Homme, dit-il ». (Cf. Géza Róheim, Les portes du rêve, op. cit., pp. 211-212).

La « fleur » de l’homme nous renvoie aux Nahua avec le temixoch, le « rêve fleuri », qu’il soit induit par l’ololiuhqui, le peyotl ou le teonanácatl ; avec « in xóchitl in cuicatl », la poésie ; avec xochitlahtolli, la « parole fleurie » ; mais aussi aux Yaqui avec le Sewa Wailo, le sewataka, le « corps de fleur », le sewa aniya, « le monde des fleurs et des hallucinations » et Vari sewa, la « Divinité fleur ».

1133.

Richard Evans Schultes, à propos du rituel sacré instruit par Quetzalcóatl, signale que les neufs divinités sont les Yoalteuctin, « Seigneurs de la nuit », c’est-à-dire les neuf ciels inférieurs et hypostases de Yoaltecuhtli le Seigneur de la nuit qui, sur le Codex Ferjéváry-Mayer, participe au mouvement giratoire qui crée la fleur de l’ascension cosmique. Yoaltecuhtli avec Yoalticitl protégeaient les jeteurs de sorts, les sorciers et ceux qui avaient la connaissance des plantes et des astres. Yoaltecuhtli est celui qui est également invoqué, avec Yoalticitl, au moment de la venue au monde de l’enfant pour qu’il lui apporte le sommeil et le rêve. La relation de l’enfant avec le rêve, la « fleur » mais aussi l’inframonde, restitue le domaine obscur du rite initiatique qui voit l’enfant recevoir la connaissance ancestrale.

Quetzalcóatl nous place finalement dans l’univers de l’infra, là où l’initié est confronté aux formes terrifiantes de la mort et de son destin. La mort, ou plutôt Mictlantecuhtli, par son apparition monstrueuse, révèle l’existence d’un univers que María Sabina nous décrit de la façon suivante : « Il existe un monde au-delà du nôtre, un monde invisible qui est à la fois très proche et très lointain. C’est là que Dieu habite, là qu’habitent les morts, les esprits et les saints, un monde où tout est déjà arrivé et où tout est connu. Ce monde parle. Il a un langage à lui. … ». (Cf. Richard Evans Schultes, Les plantes des dieux, p. 144). Cela n’est pas sans nous rappeler le monde visionnaire des Surem et leur bat-naátaka.

1134.

Alvaro Estrada et María Sabina, La Sage aux champignons sacrés, Ed. du Seuil, 1994, p. 132.

1135.

Qui est aussi le nom magique du Cerf.

1136.

Cf. 3ème partie.

1137.

María Longhena, Mexique Ancien, op. cit., p. 26.

1138.

Cf. 3ème partie.

1139.

José Luis Lorenzo Bautista, Del nomadismo a los centros ceremoniales, INAH, Departamento de Investigación Histórica, México, 1975, p. 9.

1140.

Période des villages agricoles, entre 2500 à 1200 av. J.-C.

1141.

Cf. 3ème partie.

1142.

Alfredo López Austin, Cuerpo humano e ideología, op. cit., pp. 416-417.

1143.

Ibidem.

1144.

Le néologisme d’anatisme nous a été inspiré par la réflexion de Michel Boccara autour de la notion de la part animale de l’homme quand il pose la question suivante : « De quoi en moi l’animal se souvient ? ». (Cf. Michel Boccara, La part animale de l’homme, op. cit., p. 6).

1145.

Pour les rites funéraires, les Yaqui, au cours de la cérémonie, se tournent vers l’Est pour honorer la de­meure du Soleil.

1146.

Alfonso Fabila, Los Indios yaquis de Sonora, op. cit., p. 19.

1147.

Le complexe théocratique des Yaqui se démarque, par sa spécificité et son mode de fonctionnement au sein même de ce peuple, de l’émergence qu’il connaît avec l’apparition des Seigneuries théocratiques de Teotihuacan. Nous sommes confrontés à deux systèmes qui, selon les informations obtenues, n’ont pas fonctionné de la même façon.

Les Yaqui étaient à cette époque, selon certaines sources bibliographiques, sous l’autorité circonstancielle de Caciques, d’Autorités et de Sorciers, et n’étaient sûrement pas stratifiés, dans leur organisation communautaire, sous l’égide d’un gouvernement théocratique. D’après certaines annotations (Sandomingo, Pérez de Ribas), nous savons tout de même qu’il existait une spécialisation, un ordre religieux que Andrés Pérez de Ribas désigne, pour la nation de El Yaqui, comme une « Cátedra de Hechiceros », une « Chaire de Sorciers », qui exerçait une autorité reconnue ; ces sorciers étaient appelés « Papas », « Nopapas » et « Teopixque », noms génériques que l’on attribuaient aux Prêtres et qui sont sans aucun doute des « aztè­quismes ».

La problématique qui apparaît à partir de ces indications, c’est que les Jésuites face à des structures moins codifiées que celles des nations de l’Anahuac, ont semble-t-il inclus dans un ensemble indissociable toutes les « manifestations du démon » sans prendre en considération les différences internes qui pouvaient exister entre le Jitebií, le Yeé sisíbome, le Júu Swari, les Moream, les Papas ou Nopapas ; différences qui, si elles avaient été mieux observées, nous auraient sans doute permis d’expliquer plus rigoureusement les systèmes et croyances religieuses des nations du Sonora.

Enfin, pour mieux saisir cette incompréhension il faut, comme le fait remarquer Jean-Pierre Chaumeil, se référer à la menace permanente que les chamans constituaient, dans le champ religieux, pour les missionnaires. (Cf. Jean-Pierre Chaumeil, Voir, savoir, pouvoir. op. cit., p. 13).