TROISIÈME PARTIE : LE MONDE AMÉRINDIEN

‘« le Mexique est une terre de rêves.
Je veux dire, une terre faite d’une vérité différente,
d’une réalité différente » 1264 .
J.M.G. Le Clézio.’

La tradition orale et la connaissance du peuple yaqui autour des mythes, des légendes, de la métamorphose des Surem, ainsi que des pratiques magiques et de sorcellerie du jitebií, du phénomène de « l’imprégnience », de l’altérité des formes animales, etc., nous précipitent dans une réalité qui semble ignorer la césure entre la nature et la « surnature ». Les Yaqui nous engagent alors dans une perception du monde s’appuyant sur une cosmovision dans laquelle s’articule un univers ouvert sur la double polarité de leur présence au monde, c’est-à-dire autour des liens qu’ils entretiennent avec les êtres vivants 1265 de la nature et les êtres intangibles (infra et supra) de la « surnature ».

Dès lors, pour élargir le cadre de notre réflexion et apporter un éclairage novateur sur la cosmovision yaqui, nous nous sommes appuyés sur la mythologie nahuatl, laquelle nous a permis, sans vouloir pour autant proposer une étude comparative complète, de mieux saisir les traits particuliers de la culture yaqui. Ainsi, comme le préconise Alfredo López Austin 1266 , le propos de notre étude, par une approche plus globale, veut démontrer que les cosmovisions des « peuples indigènes possèdent des structures similaires et un nombre considérable d’éléments communs… » 1267 . En outre, cette démarche veut définir une façon différente de considérer, à partir d’un modèle d’analyse, l’évolution et les transformations vécues par les sociétés 1268 en question. Dans ce domaine des concordances entre les différentes sources citées, nous avons donc tenu à appliquer la méthode conseillée par Alfredo López Austin, lequel ajoute que ce n’est « qu’à travers une étude systématique des similitudes que l’on pourra établir les différences, et que cela vaut aussi bien pour ce qui se rapporte aux variantes régionales que pour ce qui a trait au lien entre le présent et le passé ; aussi bien pour l’évolution des cosmovisions indigènes que pour la persistance des structures et des éléments idéologiques qui ont dû s’articuler de diverses manières dans ces sociétés en constante transformation » 1269 .

Alfredo López Austin insiste sur ce point car il pense, pour donner un exemple, qu’une trop grande spécialisation peut nuire à une appréciation correcte des données observées et qu’un regard ouvert sur une analyse plus large apparaît comme une méthode capable d’éclairer et d’établir des « liens beaucoup plus précis entre les études des sociétés actuelles et celles qui s’intéressent aux anciennes » 1270 . Le trait original d’une culture prend alors tout son sens dans la formulation d’analogies dont certains aspects, soumis aux re­présentations de chaque société, déterminent les particularités des rituels et des croyances de chaque communauté. Les Yaqui, dans le cadre précis de la perception de l’ombre et la lumière (le corps) et de sa projection dans le monde du huya aniya/yo aniya, fondent un rapport identitaire qui s’inclut dans un signe original d’une tradition qui n’est pas si éloignée, comme nous l’avons déjà démontré, de la pensée nahuatl. Ces analogies se retrouvent alors autour de la perception du corps avec la manifestation de la lumière, de l’ombre, du souffle (le tonalli des Nahua), du yoawa (l’esprit et le souffle de la terre, avec Yohualli Ehécatl), mais aussi autour du concept fondateur du monde amérindien du Mexique, c’est-à-dire le centre (le Nahui Ollin), un concept qui renvoie à l’homme yaqui, le Yo’eme, qui se dresse au centre du cercle cosmique de la triade Soleil-Lune-Vénus.

Partie 3 - fig. 1. Le cercle cosmique.
Partie 3 - fig. 1. Le cercle cosmique.

Source : La música en la vida de los yaquis, Leticia Varela.

Afin de mieux comprendre toute la dimension du concept de centre, pour les peuples du Mexique (les Nahua et les Yaqui, en ce qui nous concerne), il nous faut appréhender ce que Laurette Séjourné a dénommé la « loi du centre » 1271 et qui pour nous apparaît comme le « méta-symbole » de la pensée mythico-rituelle à la source d’une cosmovision que les Nahua ont tenu à conserver sur des Codex. A ce propos, nous pouvons alors considérer que le « méta-symbole » du Nahui Ollin (la loi du centre en nahuatl) est aussi à l’origine des liens qui, pour les Nahua mais aussi pour les Yaqui, symbolisent la relation entre la nature et la « surnature », entre le divin et l’humain, entre le terrestre et le céleste (avec les êtres liminaires) 1272 , etc. La « loi du centre » ou le Nahui Ollin, nous ramène au temps, au calendrier, au pouvoir des dieux, dans la création du cinquième Soleil, c’est-à-dire le « Soleil de mouvement » qui situe l’axe sur lequel l’homme doit lutter contre son inertie et accomplir sa métamorphose.

Tous ces événements sont racontés par des livres d’un autre temps, les Codex, qui retracent la « …lutte avec le monde de l’évanouissement et des morts, la naissance du soleil et de la lune, celle de l’homme » 1273 . Ces livres étaient peints sur une peau de cerf ou sur du papier de amate, avec une écriture composée de pictogrammes, pour représenter les êtres humains, les animaux, les plantes et les objets, d’idéogrammes, appelés aussi glyphes idéographiques, pour exprimer des idées, et de neumes phonétiques, qui rapportent le registre des événements naturels et surnaturels.

D’après Miguel León-Portilla 1274 , les Codex sont apparus mille ans av. J.-C. pour raconter, selon les traditions que les Amérindiens avaient assimilées, l’histoire des origines des peuples et des lignées. Dans ces documents sont alors consignés les événements immémoriaux, les limites des territoires conquis, les tributs à payer, les cérémonies religieuses et autres scènes sacrées ; les Azteca, bien avant les Espagnols, en ont brûlé pour réinterpréter la mémoire de leur origine et légitimer leur propre destin. Cette tradition était déjà inscrite dans le lointain passé des Olmeca qui, par la peinture murale et par la sculpture, affichaient le désir des classes dirigeantes d’exprimer par « les images et les signes peints et sculptés, une vision du monde pour renforcer les principes et les croyances sur lesquels s’appuyait l’ordre de chaque époque » 1275 .

Les Codex font partie d’un système de registres qui par leur plus grande maniabilité (la correction et la copie), sont les outils dont les règles pictographiques, plus conceptuelles que naturalistes, forment un ensemble de références qui, sans le recours au savoir de la tradition orale, auraient une signification incomplète. Nous sommes en présence d’un art de la mémoire mais aussi d’un art de la parole , transmis par « l’acte de parole » des Prêtres aux jeunes élèves instruits dans la manière d’interpréter les Codex et de mémoriser leurs histoires. Les Yaqui pratiquent, aujourd’hui encore, cet « art de la parole » ; le Pajkoola mayor, par exemple, durant la célébration des fêtes religieuses (la Waehma) et dans la fonction qui lui est assignée, fait « acte de parole » pendant plus d’une heure pour raconter et honorer la mémoire de son peuple.

Enfin, les Codex sont des amoxtli, c’est-à-dire des « livres » distribuant l’ordre chro­nologique du tonalpohualli (compte des destins, divisé en 13 mois de 20 jours) et du xihuitl (le calendrier solaire ou agricole, composé de 18 mois de 20 jours, plus 5 jours néfastes, les nemontemi), mais qui appréhendent aussi toute la densité sémiotique de l’usure du temps. Ils servent à consigner, dans les almanachs appelés tonalámatl, le contenu rituel de la prégnance divinatoire, mythique et astronomique, au-delà du simple rapport temporel.

Partie 3 - fig. 2. Table des vingt treizaines.
Partie 3 - fig. 2. Table des vingt treizaines.

Source : Diccionario de mitología nahuatl, Cecilio Robelo.

Le tonalámatl, livre du tonalli (jour), dans lequel s’inscrit le compte du tonalpohualli, reçoit différentes acceptions pour désigner les fonctions bien particulières sur la relation de l’homme au temps. Ces expressions, in tonalpohualli, in xiuhamatl, in xiuhpohualli, in temicámatl, « littéralement compte des destins, livre des années, compte des années, livre des rêves » 1276 , laissent apparaître les divers aspects du sens de la vie où le calendrier devient « médiation du destin, instrument de divination et source d’informations généthliaques » 1277 . C’est la combinaison du metztli (le mois) et du tonalli, dans la concordance des nombres soumise à l’influence de l’univers, qui donne toute sa valeur au signe de naissance.

L’individu est alors associé à la représentation graphique du signe (de son tona, énergie ou chaleur), à laquelle il ne peut échapper dans sa connexion avec les forces du cosmos, ainsi qu’à l’assignation de l’un des dieux des Yohualteuhctin (Seigneurs de la nuit), des Tonalteuhctin (Seigneurs du jour) et d’un animal. Il reçoit, enfin, une direction de l’uni­vers et une couleur, plus son présage. Tous ces éléments, par leurs caractéristiques, offrent aux tonalpouhque (ceux qui comptent les jours ou les décideurs d’horoscope) la possibilité de prédire le destin du nouveau-né.

Partie 3 - fig. 3. Les glyphes du Tonalli.
Partie 3 - fig. 3. Les glyphes du Tonalli.

Source : : Cuerpo humano e ideología, tomo 1, Alfredo López Austin.

Tona est donc l’énergie présente dans tout l’Univers, et plus précisément dans Tonatiuh (le Soleil), déité au symbolisme multiple et dont l’anthropomorphisme revêt les attributs ésotériques de la Pierre du Soleil, le « Calendario azteca ».

Partie 3 - fig. 4. Piedra del Sol.
Partie 3 - fig. 4. Piedra del Sol.

Source : El pueblo del sol, Alfonso Caso.

Tonatiuh, dans sa complexité, exprime lui aussi toute l’importance de son origine dans la création du 5ème Soleil, le Ollintonatiuh ou Nahui Ollin. Il est le révélateur du caractère propre à chaque signe, et le calendrier lui attribue le binôme quauhtli, l’aigle, 15ème signe du calendrier rituel, et ollin, le mouvement, 17ème signe du calendrier rituel ; binôme qui, par la valeur des différentes significations, préfigure toute la conception duale de l’esprit méso-américain.

Christian Duverger, pour sa part, apporte une nuance à propos du rôle déictique de Tonatiuh dans le panthéon amérindien. Il considère Tonatiuh plus comme une « divinité hors cadre, une puissance hors pair. Au-dessus des dieux tout en étant autre » 1278 , une entité dont la modalité première est « l’abstrait » 1279 . Tonatiuh est une abstraction contenant et consommant l’énergie présente dans toutes les espèces vivantes, mais qui nous est aussi apparue, à propos de la luminosité du tonalli-ombre, pour les Nahua, et de la vela-ombre, pour les Yaqui, comme une entité dont la substance illumine la vie, laquelle est déterminée, à cause de sa consubstantialité, par la bipolarité du Soleil. S’expriment à nouveau l’ombre et la lumière, c’est-à-dire le corps conscient de sa dualité dont la complémentarité est contenue dans son contraire, ce corps que les Nahua, par la complémentation des valeurs opposées, ont appréhendé à travers les concepts du tonal 1280 et du nahual 1281 .

Quetzalcóatl, « Seigneur de la maison de l’aube », de la couleur blanche et divinité solaire, s’inscrit par ses différentes acceptions, telles que Ehécatl (dieu du Vent) ou Xólotl (son double ou jumeau), dans la thématique proposée de la dualité. Il intègre ce concept du tonal et du nahual qui, dans le vocable de son propre nom, renferme le dualisme exprimant l’harmonie des contraires. Quetzalcóatl symbolise alors la rencontre des forces opposées dont la complémentation produit l’abréaction qui mène l’homme vers sa totalité.

Partie 3 - fig. 5. Quetzalcóatl et son nahual Xólotl.
Partie 3 - fig. 5. Quetzalcóatl et son nahual Xólotl.

Source : El pueblo del sol, Alfonso Caso.

Le procédé méthodologique, mis en place dans la troisième partie, répond à une orientation thématique qui s’appuie sur la mythologie nahuatl et yaqui. Il s’agit, en fait, de rétablir le lien opérateur entre les deux univers et de réévaluer la cosmovision du peuple amérindien du Mexique à l’aune de l’importance que ce peuple a accordée au concept de la dualité.

Le regard que portent les Yaqui sur le monde, ou plutôt sur les mondes imprégnés de forces surnaturelles et enchantées, participe, comme pour les Nahua, de la même pensée. Ainsi, chez les Yaqui le triptyque « Soleil, Lune et Vénus » traduit le même sentiment d’appartenance à la réintégration des formes cosmiques. Notre père le Soleil, « Itom’achai ta’ha » en langue yaqui, est le symbole de l’humanité (en relation avec la culture du maïs) qui révèle le monde de la lumière, du visible, c’est-à-dire le monde tangible du huya aniya ; Soleil que les Nahua nomment eux aussi Tota 1282 , « notre Père ». Notre mère la Lune, « Itom mala mecha » (en relation avec le peyotl), représente le monde du savoir occulte, de la vie spirituelle, lieu des pouvoirs ancestraux, nommé le yo aniya. Enfin, Vénus, par son double caractère d’étoile matutinale et vespérale, constitue le pont entre la lumière et l’obscurité, « l’espace autre » du huya aniya/yo aniya, c’est-à-dire le passage du monde tangible au monde intangible des ancêtres, celui que le Sewa yo’eme, l’homme-cerf-fleur des Yaqui, et Quetzalcóatl, l’homme-oiseau-serpent des Nahua, réintègrent par « l’imprégnience » des formes opposées.

Le jour, « l’imprégnience » du Sewa yo’eme est représentée par l’animal chassé qui, comme le maïs, sert d’aliment à son peuple, et, la nuit, le Sewa yo’eme se métamorphose en homme pour apporter la connaissance, l’esprit du monde autre, pour que l’élu puisse emprunter le chemin vers le père Soleil, transformé en une nouvelle étoile. Ce trinôme contient, pour chacun des termes, la cosmovision des Yaqui dans leur relation Terre/Ciel avec le Soleil/Maïs, Lune/Peyotl et Vénus/Cerf qui sont subordonnés à la réalité duelle du jour et de la nuit. Le Cerf, symbole de l’étoile diurne et nocturne, apparaît alors comme la figure parallèle de Quetzalcóatl qui « s’incinère pour donner la vie à son peuple. De ses cendres émerge son cœur converti en Quetzalpapalotl, le papillon précieux, qui monte au ciel et se transforme en la planète Vénus ou l’étoile du matin » 1283 . Le Cerf synthétise, enfin, les trois sphères cosmiques, c’est-à-dire le ciel, la terre et les ténèbres, « el inframundo », qui dans la mort, ce temps transitoire et dynamique du crépuscule, de l’entre-deux, accueille le défunt pour commencer son ascension vers le père Soleil.

Partie 3 - fig. 6. Le Soleil, la Lune, Vénus et la Terre (Codex Borgia)
Partie 3 - fig. 6. Le Soleil, la Lune, Vénus et la Terre (Codex Borgia)

Source : Diccionario de mitología y religión de Mesoamérica, Yolotl González Torres.

Le Soleil n’est pas un dieu. Il est cette énergie à « l’entropie » 1284 instable que les Azteca, au-delà du mythe, régénèrent inlassablement dans leur perception du monde, conscients de la désagrégation et de l’instabilité de l’ordre cosmique qui provoquent la nécessité de rétablir à chaque instant l’équilibre. La relation de l’Amérindien au cosmos est une rela­tion d’incorporation, de réactivation. Ainsi, Ollintonatiuh n’échappe pas à cette condition car, comme les quatre Soleils précédents, il porte en lui son principe de création/destruction. Le calendrier rituel de 260 jours, comput de l’usure du temps, contient le devenir de chaque Soleil et son propre nom conditionne son existence, c’est-à-dire une configuration dont la pérennité se trouve condensée en une transition entre l’imma­nence de la vie et de la mort qui s’articule sur son immédiateté. La vie et la mort se télescopent enfin pour s’annihiler.

Christian Duverger, à propos du phénomène de création/destruction des quatre Soleils, souligne que « Dans le monde nahuatl … lorsque un texte nous dit que le premier Soleil avait pour nom Nahui-Ocelotl, cela signifie donc qu’il était apparu un jour Nahui-Ocelotl. Or les textes ajoutent que c’est un jour Nahui-Ocelotl que les jaguars commencèrent à dévorer les vivants, et que c’est un jour de même signe que fut anéanti ce premier état du monde. Le phénomène se reproduit pour les autres soleils qui, tous, meurent le jour anniversaire de leur naissance, c’est-à-dire, en fait, le jour même de leur naissance » 1285 .

Nahui Ollin, « Quatre mouvement », doit alors périr par le mouvement, par le tremblement de la terre. Il est soumis à l’ordre combinatoire où le même début de tlalpilli (lier, unir), nom donné à chacune des quatre fractions de 13 années du xiuhmolpilli (la ligature des années), le cycle de 52 ans, produit ce retour à l’inexorable coïncidence du nom, du même porteur d’année et du même chiffre. Ainsi, au bout des 18 980 jours d’un cycle, le siècle nahuatl arrive à son terme et à son origine, à sa récurrence dans le recommencement du même cycle.

Partie 3 - fig. 7. Le Tlalpilli.
Partie 3 - fig. 7. Le Tlalpilli.

Source : Diccionario de mitología nahuatl, Cecilio Robelo.

Jacqueline de Durand-Forest, dans son étude sur Chilmalpahin Quauhtlehuanitzin, reprend les propos d’Anne Charlotte Eschmann pour apporter une nuance sur la conception cyclique des Nahua. Elle écrit : « La création s’est ainsi opérée par cycles successifs ; mais la durée inégale des âges, les circonstances différentes de leur apparition et de leur destruction, donnent à cette histoire un aspect peut-être moins cyclique que spiralé, … » 1286 . La forme spiralée nous renvoie à la symbolique du labyrinthe 1287 , forme que les tribus du Sud-Ouest américain représentent à travers les peintures rupestres, géoglyphes, pétroglyphes et autres constructions en pierres.

Partie 3 - fig. 8. La Casa en Espiral del Cerro de Trincheras.
Partie 3 - fig. 8. La Casa en Espiral del Cerro de Trincheras. Symbole de l’eau et du feu sacré.

Source : Historia de Sonora. Tiempos prehistóricos, Manuel Sandomingo.

Partie 3 - fig. 9. Dessin dans le sable. Río Gila, Arizona.
Partie 3 - fig. 9. Dessin dans le sable. Río Gila, Arizona.

Source : Sonora. Arte rupestre. Tradiciones, Mitos e Historia, Manuel Robles Ortíz.

Partie 3 - fig. 10. Géoglyphe. Esperanza, Sonora.
Partie 3 - fig. 10. Géoglyphe. Esperanza, Sonora.

Source : Sonora. Arte rupestre. Tradiciones, Mitos e Historia, Manuel Robles Ortíz.

Partie 3 - fig. 11. Symbole Mère-Terre (Hopi).
Partie 3 - fig. 11. Symbole Mère-Terre (Hopi).

Source : Le livre du Hopi, Franck Waters.

Pour Terence McKenna et, dans une certaine mesure, pour Gordon Wasson, le labyrinthe ou la forme spiralée sont un phénomène de l’élargissement de la conscience produit par les plantes psychoactives, c’est-à-dire l’émergence d’un autre temps, d’une renaissance. Géza Róheim, dans son livre Les portes du rêve, considère le labyrinthe comme le retour à l’origine de la vie, la régression intra-utérine, la capacité du rêveur à créer son corps de rêve pour emprunter le labyrinthe qui l’emporte vers le monde autre. Géza Róheim écrit enfin : « Le labyrinthe est la porte de l’autre monde, et cet autre monde n’est autre que la Terre-Mère » 1288 .

Dans Le livre du Hopi, Franck Waters nous apprend que les Hopi appelle le labyrinthe le « Symbole Mère-Terre » 1289 ou le « Symbole de l’émergence » 1290 (Partie 3 - fig. 11), dont la signification, comme nous l’avons déjà signalé, renvoie au projet de vie du Père-Soleil. Ce symbole du labyrinthe nous le retrouvons chez les Pápago avec le « Labyrinthe Sacré » qui représente le chemin que doit parcourir le défunt jusqu’au centre de son origine, un chemin qui leur a été indiqué par la suprême déité Oritoi. Le labyrinthe et la spirale participent donc d’un symbolisme commun dont le dessein est de situer le centre par lequel l’homme pressent le retour à l’origine, c’est-à-dire que le cheminement spiralé du labyrinthe conduit l’homme vers l’intérieur de son extériorité, en un mot de son infini. Par le retour au centre, l’homme parvient à provoquer le mouvement translatif qui, en tournant autour de l’axe, induit le déplacement qui en même temps lui permet de s’éloigner de ce centre. Il s’agit, en quelque sorte, d’une involution évolutive par laquelle le corps se dé­place sur le chemin du retour à l’origine, à l’infini. La forme géométrique du labyrinthe et de la spirale nous renvoie, en fait, à l’abstrait car nous pouvons considérer ces formes comme une « méta-phore » de l’homme, c’est-à-dire que ce dernier est représenté par une abstraction. Enfin, le géométrique nous ramène vers la translation des formes et des symboles imprégnés.

Ainsi, pour revenir à notre propos, le calendrier rituel, par sa synergie dans le retour au binôme origine/terme du temps, participe du même phénomène et crée alors un concept dont la valeur exprime le continuum d’un temps qui s’annule, d’un temps qui, en réalité, n’existe pas. Dès lors, la linéarité est sans importance face à l’imminence de la mort, une chronologie d’actes, d’expériences, qui ne sont qu’une réminiscence de ce qui a été oublié, un seuil infinitésimal qui s’intercale entre ce qui vient de se passer et ce qui va se passer. Le véritable dessein pour l’homme nahuatl, soumis à l’influence de la « Roue du temps », devient alors de s’imprégner du mouvement du monde pour ressentir, dans son corps, l’abstraction géométrique qui le délivre de l’illusion du temps et qui le relie à l’Univers.

Notes
1264.

J. M.G. Le Clézio, Le rêve mexicain, op. cit., p. 214.

1265.

Leticia Varela, La música en la vida de los yaquis, op. cit., p. 141.

1266.

Alfredo López Austin, Cuerpo humano e ideología, op. cit., p. 221.

1267.

Ibidem.

1268.

Ibidem.

1269.

Ibid., p. 222.

1270.

Ibid., p. 221.

1271.

Laurette Séjourné, Pensamiento y religión en el México antiguo, op. cit., p. 101.

1272.

Cf. 2ème et 3ème partie.

1273.

Popol Vuh, Valérie Faurie, op. cit., p. 4.

1274.

Miguel León-Portilla, La pensée aztèque, Ed. du Seuil, 1985, p. 244.

1275.

Pablo Escalante Gonzalbo, Los códices, Ed. Tercer Milenio, CNCA, México, 1988, p. 5.

1276.

Christian Duverger, La fleur létale, Ed. du Seuil, 1979, p. 36.

1277.

Ibidem.

1278.

Christian Duverger, La fleur létale, op. cit., p. 46.

1279.

Ibid., p. 47.

1280.

Le tonal ou tonalli est aussi une force lumineuse qui apparaît comme la maîtrise de la conscience, du raisonnement, de la volonté et du destin. (Cf. INI, Diccionario Enciclopédico de la medicina tradicional mexicana, tomo II, op. cit., p. 820).

1281.

Le nahual ou le nagual dont la polysémie renvoie, entre autres, à la part animale de l’homme, à l’essence spirituelle de la terre, aux métamorphoses atmosphériques, au principe interne/externe, etc. (Cf. INI, Diccionario Enciclopédico de la medicina tradicional mexicana, tomo II, op. cit., p. 620).

1282.

Christian Duverger, La fleur létale, op. cit., p. 47.

1283.

Susana Carón, Quetzalcóatl à travers les cultures et les mystères du Mexique, Diffusion/Traditionnelle, 1993, p. 102.

1284.

Christian Duverger, La fleur létale, op. cit., p. 55.

1285.

Christian Duverger, La fleur létale, op. cit., p. 31.

1286.

Jacqueline de Durand-Forest, L’histoire de la vallée de Mexico selon Chimalpahin Quauhtlehuanitzin, L’Harmattan, 1987, p. 429.

1287.

Cf. 2ème et 3ème partie.

1288.

Géza Róheim, Les portes du rêve, Ed. Payot & Rivages, 2000, p. 301.

1289.

Frank Waters, Le livre du Hopi, op. cit., p. 49.

1290.

Ibidem.