Après la perte de sa «place» dans la société, quelle place lui laisse t-on dans ce milieu institutionnel ?
Peut-il retrouver une «place» qui lui permette de s'adapter et de rééquilibrer son monde interne ?

Nous verrons que ce placement en institution hospitalière est vécu comme un événement traumatique, qui ébranle un équilibre précaire dû aux perturbations psychologiques et physiques de la sénescence. Il réactive la crainte d'un effondrement, de se sentir une nouvelle fois diminuée, les appréhensions à se confronter aux autres.

De notre hypothèse, nous explorerons chaque élément qui la compose et qui préfigure la distribution des étapes de notre travail de recherche.

Afin de bien discerner l'anorexie du refus alimentaire, dans une première partie, nous les définirons et ferons un état de la question entre anorexie et refus alimentaire.

Nous aborderons la démarche méthodologique qui a été la nôtre dans cette recherche.

Dans la deuxième partie, nous étudierons la question du vieillissement physiologique et psychologique, ses répercussions sur la personne et sa relation avec le refus alimentaire. Nous verrons que les modifications liées au vieillissement provoquent des perturbations alimentaires et que les insuffisances d'apport alimentaire le rendent encore plus fragile et vulnérable. Le corps devient alors le lieu des dysfonctionnements, des plaintes qui permettent à l'âgé d'exprimer sa souffrance psychique à travers sa souffrance corporelle.

Sur le plan psychologique, le sénescent doit faire face à une crise qui met en péril les étayages acquis jusqu'à ce jour et qui s'étaient révélés efficaces.

Cette crise va pour certain être les prémices d'un désordre alimentaire qui se changera en refus sous l'effet d'un traumatisme comme le placement.

Le sujet se trouve dépendant de son environnement, dans le choix de sa destinée, de son terme.

Au cours du vieillissement, le narcissisme défaille. La personne âgée perd confiance en elle, elle se réassure auprès de son environnement lorsqu'elle le peut. Par les plaintes, le corps devient le médiateur de ce besoin de réassurance sur l'image qu'elle donne aux autres.

A cette question du vieillissement est liée le travail du vieillir qui peut offrir à l'âgé une possibilité de remettre en ordre les moments laissés dans l'ombre dans son vécu.

Nous aborderons la question du vieillir et la temporalité, celui en lien avec le travail du deuil et celui spécifique de la mort.

Dans la troisième partie, nous traiterons plus spécifiquement du sens du refus alimentaire.

Nous verrons dans un premier point, que le refus alimentaire peut être un mode de réponse au placement institutionnel, un refus d'être dépossédée de son identité, un refus comme conséquence de la dépossession de sa mort.

Dans un deuxième point, nous aborderons le refus alimentaire comme étant l'expression d'une réaction défensive pour se protéger d'une menace extérieure qui met en danger son espace psychique, l'élaboration du travail du vieillir, une dépossession de sa mort.

Dans un dernier point, nous lierons refus alimentaire et dysfonctionnement du travail du vieillir, un désinvestissement narcissique.

De notre premier travail, (C.Ducottet, 1998) nous avions centré notre recherche sur des personnes ayant des troubles du comportement alimentaire en milieu institutionnel ou à leur domicile. Un questionnaire qui ciblait l'alimentation, était proposé aux personnes âgées, à leur famille et aux soignants référents de la personne. Cette méthode pouvait difficilement s'appliquer car nous étions en présence d'une population en état de faiblesse psychique et physique trop important.

Ces questionnaires ont permis de cerner plus précisément les liens entre refus alimentaire, le placement et l'environnement de la personne âgée. Pour plusieurs raisons nous avons renoncé à cette méthode pour ce travail de recherche :

A partir de notre première démarche méthodologique qui a été celle du questionnaire à l'adresse de la personne âgée et de son entourage, la poursuite de la conduite méthodologique, s'est constituée par des entretiens de durée irrégulière selon l'état de santé de la personne. Les seules interventions que nous nous autorisions, étaient des relances sous formes de questions ou des reformulations.

Nous avons renoncé à toute autre méthode car explorer le refus alimentaire quelles que soient les pathologies associées, c'est accepté de se voir refuser l'entretien.

Cet empêchement se manifeste par différents comportements : une opposition verbale parfois agressive, mutisme, une incapacité physique et psychique de la personne de soutenir celui-ci.

Nous avons fait le choix d'avoir une méthodologie souple, qui s'adaptait aux conditions du service (difficulté de trouver sa «place» en tant que chercheur psychologue) à la personne âgée et ses refus.

Après un premier entretien proposé à des personnes ayant des troubles du comportement alimentaire, décelé par les soignants ou les familles, nous établissons des rendez-vous régulier, avec la personne âgée à raison d'une fois par semaine.

Le décès ou leur état de santé trop critique de certains patients ont limité la durée des entretiens. Cette difficulté éprouvée lors des entretiens nous a permis de constater que le refus alimentaire était aussi associé au refus de paroles, de soins : au refus dans sa globalité.

Des entretiens ont été proposés aux familles et aux soignants référents. Malgré certaines difficultés, les entrevues possibles ont permis de cerner le rôle prépondérant de l'environnement de la personne âgée et son impact sur le développement du refus alimentaire.

Certains médecins dans leurs préoccupations professionnelles de recherche se sont ouverts à une articulation psychique tels que J.Morley, E.Amella et d'autres chercheurs Nord Américains qui ont travaillé sur la dépression du sujet âgé et sur les incidences sur la nutrition. M.Ferry et ses recherches sur les comportements alimentaires liés à la vieillesse, les facteurs liés aux pathologies qui pourraient avoir des répercussions sur la prise alimentaire.

Les principaux auteurs auxquels nous ferons référence sont les fondateurs de la métapsychologie psychanalytique : S. Freud, A. Freud, RA.Spitz, M. Klein D.W.Winnicott.

Nous ferons référence aux travaux de S.Freud sur les angoisses, le narcissisme, la notion du principe de plaisir.

Nous reprendrons les recherches sur les mécanismes de défenses développés par A.Freud et M.Klein.

De D.W.Winnicott nous reprendrons ses travaux sur la transitionnalité, les comportements de la mère et du nourrisson dès les premiers instants.

D'autres auteurs ont travaillé plus spécifiquement sur la question du vieillissement, de l'importance de la famille, de l'entourage institutionnel :

Enfin, nous ferons référence aux travaux de J.Bowlby, K.Lorenz, et B.Cyrulnik pour leurs travaux sur l’étude comportementale.

De ce travail se dégage une partie théorique dans laquelle nous argumenterons sur la question du vieillissement et ses modifications physiologiques et psychologiques qui sont bien souvent les causes de l'émergence d'un déséquilibre psychologique chez l'âgé.

Ainsi, lorsque l'on étudie le processus du vieillissement, il est important de garder en mémoire les pertes, les remaniements, les crises, les deuils, que la personne âgée a traversé au cours de son histoire et qu'elle a plus ou moins bien résolues et qui peuvent permettre une meilleure compréhension dans l'émergence des comportements jugés inadaptés.

La personne âgée affaiblie ne pourra qu'accepter le placement proposé ou imposé. Nous verrons quel est le sens du placement et son retentissement sur le monde interne de la personne âgée.

Nous essayerons de comprendre le sens du refus alimentaire chez la personne âgée institutionnalisée, «qui n'a plus sa place.»

La deuxième partie centrée sur la clinique ouvrira sur un autre débat d'hypothèse à partir de l'étude d'un matériel traité essentiellement d'entretiens cliniques. Nous aborderons les difficultés rencontrées pour le recueil du matériel de recherche.

L’analyse des données se fera sur une répartition en trois groupes :

De ces observations nous essayerons de donner des perspectives à visée thérapeutiques sur la question du placement et ses conséquences sur la personne âgée. Elles permettront d'aborder le refus alimentaire dans sa signification psycho-dynamique et non plus seulement somatique. Nous essayerons de proposer des applications pratiques qui peuvent aider à une meilleure adaptation au placement, de soumettre d'autres alternatives que le placement.

Avant d'aborder le cheminement de cette recherche, il nous a paru important de témoigner de notre position dans le choix de cet objet d'étude. Sans s'appesantir sur des expériences d'un environnement personnel, nous avons toujours été frappé par l'absence de toute considération du refus alimentaire chez la personne âgée, ainsi que par la similitude des conséquences d'autodestruction violente avec l'anorexie de la jeune fille ou de l'adulte jeune.