II.1.2.3.1. La perte sociale : la retraite.

La retraite est la seule perte du rôle social revendiquée, attendue, acceptée par l'individu comme étant un droit acquis. Mais c'est aussi celui qui signifie la mise en retrait de l'individu dans son rôle «d'acteur» de la vie sociale. La retraite représente non seulement la perte du rôle social en tant qu'arrêt de l'activité professionnelle, mais elle entraîne du même coup une succession d'abandons, de modifications dans la vie de l'individu.

J.Gaucher pense que la perte des rôlessociaux est le point de départ «d'une déstabilisation du sujet vieillissant.»(J.Gaucher, 1993)

Si l'on se réfère à la définition de A.M Rocheblave-Spenlé, cité par J.Gaucher, les rôles sociaux représentent «un lien tissé entre l'individu et le groupe» (Rocheblave-Spenlé, 1962) lui permettant de se situer au sein de son entourage, de lui donner une identité sociale.

Lors de la mise à la retraite, il y a perte des statuts et des rôles abandonnés. Cette déchéance sociale entraîne le plus souvent une perte de l'estime de soi, une dépréciation de l'image personnelle.

Certains assimilent la retraite à une «mort sociale» responsable de l'ennui, du vide laissé, et de ce fait associé à la mort. Certains jeunes retraités réagissent par une hyperactivité en s'investissant dans le secteur associatif par exemple.

H.Reboul écrit à ce sujet :

‘«C'est leur manière de vivre le présent, encore marqués par l'organisation du temps selon le mode de vie du travailleur, de l'actif» (H.Reboul, 1982) ’

Malgré cela, la personne retraitée passe du statut d'actif à celui d'inactif avec la projection de l'entrée dans la vieillesse.

Le statut de vieux représente la perte de ce qui lui permettait de se situer par rapport aux autres, au groupe social : métier, domicile, conjoint, enfants, amis, loisirs…

La dimension de la perte lors de la retraite est d’autant plus importante que l’individu s’est investi dans son travail. Pendant une partie de sa vie, il a côtoyé, partagé les difficultés, les réussites de l’entreprise, les soucis et les bonheurs des collègues de travail. Et puis, une date administrative, fatidique le pousse obligeamment à la porte. Pour la première fois, l’individu prend conscience de la réalité du temps qui a passé et du temps qui lui reste. C’est l’expression du bilan de vie de C. Balier. (1979)

La retraite est alors vécue comme une séparation avec la vie relationnelle et il devient très difficile, surtout dans nos sociétés, de retrouver, de se réapproprier une identité sociale. Ce pourrait être une identité de retraités, ce qui semble être le cas pour une partie d'entre eux, que l’on retrouve dans les voyages, les universités tous âges ou le bénévolat et qui manifeste une activité trépidante, laissant peu de place à l'oisiveté. On peut cependant regretter que cette identité ne passe pas par la transmission d’un héritage d’une génération à une autre.

En résumé, on peut penser que l’environnement professionnel permet à l’individu de se former une image identitaire renvoyée par l’autre, qui lui donne la possibilité d’être parti intégrante d’un être social, communicant, et étayant. La mise à la retraite érode cette image de soi et appauvrit les échanges relationnels.

La rupture dans le rythme, dans l’organisation temporelle de la vie quotidienne amorce la perte de contact relationnel par éloignement, isolement.

Parfois, la dépression envahit le sujet qui n’a plus le goût à rien, avec au fond de lui, la honte de se savoir inutile, improductif. Les échanges s’amenuisent et les étayages s’effritent. Il est important de rajouter que ce rôle est d’autant plus important pour la personne que son investissement a été majeur dans sa participation à la vie sociale.

‘«L’investissement, l’attachement du sujet à son rôle est un véritable cordon ombilical pour le rôle, le nourrissant des mouvements psychiques du sujet qui l’a investi.» (J.Gaucher, 1993)’

Lors de la séparation, l’individu perd une image de son Moi social. Il perd son statut social en tant qu’individu devenu improductif, plus rentable dans la réalité économique et sociale. Il se retrouve rejeté par ceux qui l’avaient valorisé.

Ces facteurs sont alors sources de remise en cause de sa personnalité, de l’image qu’il avait de lui-même et qu’il projetait sur son entourage comme représentation de ce qu’il était. Il doit maintenant accepter cette «trahison», transformer cette crise en une adaptation à cette nouvelle étape à vivre.

La page de ce livre de la vie est difficile à tourner. Mais la page ne peut s’écrire deux fois. Les uns la relisent sans cesse, d’autres ont la force, la curiosité suffisante pour continuer à tourner les pages pour découvrir la suite de l’histoire jusqu’à la page finale.

Ch. Herfray écrit à ce propos :

‘«Celle-ci (la destitution) l’inclut dès lors dans une catégorie dont l’étiquette connote la marque du moindre, du peu important, de l’inutile. C’est à cette catégorie qu’il appartient dès lors et ceci pour toujours» (Ch.Herfray, 1997.) ’

C'est ainsi qu'à la retraite, les contacts sociaux peuvent disparaître. Les collègues de travail sont eux aussi à la retraite, les uns se rapprochent des enfants, d'autres se replient sur eux-mêmes vivant cette période avec un sentiment d'inutilité.

Pour J.Gaucher, la mise à la retraite fait partie d’un ensemble de rôles sociaux, comme les rôles de géniteurs, de parents, que l’individu doit rendre « au groupe social afin d’assurer une rotation des tâches et des charges» (J.Gaucher, 1993)

C'est vrai dans la réalité sociale, dans la réalité économique mais elle reste dure à accepter quand le moment est venu de se retirer de la scène et que le rideau tombe.

La retraite n'est pas la seule responsable de l'isolement relationnel.

L’environnement de l’âgé se dépeuple progressivement : éloignement des collègues de travail, le départ des amis, des parents de la même génération, le conjoint, qui quittent leur domicile pour des maisons de retraite, pour l’hôpital ou qui meurent, laissant à celui qui reste les souvenirs communs qu’il ne pourra plus dorénavant partager.

A ces pertes d’objets, sources d’investissement, de remaniements affectifs, l’âgé doit y faire face, ainsi qu'à l'isolement, conséquence bien souvent de ces pertes.