II.1.2.3.2. L'isolement.

Réactions aux pertes successives, refuge contre les rejets du milieu, l'isolement de l'âgé s'installe progressivement et peut amener à une réelle solitude. Solitude qu'il ne faut pas confondre avec l'isolement.

Ce dernier est du registre du relationnel et provoque chez le sujet âgé un sentiment de rejet. La solitude en est le ressenti dans le sens Winnicottien, c'est-à-dire, la capacité d'être seul en présence de l'autre. (D.W.Winnicott, 1969)

Nous avons vu que depuis la retraite, avec la perte progressive des rôles sociaux, des contacts relationnels que lui apportaient sa profession, la personne se retrouve face à un «vide» Les seules relations qu’il peut avoir est le passage de l’aide à domicile ou d’un professionnel de santé.

Il ne faut pas faire pour autant du vieillissement, un fait essentiellement social. Cependant, les conditions de l'environnement peuvent provoquer des modifications internes de la personnalité touchant à son identité. La différence est grande pour une personne âgée qui vieillit dans un entourage satisfaisant et la personne seule, handicapée, malade et/ou dépendante.

Le questionnaire que nous avions fait passer lors de notre précédente recherche montrait bien la place du repas comme un espace de convivialité, de joies et de plaisir pour la majorité des personnes interrogées qui vivaient dans un milieu où elles étaient entourées. Les cas étaient très différents pour celles qui étaient seules, sans famille ou en institution.

Les repas n'avaient plus le même sens : obligation de manger à des horaires imposés, menus peu attrayants et identiques pour chaque pensionnaire, voisins de table non choisis. (C.Ducottet, 1998)

D'autres facteurs comme l’éloignement des enfants, la modification de la structure familiale, qui est restreinte au père, à la mère et aux enfants, éloignent les grands-parents de leur place dans la famille.

La transitionnalité ne peut s’effectuer, car leur rôle ne peut plus servir d’instrument transmetteur d’un savoir, d’une expérience acquise dans leur histoire de vie.

La perte du conjoint aggrave aussi cet isolement qui peut se transformer peu à peu en une grande détresse, en solitude. La mort de l'un isole un peu plus celui qui reste.

Le couple qui s'est trouvé confronté au vieillissement de ceux qui le composent, a du réapprendre à vivre à deux différemment. Le couple peut vivre en fusion, replié sur lui-même, s'enfermant dans un isolement qui sert de mur de protection.

Le couple a eu du mal à s'adapter et la présence continue peut conduire l'un des deux à adopter un statut de malade, l'autre prenant alors le rôle de garde-malade.

La dépendance physique, la maladie aggravent un peu plus cet isolement car elles sont bien souvent sources d’exclusion. Il ne se risque alors, plus hors de chez lui, il cache ce corps affaibli, transformé. L'isolement est alors recherché pour ne pas subir cette mise à l'écart de l'autre.. Il devance d'une certaine façon une marginalisation en prenant en main son destin, se défendant contre un environnement qui ne satisfait plus ses désirs.

L’âgé dépendant se trouve rapidement dans l'obligation de quitter sa maison car il ne peut subvenir à ses besoins, son domicile devenant inadapté.

L'isolement, l'exclusion du milieu peuvent avoir une incidence sur le caractère de l'âgé. Il peut devenir irritable, de mauvaise humeur, agressif, mettant en jeu ce système défensif pour lutter contre l'agression réelle ou perçue comme telle de l'environnement; contre l'incapacité de suivre le rythme de communication et d'activité de ce même environnement.

Il peut aussi signifier la fuite devant l'image de la vieillesse de l'autre que l'on ne supporte pas. L'âgé se replie pour ne plus souffrir.

L'isolement, la marginalisation, liés aux somatiques peut amener le sujet âgé à être seul en présence de l'autre. Ainsi, en milieu institutionnel, l'âgé peut être seul au milieu du groupe. Il n'a pas investi son nouvel environnement.

Nous verrons que les troubles alimentaires apparaissent souvent chez des sujets qui ont connu la solitude et qui encore des difficultés à investir

‘«La capacité d'être seul est un phénomène très élaboré qui apparaît dans le développement individuel après l'établissement des relations à trois…» (D.W.Winnicott, 1969)’

Pour cela l'individu a du expérimenter cette solitude dans son enfance pour pouvoir l'assumer de nouveau et à un niveau suffisant de construction du Moi

‘«La capacité d'être seul repose sur l'existence dans la réalité psychique de l'individu d'un bon objet» (D.W.Winnicott, 1969)’

Ainsi, le sujet âgé qui a une représentation de son monde interne appauvri, crée son monde extérieur sur le même modèle. Par contre, s'il a la capacité à être seul, acquise par l'intériorisation de bons objets, acquisition d'assises narcissiques sur lesquelles s'est fabriqué l'identité, il sera dans la possibilité d'accepter sa solitude car il peut accepter l'autre.

Le refus alimentaire ne serait-il pas alors le symptôme de cette solitude mis sur la scène corporelle de l'âgé qui prend conscience lors de son placement qu'il est dans l'incapacité de développer une réponse adaptée aux événements car il n'a plus les ressources suffisantes ?

Ainsi, les changements sociaux, relationnels et familiaux (perte du conjoint, éloignement de la famille), l’affaiblissement du corps, menace le sujet dans son intégrité psychique, surtout si les rôles sociaux ne peuvent se détacher du monde interne de la personne.

Ainsi, chaque perte, chaque transformation du corps, chaque blessure imposée par l'environnement est vécue comme une atteinte de soi et de son identité. Certains comportements d'agressivité, de violence, des manœuvres de chantages affectifs ne sont que des réactions de révolte, des moyens de pression pour que l'entourage entende son appel à l'aide et contre toute perte de soi.

L'âgé va élaborer des tactiques et des stratégies pour faire face aux difficultés de l'âge, essayant de trouver les réponses qui lui correspondent le mieux dans la mesure où il ne subit aucune entrave de la part de son environnement et d'assumer ainsi la crise de sénescence pour éviter les pièges du renoncement, du repli.

L'isolement et son ressenti la solitude ne sont pas liés seulement à la perte des contacts sociaux mais aussi à la dimension psychique qui doit être prise en compte.

Si le vieillissement s'accompagne d'une succession de changements, de pertes, comment se traduisent-ils sur le plan psychique ?

Où se place le refus alimentaire dans ces remaniements psychiques dans la crise ?

Face aux menaces de désintégration, aux pertes, comment l'identité du sujet se maintient-elle ?

Comment la personne âgée va t-elle réussir à maintenir son narcissisme face aux changements dévalorisants de la vieillesse, dans un lieu où elle sait qu'elle va mourir ?