II.2.1. Le travail du vieillir et la question de la temporalité.

Vieillir, d'après J.Guillaumin est pour chaque individu l'occasion d'une rencontre avec lui-même et qui l'invite à «réinventer le temps» (J.Guillaumin, 1982)

Il suggère que

‘«Le temps de l'après-coup devient alors celui d'un «après-tout», d'un au-delà de tous les traumatismes, qui rend maître en esprit de la mort elle-même. Après avoir tout perdu, après avoir tout souffert, et tout aimé, on peut «après tout» vivre psychiquement sans jamais d'après, syntone désormais à l'écoulement du temps et à la personne de l'être.» (J.Guillaumin, 1982)’

Pour lui, la vieillesse est un moment de blessures, d'altération, mais ce peut être aussi l'élaboration d'un travail de sens du chemin déjà parcouru, du déjà vécu. Ce travail permet alors de construire un lien inexistant dans l'identité.

‘«Comprendre sans contresens la vieillesse de l'homme exige donc que par delà le discours extérieur sur le déclin biologique, on questionne dans leur intériorité les effets de choc ou des chocs successifs de l'âge envisagés comme des traumas désorganisateurs et inséparablement comme des chances tardives, parfois jusqu'au bout maintenues, de réarticuler et de resignifier la vie entière par la transmutation de ce qui est demeuré jusque là psychiquement inaccompli, inachevé ou inassumé.» (J.Guillaumin, 1982)’

Le travail du vieillir serait donc un travail de l'après, où le temps est en lien avec l'histoire de vie de l'individu âgé. Il est en lien par conséquent avec la mort qui n'est autre que le terme de la vieillesse dans la logique de la vie.

‘«La vieillesse est le moment où peut s'assimiler la perspective du mourir telle que bien des personnes âgées la mette en travail à partir ou à propos de la mort des autres, récente ou ancienne, reprise dans un mouvement identificatoire puissant qui fait que la mort devient ma mort et que celle de l'autre parent ou ami devient et préfigure la mienne.» (J.Gaucher, 1996)’

Certains sujets suppriment cette vue d'ensemble de leur histoire afin d'échapper à la loi du temps qui passe et qui va vers une fin. Ils veulent ainsi fuir l'angoisse de leur avenir, c'est-à-dire de leur échéance mortelle. Ils se mettent ainsi, hors du temps.

L'âgé, en refusant de se nourrir, ne montre t- il pas son refus de continuer dans ce temps qu'il n'a pas voulu, qui ne correspond plus à son histoire ? A son temps ?

Le temps est aussi rattaché aux souvenirs heureux et ceux qui sont restés dans l'ombre, mis de côté, blessures imparfaitement cicatrisées.

On connaît la persistance de l'événement passé dans la mémoire du sujet âgé, au détriment d'événements plus récents. Le travail du vieillir consistera aussi à réactiver ses blessures afin de les replacer dans l'histoire de la personne, non pas en les juxtaposant les uns aux autres mais en leur donnant sens dans son histoire.

Pour D.Quinodoz, le fait d'isoler un moment de leur vie chargé de trop d'angoisse est une façon d'éviter que l'angoisse ne contamine tout leur vécu.

De ce fait, ils empêchent que ce moment soit à son tour modifié par les expériences qui l'auraient rendu supportable. Ils le mettent en quelque sorte entre parenthèse ou bien l'occulte pour se protéger d'une trop grande angoisse.

‘«Ces patients qui figent le temps pour tuer le souvenir me donnent l'impression de susciter l'angoisse en croyant inconsciemment l'éviter.» (D.Quinodoz, 1990)’

Le travail du vieillir est lié au temps avec cette possibilité de constituer sa propre histoire interne, en ré-élaborant ses souvenirs.

‘«Le travail du souvenir entraîne un dépoussiérage, un ré/aménagement du passé pour qu'il entre dans l'économie psychique du vieillard en répondant au besoin du moment.» (J.Gaucher, 1982)’

Le travail du souvenir va donc consister à ramener à la surface les événements parfois lointains et transformés. La personne fera le lien avec son passé. Elle mettra en sens les événements de son histoire ce qui va lui permettre de se dégager des vécus traumatisants qu'elle a pu refouler autrefois.

Le travail du vieillir a un autre aspect : le travail de deuil qui garde sur le plan psychique ce qui est perdu concrètement.