II.2.2.2. Le deuil du Moi

L'âgé doit surmonter un autre deuil qui est celui du deuil anticipé de sa propre mort, c'est le «bilan de vie» dont parle E.Jaques (E.Jaques, 1990)

Le sujet prend conscience que «la donne» n'est plus la même qu'au temps de sa jeunesse. Il doit accepter sa propre perte pour pouvoir continuer à vivre.

Il doit renoncer à cet objet que H.Bianchi appelle «le Moi-objet narcissique»

‘«…On comprend mieux qu'un deuil véritable du Moi-objet, c'est-à-dire le maintien d'un investissement libidinal du Moi, mais comme d'un objet dont le deuil est fait, la perte acceptée, soit la condition d'un investissement non narcissique de l'autre : le maintien de l'intérêt pour le monde et l'amour éventuel pour des objets se trouvant alors facilité par la renonciation narcissique en quoi consiste le deuil du Moi» (H.Bianchi, 1987) ’

Ce deuil du Moi qui n'est autre que lui-même et que nous nommerons le «Soi-même», car il correspond à la personne dans sa globalité d'être humain. Le Moi doit se détacher des liens qui le retiennent et pour cela investir des objets d'amour extérieurs.

La difficulté est que trop souvent l'entourage fuit cette demande quelque peu expansive. Certains se raccrochent alors, à la foi, la croyance, le mythe, la filiation qui leur permettent d'investir un objet immortel.

Nous retrouvons ce surinvestissement des objets d'amour dans le travail du trépas dont nous parle M.de M'Uzan.

Il semblerait que l'âgé soit conscient de sa mort prochaine et qu'il s'engagerait dans une ultime expérience relationnelle. L'entourage a bien souvent du mal à prendre le rôle de cet objet d'amour par peur d'être entraîné dans cette relation mortifère ou ne pouvant s'identifier à ce parent vieillissant. Ce retrait est vécu comme un abandon.

Ainsi, si l'âgé peut effectuer un travail de deuil de son Moi en s'étayant sur des objets extérieurs, il peut continuer sa vie dans la sérénité.

Par contre, que se passe t- il si l'âgé ne peut investir d'autres objets ?

Le deuil de son Moi ne peut s'effectuer, il n'y a pas de renonciation narcissique du Moi, mais du monde extérieur qui l'abandonne. Le sujet se replie sur son monde interne.

Peut-on penser que le refus alimentaire se situerait à ce moment du repli narcissique, au moment de ce sentiment d'abandon ressenti par le sujet âgé ?

La notion renvoie donc à la perte et à la séparation. Chaque individu est confronté à des changements qui l'obligent à investir ou désinvestir des objets. Le travail de deuil permet d'accepter ses limites pour pouvoir se reconstruire, effectuer une élaboration psychique.

‘«Ce n'est qu'après ce travail de deuil que le Moi se trouve libéré.» (B.Cuisinier, 2002)’ ‘La personne se détache peu à peu de cet objet disparu. Elle se sent renaître et peut s'ouvrir à d'autres investissements.’ ‘«Dans le deuil, l'on s'enrichit de ce dont se sépare.» (Ch.Herfray, 1988)’

La mort de l'autre confronte l'individu avec le travail de deuil.

Que se passe t- il lorsqu'il s'agit du dernier travail psychique de la vie : le trépas ?

M. de M'Uzan présente ce travail du trépas comme :

‘«Une activité psychique que tout être doit accomplir au cours du passage qu'est le trépas.» (M. de M'Uzan, 1977)’