II.2.3. Le travail du vieillir et la question spécifique de la mort.

‘«Nous soutenions volontiers que la mort est la fin nécessaire de la vie… Cependant en réalité, nous avions l'habitude de nous comporter comme s'il en était autrement…Dans l'inconscient tout le monde est convaincu d'être immortel» (S.Freud cité par E. Jaques, 1990) ’

Ce que S.Freud exprime c'est que la mort est toujours l'expérience de la mort de l'autre, celui que l'on a vu mourir. Il y a un âge où l'individu ne se fait plus l'illusion de son immortalité. Le vieillard est celui qui va, qui doit mourir.

‘«Il existe un âge critique à partir duquel la mort change de statut; de nature accidentelle, injuste, intrusive, elle va devenir logique, prévisible, naturelle et compagne quotidienne.» (J.Gaucher, 1993)’

L'âgé se voit confronté à la mort de l'autre, du conjoint, parfois d'un enfant, objet d'amour investi tout au long de son existence. Cette épreuve provoque à la fois la rupture des liens affectifs mais réactive aussi l'angoisse de sa propre mort. Cette angoisse est générée par le vieillissement et son lot de pertes et de deuils. Le vieillard n'est plus étayé par la réalité sociale qui le soutenait dans sa nécessité à vivre. Il était le maillon de la chaîne qu'il ne fallait pas rompre pour que le groupe social garde son équilibre. Maintenant son avenir est fermé par l'image de la mort, les instants de vie ne sont vécus que dans l'immédiat. Il semble que si le passé ne peut s'intégrer dans le présent, celui-ci disparaît.

L'âgé n'a plus de prise sur cet environnement. Il s'en retire dans un premier temps puis il se replie en lui-même, en se défendant par des conduites, des comportements, en opérant un travail affectif et émotionnel. Ainsi, la situation de mort montre que l'enjeu c'est bien la vie ou la mort et c'est en même temps la perte de son identité.

Pour faire face à cette ultime échéance, le sujet âgé doit accepter la réalité. Cette acceptation de la réalité passe par le travail du vieillir, le travail du trépas et la reconnaissance des deuils et des renoncements, le maintien de l'identité et de l'estime de soi sources nécessaires au maintien de la vie. Ainsi, l'angoisse de mort liée au statut narcissique et la perte de l'identité entraîne la négation de tout désir de vivre.

La vieillesse est le stade de la vie où, le passé s'impose sur un avenir incertain. Le sujet vieillissant se retrouve confronté à des traumatismes, des deuils inachevés, des blessures narcissiques qui n'ont pas été résolus au moment des événements et qui se retrouvent réactivés au moment de la sénescence. Un bilan s'impose. Il demande un véritable travail psychique. Le sujet devra ré-élaborer ses périodes restées dans l'ombre.

Pour D.Quinodoz :

‘«C'est porter un regard sur l'ensemble de son histoire personnelle interne, afin de pouvoir situer la fin de sa vie dans la trajectoire totale de sa propre vie.» ( D.Quinidoz, 1994)’

Si ce bilan est positif, il permettra à la personne âgée de garder une certaine estime d'elle-même. Le travail du vieillir va permettre d'accepter sa vie passée et constitue le début d'un deuil de soi.

‘«Il est difficile de céder sa place avant de l'avoir trouvée, de terminer son histoire interne avant qu'elle soit devenue une histoire totale, de quitter la vie avant d'avoir eu le sentiment d'avoir une vie.» (D.Quinodoz, 1994)’

D.Quinodoz rappelle l'importance de la quête de sa place pour le sujet âgé. De ce fait, de nouvelles interrogations se posent lorsque le sujet est placé dans un lieu qui ne tient pas compte de sa quête :

Si le narcissisme est le gardien de la vie, on peut se demander si le refus alimentaire ne s'engouffre pas dans un vide laissé par un narcissisme défaillant. La personne âgée a perdu l'estime d'elle-même, elle s'est détachée des objets extérieurs. Elle se replie sur elle-même.

Est-ce que le sens du refus alimentaire, ne serait pas une réponse au placement institutionnel, vécu comme arbitraire et remettant en cause les choix de vie qu'avaient pu faire l'âgé ?