III.1.1.1.1. La représentation du domicile.

La demeure est pour la personne âgée un lieu de sécurité, de souvenirs de sa vie passée, d'habitudes prises au fil des années. L’aménagement de celui-ci est le reflet de ceux qui l’habitent. Ainsi, quitter sa maison, c'est perdre une partie de soi-même.

Selon le peintre Hundertwasser, peintre autrichien du XX° siècle, le domicile est la troisième peau de l'homme. (B.Gueyraud, 1992)

Toute séparation d’avec son environnement est alors vécue comme une rupture traumatisante qui remet en cause ses repères affectifs, relationnels, son mode de vie, mais aussi ses repères dans l'espace et dans le temps.

Cet événement n'est pas propre au sujet âgé. Les victimes de catastrophes naturelles ou non, vivent la perte de leur maison comme traumatisante : «J'ai tout perdu, je n'ai plus rien! »

Lorsque que l'on a perdu son rôle social, ses amis, son conjoint, que l'on connaît l'isolement, l'éloignement des enfants, on se raccroche à son environnement immédiat, source de bien-être : sa maison, ses objets familiers comme les photos, les petits souvenirs qui représentent un moment particulier, connu de soi seulement, tout ce qui représente sa propre histoire. Cet environnement hétéroclite mais ayant du sens, procure le sentiment d'exister et touche l'identité même de la personne en tant qu'être de désirs, de souvenirs passés.

Le foyer de la personne âgée est le témoin d'un passé riche d'émotions, de sensations, de souvenirs qui permet de supporter un présent marqué souvent par le vide, la solitude et l'ennui. Pour elle, l'habitation est chargée d'émotions, de souvenirs qui renvoient aux images parentales, à sa jeunesse, à ce foyer rempli d'enfants pour certains, mais aussi de projets, de désirs. Elle préserve son autonomie vis-à-vis de son entourage dans le sens de son indépendance. Elle lui procure un sentiment de pouvoir sur l'environnement, c'est-à-dire qu'elle se sent protégée, en sécurité, en son sein.

L’habitation est donc avant tout un lieu de vie où le sujet vit à son rythme, avec ses habitudes : activités journalières scandées par les horaires des repas, des courses quand elles sont encore possibles, les visites des quelques amis, des soignants (infirmières, auxiliaires de vie)…

Tous ces rites donnent du sens à son temps, à son quotidien et ils lui permettent de rester dans la réalité, de garder son identité, de se protéger contre le sentiment d'abandon. Le domicile et les objets qui s'y rattachent, jouent le rôle protecteur, de réassurance qui accordent à l'individu la possibilité de garder son intégrité et son unité.

La demeure protège l’individu du monde extérieur comme peut l’être le ventre maternel, lieu de protection, de réassurance. Ainsi, les personnes âgées décrivent souvent la maison de leur enfance, cette époque de leur vie entourée de protection et d'affection.

Pour D.Anzieu, la personne qui se trouve dans une pièce familière ressent une enveloppe de chaleur primaire.

‘« Le patient seul dans une pièce familière et valorisée, vit une expérience d'accroissement et d'élaboration du Soi avec une extension des limites du Moi corporel aux dimensions même de la pièce. Le bien-être d'avoir un Moi-peau d'une part en expansion, d'autre part lui appartenant en propre, ravive l'impression primaire d'une enveloppe de chaleur.» (D.Anzieu, 1985)’

Ainsi, l'enveloppe du domicile et l'enveloppe corporelle se confondent pour apporter à la personne une chaleur protectrice, «un pare-excitation qui tient autrui à distance.» (D.Anzieu, 1985)

En milieu institutionnel, nous retrouvons les personnes coincées entre leur lit et leur fenêtre comme si elles recherchaient un petit espace de chaleur et de bien-être. Elles ont délimité leur «espace-peau».

Parfois, ce lieu de vie investi psychiquement par la personne âgée, ne coïncide pas toujours avec la réalité. En effet, le logement peut parfois être vétuste, mal entretenu, mal adapté aux nouvelles conditions de l'âgé qui peut se retrouver en situation de dépendance physique.

Les ressources peuvent devenir insuffisantes. La personne n'a plus les moyens physiques et financiers de l'entretenir. Elle se prive sur le plan alimentaire limitant ses achats et excluant les denrées chères. Elle perd peu à peu le goût de certains aliments. Son existence devient triste et monotone. Peu à peu, elle perd le goût de tout, non seulement de manger mais aussi de vivre son quotidien qui lui paraît dépourvu d'intérêt.

Le corps se dégrade, s'affaiblit et touche progressivement l'intégrité même de l'âgé.

C'est l'environnement qui tire la sonnette d'alarme, car bien souvent la personne ne se plaint pas, de peur peut-être d'être obligée de partir de son lieu de vie.

L'image du domicile renvoie à celle du corps dégradé, défaillant de l'âgé. Le logement imaginaire ne correspond plus à la réalité et vient à se poser la question du placement par la famille et l'environnement médical.

Vivre à son domicile n'est pas aisé, encore moins pouvoir y mourir.