III.1.1.2.Fantasmatique de l'institution gériatrique.

L'institution gériatrique, comme l'hôpital a pour nos anciens, une représentation de mouroir. Pour eux, l'installation en institution ou l'hospitalisation est synonyme d'exclusion, de rejet, d'abandon, de séparation.

Ces enfants qui sont partagés entre la culpabilité de faire hospitaliser le parent qui désirait rester chez lui et l'angoisse de le laisser seul avec le risque d'une situation d'urgence.

La décision est d'ailleurs souvent prise dans l’urgence, ce qui évite des explications trop embarrassantes.

Certains acceptent à contre cœur l'idée de partir de leur domicile, lieu de leur vie, de leur histoire; d'autres luttent désespérément contre cette décision en développant un comportement agressif avec l'entourage.

C'est le cas de Joseph qui s'est débattu pour ne pas partir de son domicile, au point qu’il a fallu l’attacher et le calmer.

Le travail de deuil du départ du domicile se trouve alors bien compromis

L'âgé sait qu'il n'a pas le choix, soit, il essaye de lutter avec l'énergie qui lui reste pour s'adapter ou montrer son opposition en étant souvent agressif, soit, il quitte ce monde qui ne veut plus de lui et dans lequel il n'a plus de raison de s'y accrocher.

Il considère ce choix arbitraire comme une sentence, une trahison qui bouleverse et transforme sa vie du jour au lendemain!

La crainte de ce verdict est dans l'esprit de tout être qui vieillit et se trouve confronté à la dépendance.

La vieillesse fait peur car tout individu sait qu'un jour, il sera vieux et que vieillir est synonyme dans beaucoup d’esprit, de dégradation, de faiblesse, de rejet, d'ultime pas vers la mort.

Le vieux, dans notre société « adulescente » (idéalisation de la jeunesse) n'est-il pas celui qui « radote » , qui oublie, qui montre un corps que l'on n'ose plus regarder, qui devient inutile ?

Comment alors maintenir son identité face aux menaces de désintégration, aux pertes ressenties comme cruelles et injustes ?

Comment réussir à maintenir une identité défaillante face aux changements dévalorisants de la vieillesse dans un lieu qu'il n'a pas choisi et où l’âgé sait qu'il va mourir ?

Pour J. Maisondieu,

‘«Le sénescent déchu voit sa survie se transformer en sous-vie car il est mué en déchet d'humanité bien avant de devenir une charogne.» (J. Maisondieu, 1992)’

La pensée de J. Maisondieu peut faire frémir, mais elle exprime bien la souffrance que peut ressentir le vieillard expulsé de la société, de son environnement affectif et de son domicile, lieu de son identité.

Que lui reste t-il sinon d’attendre la mort ou de la provoquer ?

‘«…Ils sont expulsés de la société avant l'heure de leur mort. Ils sont dévalorisés et deviennent des choses avant de se transformer en de la chose…La mortification est leur lot.» (J.Maisondieu, 1992)’

J. Gaucher emploie l’expression de «marginalisation sociale.» en parlant des hospices d'autrefois qui avaient pour fonction «d'accueillir les sujets rejetés par le groupe social» (J. Gaucher, 1993)

Il continue en précisant que l'institution d'aujourd'hui, continue à remplir ce rôle d'accueil des personnes «non conformes aux critères d'autonomie…aux capacités propres à l'âge…» (J. Gaucher, 1993)

Cette institutionnalisation de l'âgé serait de l'ordre «d'un passage à l'acte» du groupe social qui ne peut accepter l'image d'un être dégradé physiquement et parfois psychiquement. Il s'agit bien pour l'âgé d'une véritable rupture traumatique. Après avoir été expulsé de la société, il est exilé de son refuge, de son lieu de vie.

Peu à peu, son «champ» se réduit au fauteuil, près de la fenêtre si possible, où il attend… ou bien il déambule dans les couloirs à la recherche d'un objet imaginaire connu de lui seul.

G. Enos et ses collaborateurs émettent l'hypothèse que la marginalisation de l’âgé aurait des causes profondes :

‘«L’exclusion de la personne âgée ne commence jamais, sauf cas exceptionnel avec l’entrée en milieu hospitalier, elle vient de beaucoup plus loin, des conditions de travail, des antécédents psychologiques et familiaux.» (G.Enos, C. Lambert, E.Parquet, 1985) ’

Cette réflexion, laisse à penser que l’isolement, l’exclusion du vieillard, a ses racines dans le vécu de celui-ci, en lien avec son environnement. De cette recherche, on ne peut qu'émettre le souhait de savoir si des constantes apparaissent qui expliqueraient cette affirmation.

Quelles sont ces conditions de travail particulières, quels sont ces antécédents psychologiques et familiaux qui interfèrent dans le devenir de la personne et qui expliqueraient l'exclusion ?

Sur le plan alimentaire, cette observation conforte notre idée que le refus alimentaire ne commencerait pas au moment de l’hospitalisation mais bien avant, sous la forme de désordre alimentaire, récurrent à chaque épreuve subie, mais cela reste à l'état de supposition qui mérite qu'une recherche soit faite dans ce domaine. Certaines personnes; lors des entretiens ont évoqué des épisodes de «manque d'appétit», de «petits mangeurs… »

Ainsi, l’apparition des troubles alimentaires, au moment de la crise de sénescence par exemple ou de plaintes somatiques, peut laisser supposer que des difficultés nutritionnelles graves se déclareront lors d’un épisode aigu vécu par la personne.

Le placement en institution est, dans ce contexte, éprouvé comme une exclusion définitive. Bien que la structure hospitalière soit vécue, comme un lieu de soin, d’hébergement l'hospitalisation est ressentie comme un lieu où l'on y meurt. La personne âgée séparée de son milieu, de son domicile la vit comme une rupture traumatique. Elle éprouve non seulement de l'abandon, de l'exclusion mais nous allons voir que le placement devient synonyme de dépossession de son identité.