III.1.2.3.2. Coïncidence ou la prise de conscience du placement.

Comme nous l'avons abordé, l’événement : «entrée en institution» vécu dans un état d'urgence, propulsent certaines personnes déjà fragilisées, dans un état de sidération, de choc émotionnel, un état de crise.

Elles perdent leurs repères passés et ne peuvent s'appuyer sur des nouveaux, car leur état psychique ne le permet pas. Leurs ressources internes insuffisantes sont submergées par l’état de crise et l’angoisse qu’elle génère. Du fait de cet état de sidération, la personne ajoute à sa rupture traumatique, une rupture de communication.

Elle se traduit par une perte de paroles, une soumission passive ou de rejet complet de l’entourage, un refus de manger, bref, un refus de tout ce qui pourrait la relier au monde extérieur.

Pour J.Guillaumin, l’individu vieillissant subit des traumatismes qui le laisse en état de choc :

‘«Des effets de choc ou des chocs successifs envisagés comme des traumas désorganisateur» tout au long de son existence. …’ ‘L’ajustement au réel des pensées et des conduites devient difficile... et les énergies liées et employées... se trouvent libérées et flottantes.» (J.Guillaumin, 1985) ’

Par cette nouvelle épreuve, certaines personnes âgées n’ont plus l’énergie suffisante pour pallier à ce nouveau trauma désorganisateur.

Qu’entend-on par état de crise lors de la mise en institution ?

Que se passe t-il pour la personne âgée lors de son placement en institution ?

Au moment de l’application de la décision, l'âgé doit quitter son milieu de vie pour un autre inconnu. Ce moment précis la confronte à un événement traumatique, angoissant que nous appelons l'état de crise. Nous pourrions comparer cet état, à un arrêt sur image, un moment hors du temps. La personne se retrouve «projeter» pratiquement du jour au lendemain, dans un nouvel environnement, sans ses repères et la plupart du temps, sans son approbation réelle. Elle perd tous les repères de sa vie présente et passée. C’est un véritable raz de marée interne et externe. L’état de crise survient dans sa vie, désorganisatrice, angoissante, déstabilisante. Elle touche tous les aspects affectifs, sociaux et relationnels. Une remise en question de l’identité de la personne s’effectue.

‘«Lorsque l’hospitalisation est inévitable, nous l’avons vu, celle-ci s’inscrit dans la continuité de la crise. D’autre part, elle peut ouvrir une seconde crise, liée cette fois à la séparation.» (J.Wertheimer, 1985)’

Cet état de crise peut être le point de départ du refus alimentaire. Le choc de l’hospitalisation dépassé, la personne âgée lutte avec ses moyens contre le vécu d'agression imposé par l'environnement institutionnel.

Sa réaction comportementale sera souvent un repli silencieux, une inhibition massive, une soumission passive ou de rejet complet de l'environnement.

‘«C’est le moment où l’appétit vital tend à s’affaiblir, la tentation de glisser, de s’éloigner, de se retirer est considérable.» (Y. Pelicier, 1981)’

Pour PL. Assoun dans son article sur «le trauma à l’épreuve de la métapsychologie»

‘«Le traumatisme est une irruption d’un fragment du monde extérieur dans l’enclos de l’organisme.»(PL. Assoun, 1999)’

L’événement extérieur, le placement en institution, atteint inévitablement le psychisme de l’individu qui le subit. Le symptôme développé est à la fois le moyen de se défendre devant cette agression mais aussi une réponse à ses agresseurs.

‘«Si le trauma est proprement corporel, il affecte ipso facto la psyché. ...  l’événement traumatique implique une redistribution immédiate des relations entre soma et psyché en touchant à l’intégrité et à l’économie intime du sujet.» (PL Assoun, 1999)’

S. Ferenczi, dans «réflexions sur le traumatisme» conforte notre réflexion sur l'impact du traumatisme subit par la personne âgée lors de son placement et les répercussions sur son psychisme.

‘«La personne dans un état de choc qui est équivalent à l'anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d'agir et de penser en vue de défendre le Soi propre.» (S. Ferenczi, 1919-1926.)’

Les organes pour faire face à ce trauma, réduisent leurs fonctions à l'extrême pour préserver le Soi, ce qui permettrait d’expliquer à partir de là, la difficulté de prononcer des paroles, à dépenser de l’énergie pour s'alimenter.

La personne semble prendre une position d'attente transitoire avec l'espoir que le déplaisir sera bientôt passé, que l’avenir sera meilleur face à cet événement qui semble insurmontable.

‘«Un grand déplaisir se fait ressentir et ne peut pas être surmonté, lorsque l’individu ne peut plus se défendre en transformant le monde environnant et en mettant à l'écart la cause du trouble.» (S.Ferenczi, 1919-1926)’

L'âgé; par l'état de crise, montre son désarroi devant ce monde environnant qu'il perçoit comme hostile. La seule solution pour lui, est cette absence de communication. Elle peut être perçue aussi, comme un abandon devant une épreuve trop difficile à surmonter.

Il y a un désengagement de l'environnement, un repli sur soi, un désintérêt de soi et des autres. On pourrait dire, si l'on emploie le vocabulaire d'aujourd'hui : qu’il se met en «stand by !»

S.Ferenczi pense que pour pouvoir faire face au déplaisir, l'individu se projette par une production de représentations dans un futur transformé agréablement.

‘«La production de représentations concernant le changement futur de la réalité dans un sens favorable» (S.Ferenczi, 1919-1926)’

Cette formule permettrait alors de supporter l'épreuve et d'être capable d'avoir un comportement approprié. C'est peut-être dans ce sens qu'intervient le travail du vieillir en s'adaptant à cette nouvelle réalité.

Le sujet met en place des attitudes défensives pour faire face à ce traumatisme, pour résoudre sa propre crise et essayer de conserver son identité. Nous aborderons ultérieurement ces défenses.

S.Ferenczi poursuit en expliquant que si le déplaisir croît, il faut une soupape qui délivre de l'angoisse. L'autodestruction est une des possibilités qui est offerte plutôt que la souffrance muette.

‘«D'un sentiment d'incapacité à s'adapter à la situation de déplaisir, en soustrayant son Soi à l'irritation» et «en éliminant l'irritation Le sauvetage ne vient pas et même l'espoir de sauvetage semble exclu» (S.Ferenczi 1919-1926)’

Le refus alimentaire serait de l'ordre de cette autodestruction pour échapper à cette souffrance muette.

L'état de crise a donc pour conséquence une rupture de communication en ce qui concerne la parole. Le «non verbal» bien souvent se substitue aux mots pour exprimer la souffrance, le mal-être. C'est ainsi que l'on peut observer des agrippements des mains, un regard anxieux qui montre l'état d'angoisse dans laquelle se trouve la personne.

Lorsque l'on mentionne le «non verbal», l'agrippement, on pense aux observations de J.Bowlby sur le nourrisson qui ont conduit à affirmer que l'attachement serait une forme primaire du lien familial et social. Il exprimerait un besoin inné de maintenir une relation maternelle proche. (J.Bowlby, 1992) La force et la nature de cette relation sont souvent révélées par la perte de celle-ci. Les réactions d'angoisse, de tristesse, de dépression, sont d'autant plus violentes que le lien est important.

L'enfant aurait donc un besoin inné de maintenir la proximité avec la mère. Pour être proche de celle-ci, l'enfant s'agrippe. Les éthologues ont montré l'importance de l'agrippement comme étant une des pulsions partielles prégénitales. Cet instinct, observable chez les singes, pousse le petit à se cramponner à la fourrure de sa mère. (I Hermann, 1947)

Les pertes successives liées à l'identité du sujet âgé, la proximité de la mort n'entraîneraient-ils pas ce besoin d'agrippement proche de la relation maternelle, ce besoin inné de rechercher la protection, la sécurité ?

L’entrée en institution va donc précipiter des manifestations destructrices comme la réactivation de l’angoisse de mort.

Il faut pourtant mentionner le point de vue, de P.Charazac qui pense que pour certains, peut-être ceux qui étaient plutôt consentant à ce placement, trouveront dans l’institution une sécurité avec un certain soulagement.

Il appelle ce temps « lune de miel » (P.Charazac, M.Mollard, 1982) L’institution est vécue alors comme une bonne mère aimante, sécurisante.

Parmi, les personnes rencontrées, nous n'avons pas eu la possibilité de constater cette «lune de miel»

Si cet instant est ressenti, il reste éphémère. Le malaise et l’angoisse réapparaissent chez une personne âgée qui n’est plus capable d’intérioriser cette sécurisation externe. Très vite, elle régresse et seul reste la communication avec le corps. L’institution répond à cette demande muette par un maternage excessif, et/ou une surmédicalisation ce qui mettent en évidence la dépendance en satisfaisant des désirs archaïques (maternage, soins...)

La personne perd son individualité pour devenir conforme à ce que l’institution attend d’elle.

Pourtant, certains résistent au changement.

Nous pensons que le refus alimentaire est, alors une manière de se défendre contre ce processus destructeur, contre la dépossession de son terme.

Le refus alimentaire est un compris sur un registre défensif contre un terme qui n'est pas celui envisagé par la personne. Son travail du vieillir a été interrompu au moment du placement.