III.2.2- La défense maniaque.

Avant d'aborder la défense maniaque proprement dite, essayons de comprendre les motifs de cette défense.

III.2.2.1. Les motifs de cette défense.

Si nous reprenons succinctement le concept de défense défini par S.Freud, nous notons qu'il le concevait comme une «fonction psychique.» En 1926, S.Freud écrit que la défense désigne toutes les techniques dont le Moi se sert dans les conflits qui peuvent conduire à une névrose.

La défense est considérée comme une fonction du Moi et les mécanismes de défense permettraient de le protéger contre les pulsions.

A Freud mentionne que

‘«Si les exigences du Moi ou celles des forces extérieures représentées par le Moi, n'exerçaient pas de pression, la pulsion connaîtrait qu'un seul destin celui de la satisfaction.» (A.Freud, 1949) ’

Les mécanismes de défense servent à maîtriser les conflits avec les pulsions afin qu'elles restent sous le contrôle du Moi.

C'est donc pour éviter un déplaisir que se mettent en place des mécanismes de défense.

‘«Tout acte défensif a pour objet d'assurer la sécurité du Moi et d'éviter un déplaisir.» (A.Freud, 1949) ’

Il ne faut pas oublier que les mécanismes de défenses du Moi s'ils sont avant tout intra-psychiques, sont aussi des défenses sociales liées au Surmoi et aux interdits. La défense est alors une protection contre une menace extérieure afin de préserver l'intégrité et la valeur sociale du Moi.

Face au placement, l'âgé développe des mécanismes de défense qui lui sont propres et qui lui permettent d'écarter, au moins pour un temps, le déplaisir lié à ce traumatisme.

Comment se défend le Moi devant l'angoisse de mort ?

M. Klein (1966) a mis en valeur les mécanismes de défense dans les processus de deuil et devant l'angoisse de mort. Pour elle, cette organisation défensive va employer le clivage de l'objet et du Moi.

H.Segal écrit à ce propos :

‘«Confronté à l'angoisse produite par la pulsion de mort, le Moi la détourne. Cette déviation consiste en partie en une projection et en partie en la transformation de la pulsion de mort.» (H.Segal, 1962) ’

Les réactions défensives face à l'angoisse de mort peuvent se manifester de différentes façons.

Le sujet est envahi par les affects non liquidés et la mort ravive des pertes antérieures, il peut retourner à un état de dépendance et de régression.

Il peut ne manifester aucun comportement, le sujet banalise l'événement. Il dénie la réalité.

Enfin, il s'identifie à l'objet perdu, le Moi se comporte comme s'il était lui-même mort comme dans le deuil mélancolique.

Pour H. Bianchi, dans la vieillesse et dans «le travail d'acceptation de la réalité du vieillissement»«c'est la castration du sujet dans son être qu'il s'agit»Le sujet vieillissant a perdu l'objet d'amour qui n'est autre que lui-même. Il perd «narcissiquement tout.» (H.Bianchi, 1987)

Pour faire face à cette problématique, l'âgé va employer différents mécanismes de défense comme le déni, le clivage, qui lui permettront de repousser son devenir mortel.

Certains accepteront cette échéance de leur fin de vie sans contrepartie, en faisant le deuil de leur Moi, d'autres sombreront dans la mélancolie, ce deuil impossible.

B.Grunberger rappelle que

‘«Le choix objectal du mélancolique est narcissique et que la perte objectale correspond toujours à une blessure narcissique» (B.Grunberger, 1993)’

Pour H.Bianchi, le mélancolique a

‘«les traits du comportement du deuil… et ceux de l'auto-reproche, de la perte de l'estime de soi… de l'insomnie, le refus de nourriture.» (H. Bianchi, 1987)’

Le refus alimentaire serait-il le symptôme d'un deuil impossible à faire en raison d'un dysfonctionnement du travail du vieillir au moment du placement ?

L'âgé se trouve dans une impasse surtout si un placement arbitraire vient se juxtaposer à ces crises non résolues dans le passé et qui ne le sont pas dans cette crise de sénescence qui affaiblit un peu plus l'individu sur le plan narcissique. La séparation laisse la personne dans un vide environnemental et psychique.

Elle a de plus en plus de difficultés à s'adapter et effectue un retrait narcissique qui est nécessaire à son équilibre vital.

Ce retrait va se produire car son Moi n'a pas assez de force pour franchir ce nouvel obstacle.

‘«C'est dans un but de sauvegarde que le sujet fait alors le mouvement régressif inverse» (L.Corman, 1975) ’

Ce retrait se manifeste par une rupture des relations affectives avec l'entourage et un repli sur son monde interne avec peut-être un sentiment de toute puissance, de sur- valorisation narcissique, qui lui permettent de mourir «en gardant la tête haute.»

Et c'est peut-être à ce niveau que le refus alimentaire prend sens car l'âgé décide de ne plus rien accepter du monde extérieur, tout en gardant le choix de sa propre mort.

Ce travail de deuil ultime est l'acceptation de la perte de son «Soi-même»

Si vieillir est selon J.Guillaumin, «l'occasion d'une rencontre avec soi-même» (J.Guillaumin, 1982) cette rencontre peut échouer dans l'engagement des transformations de soi-même, bases du travail du vieillir, permettant de s'adapter. Le Moi qui ne peut consentir à sa perte utilise des mécanismes de défense pour protéger son narcissisme, sinon il sombre dans la mélancolie.

‘«La mélancolie est une maladie du narcissisme» disait S.Freud.(1917) ’

La mélancolie est un deuil du Moi impossible. Le Moi est dans l'impossibilité d'effectuer le deuil de la vie, de lui-même. Le Moi est identifié à son objet d'amour qui est la vie donc son «Soi-même» dont il ne peut faire le deuil mais qui est en train de lui échapper.

La difficulté réside dans l'absence d'objets d'amour extérieur, d'objets substitutifs à la vie et dans la nécessité d'utiliser la sublimation pour résoudre ce travail.

Le Moi qui ne consent pas à sa propre perte peut se trouver dans l'obligation de dresser un rempart entre le monde et la réalité par le déni de la mort avec des identifications à «du non mortel» : croyances religieuses, immortalité de l'âme, mythes, etc…

H.Bianchi (1989) pense qu'il y a un clivage du Moi entre une partie qui accepte de mourir et une qui est immortelle et qui refusera de mourir. Cette défense par le clivage du Moi s'apparente à la défense maniaque. Celle-ci se pare de la mélancolie, et permet au Moi de se confondre avec son immortalité dans la toute-puissance.

Mais pourquoi le refus alimentaire fait partie intégrante de cette défense maniaque?