Cinquième partie. Perspectives d’interventions à visée thérapeutiques

V.1. Un travail sur la question du placement.

Dans la partie précédente, nous avons pu identifier que la plupart des personnes en refus alimentaire étaient des sujets âgés qui venaient de leur domicile pour être hospitalisés, suite à des problèmes somatiques et qui se retrouvaient face à un avenir de placement.

Nous avons observé que la personne âgée, dès son entrée à l'hôpital redoute la maladie, la perte d'autonomie qui la conduira à se séparer de son lieu de vie pour l'institution. Nous avons pu constater que ses doutes se transformaient en une réalité, qu'elle n'était pas préparée à assumer.

Par le refus alimentaire, la personne âgée nous a signifié son désarroi, son impossibilité à gérer ces événements et son opposition à cette décision qui n'est pas la sienne. Il nous était donc impossible d'évacuer ce refus, en le reléguant simplement comme un symptôme d'une pathologie somatique ou psychique, traité essentiellement sur le plan médical.

De ces constatations, il paraît nécessaire de réfléchir sur un travail concernant la question du placement. Les réflexions que nous allons exposer sont des axes sur lesquels pourraient se développer des programmes d'interventions à visées thérapeutiques.

Il paraît donc important d'élaborer un travail avec l'âgé sous forme d'entretiens, avec la famille qui a besoin d'être soutenue pendant cette période difficile et avec l'équipe, afin que chaque membre qui la compose, en lien avec l'âgé puisse apporter ses observations, ses difficultés et ses souffrances devant tel ou tel patient.

  • Avec l'âgé.

Durant ce temps d'hospitalisation, la personne hospitalisée doit pouvoir verbaliser en entretien, tout d'abord, les causes de son hospitalisation, les événements relatifs à celui-ci, son angoisse due à sa maladie. Elle a besoin que l'on reconnaisse ses besoins, ses désirs, ses souffrances. Elle a le désir d'être acceptée telle qu'elle est, telle qu'elle veut continuer à être et à pouvoir vivre sa vie telle qu'elle la voit.

Puis, lorsque la décision du placement est soulevée par l'équipe, la famille et parfois par la personne âgée, elle-même, elle doit être préparée à cette «nouvelle place» afin de devenir sienne. Lorsqu'elle était chez elle, sa vie lui appartenait.

Elle remédiait à une certaine perte d'autonomie liée à l'âge, par des aides qui lui permettaient de garder une certaine indépendance.

La demande de placement rompt cet équilibre qu'elle était arrivée à établir même s'il restait fragile. Cette admission en institution lui confirme ce à quoi elle est déjà préparée : l'avancée de sa propre vieillesse qui la conduira à la mort. Cet avenir est inquiétant car il est mortifère et il ne correspond pas à ce qu'elle avait prévu pour sa fin de vie.

La préparation à ce nouvel environnement est donc primordiale pour l'adaptation à celui-ci. Il est nécessaire de permettre à la personne âgée de se constituer sa nouvelle identité dans un milieu dépourvu de son passé. Elle ne connaît pas les règles du jeu, elle ne sait pas se situer dans cet univers. Elle doit établir de nouvelle relation avec les soignants qui sont déterminante sur l'estime qu'elle a d'elle-même. En effet, il est difficile d'être dépendant des autres dans les actes quotidiens de la vie : se laver, aller aux toilettes, manger, marcher…sans perdre une partie de sa dignité.

Elle doit être préparée à quitter son domicile pour l'institution où elle finira ses jours. Elle ne sait pas le temps qu'elle y vivra, mais elle veut pouvoir vivre sa vie comme elle l'a organisé pour elle.

  • Avec la famille.

Le placement, c'est aussi une période de crise pour la famille. Notre recherche a effleuré les problèmes des familles qui doivent prendre la décision de placement pour son parent âgé et la difficulté que nous avons eu, avec certaine famille, pour aborder cette question du placement, de leur ressenti vis-à-vis de la rupture avec le parent, de l'institution.

Après une période où chaque membre se trouvait en accord sur la nécessité du placement pour le parent, on voit apparaître les rivalités pour le choix de l'établissement, de son coût, de sa proximité ou au contraire de son éloignement. La famille se trouve, dans la majorité des cas, en souffrance. Le travail de séparation entre la famille et le parent doit être engagé. Et comme l'exprime P.Charazac (1998) le travail de séparation ne commencera que lorsque la famille et le parent pourront accepter et se dire que le placement fait penser à la mort mais que le parent a encore du temps à vivre.

De nombreux sentiments, tels que l'isolement, la culpabilité, l'inquiétude, la gêne, habitent la famille qui ne peut accepter la déchéance de son parent.

Éprouvée, cette famille est en désarroi, en peine, et cherche le chemin d'une véritable communication avec l'équipe soignante.

Elle a besoin d'être soutenue dans l'accompagnement de son parent, car elle ne sait plus comment se comporter devant son parent en fin de vie.

La famille est soumise à des tensions internes lors de la mort d'un proche. Elle aura besoin de soutien pour traverser cette étape difficile.

Il est donc important, d'associer la famille dans ce travail sur la question du placement, dans un entretien préalable à l'admission, afin que la famille puisse verbaliser ce que l'entrée en institution fait vivre au couple parent- famille.

Des groupes d'expression pour les familles peuvent être mis en place pour soutenir la famille. Ch. Joubert (1997) a montré que ces groupes soutiennent l'investissement objectal du parent et sensibilisent la famille à l'importance des séparations.

Son propre vécu et son ressenti devant un conjoint, un père ou une mère que l'on ne reconnaît plus, doit être écouté. Elle doit se sentir soutenue devant une décision qu'elle ressent comme incontournable mais culpabilisante, car responsable de ce placement. Elle doit savoir écouter les désirs de vie de son conjoint, de son parent et l'éventualité de trouver d'autres solutions que le placement.

  • Avec l'équipe soignante

Enfin, il est nécessaire que l'équipe soignante puisse apporter ses observations, ses ressentis, ses difficultés en lien avec la personne âgée. Son avis sur l'éventualité d'un retour au domicile ou l'obligation d'un placement.

La famille et l'équipe sont dépendantes l'une de l'autre. La famille attend de l'institution qu'elle prenne soin de son parent et l'équipe a besoin que celle-ci lui renvoie une bonne image d'elle-même et de ses capacités. Elle a besoin de pouvoir évacuer les récriminations de la famille, les plaintes de l'âgé. Elle devra aussi accepter la mort d'une personne âgée investie.

le médecin sera à même de valider ou non un éventuel retour à domicile ou d'appuyer sur un placement en fonction de l'état somatique du sujet, mais il devra tenir compte des désirs de cette même personne.

Chaque membre de l'équipe, dans sa spécificité contribuera à une meilleure prise en compte des possibilités du sujet.

Dans le cas d'une décision de placement, la personne âgée doit avoir le temps de se préparer à cette nouvelle rupture dans son vécu.

Cette préparation au devenir de la personne âgée n'éliminera sans doute pas les troubles du comportement alimentaire liés aussi à l'angoisse de la maladie, de l'hospitalisation, d'un devenir inconnu, mais pourra probablement faire diminuer le refus alimentaire lié au traumatisme du placement.

Partant de ce constat de refus alimentaire et du placement, quels sont les axes sur lesquels pourraient se développer les programmes d'intervention à visée thérapeutique ?