Conclusion

Au terme de cette recherche, nous avons conscience d'avoir soulevé des problèmes importants touchant au vécu de la personne âgée, d'avoir été confrontée à des difficultés venant peut-être du décalage entre le vécu affectif de deux générations, des angoisses véhiculées entre l'écoutant et l'écouté.

Nous nous sommes retrouvée impliquée dans notre relation avec le vieillard comme représentant d'une image dont il a fait le deuil et qui réactive son passé et celle qu'il nous projette, celle de notre déchéance future et notre angoisse de mort.

Nous avons pris conscience du vécu de la personne âgée en milieu institutionnel, nous avons posé le problème important chez l'âgé de l'articulation entre le physiologique et le psychologique.

Nous resterons humble devant les nombreux points que cette recherche a soulevés et qui sont restés dans l'ombre. Nous en exposerons quelques-uns au terme de cette conclusion.

Nous pouvons tout de même affirmer que :

Ces différents points mis en relief, ne nous font pas oublier que nous sommes en lien avec une population, d'hommes et de femmes, âgés, fragilisés et que par conséquent des facteurs intra et intersubjectifs sont à prendre en considération, ce qui explique que certains sont en refus alimentaire, que certains développent des troubles du comportement alimentaire et d'autres s'adaptent relativement bien aux nouvelles structures.

Ceci pour dire que des facteurs inhérents à la personnalité de chaque individu sont à prendre en considération.

De ce constat, il semble difficile de parler de refus alimentaire au singulier, mais plutôt des refus alimentaires en lien avec des personnalités, des vécus différents.. En effet, la rupture avec le domicile et le placement ainsi que la dépendance, sont souvent les causes premières du refus alimentaire pour une grande majorité de personnes, nous avons pu observer qu'il se conjugue différemment d'un individu à un autre.

Un autre regard peut être porté sur le refus alimentaire, si l'on se place du point de vue des soignants, celui-ci est perçu et traité différemment selon les spécificités des professionnels qui s'occupent de la personne âgée.

Ce constat nous a fait distinguer le refus alimentaire chez l'âgé de l'anorexie et des problèmes alimentaires dus à des pathologies somatiques. Cette réflexion nous a permis de ne pas éluder l'importance des poly-pathologies constatées chez l'individu âgé et donc de l'importance du travail en équipe pour ne pas privilégier un champ au détriment d'un autre.

En effet, le vieillissement est le siège de mouvements internes qui a pour but de réaménager le monde interne éprouvé par des pertes, des crises successives. La personne âgée devient fragile et vulnérable, que ce soit sur le plan physique avec des pertes sensori-motrices ou le plan psychologique : des pertes, des deuils, des crises.

Nous avons pu voir l'importance du travail du vieillir, qui est un travail de deuil, de renoncements, du maintien de l'identité nécessaire à la réalisation de cette dernière étape de la vie. C'est par ce travail que l'individu peut accepter les modifications physiques, psychologiques, demeurer un être de désirs et continuer à construire la fin de sa vie.

Ce travail est long et difficile. Pour certains, il est d'autant plus difficile que des deuils, des crises qui ont jalonné leur existence, sont restés dans l'ombre, sans véritable résolution.

C'est donc, de cette convergence de la vieillesse, de la maladie, d'un contexte psychologique et environnemental (placement) propre à chaque individu qu'émerge le refus alimentaire.

Nous avons postulé, que le sens du refus alimentaire émergeait comme réponse au placement institutionnel. En effet, la personne âgée exprime par ce comportement une opposition à cette décision de placement, un refus d'être dépossédée de son identité. Le refus alimentaire serait alors compris sur un registre défensif de type maniaque. La personne âgée, mise en échec dans la résolution de son travail du vieillir, se voit contrainte de contrôler l'échéance de sa fin de vie pour réinvestir sa propre mort.

Pour cela, le sujet âgé fait un repli narcissique, avec un désinvestissement des objets externes. Le refus s'est installé, non seulement, le refus alimentaire mais aussi le refus de paroles, de soins, le refus des autres.

Les observations cliniques ont argumenté notre théorie. Notre population en refus alimentaire, âgée entre 72 et 100ans, avec une majorité située entre 85-95 ans, a dans la majorité, subi un traumatisme qui est dû à l'hospitalisation. La perte d'autonomie souvent causée par des chutes, une dégradation physique et/ou psychique, rend la personne dépendante et dans l'incapacité de vivre comme elle en avait l'habitude.

Au cours de la période d'hospitalisation, elle s'aggrave bien souvent sur le plan physique, dû au manque de stimulations corporelles et sur le plan psychologique, car l'hospitalisation ne lui laisse plus de doute s'elle en avait encore, quant à sa perte d'autonomie progressive liée au vieillissement et accentuée par les causes de l'hospitalisation.

Les résultats de nos observations cliniques, sur une population présentant des troubles du comportement alimentaire et des refus alimentaires, au moment de son hospitalisation, ont mis en évidence plusieurs points importants dans la compréhension du refus alimentaire.

Nous avons pu remarquer que :

Le début du travail du vieillir est contrarié, la personne âgée n'a plus la capacité, l'énergie pour gérer cette épreuve supplémentaire, le placement. Pour elle, cette décision n'est pas la sienne et ne correspond pas à ce qu'elle voulait pour elle.

La personne se replie sur son monde interne, elle se ferme au monde extérieur (refus de paroles, refus des soins, refus de l'institution, refus du groupe social) de qui elle n'attend plus rien. Elle ferme la bouche qui ne laissera plus «la place» aux mots et aux aliments puisque cet acte devient inutile.

De ces observations nous avons pu entrevoir des possibilités d'action à visées thérapeutiques dans différents axes :

En amont de l'hospitalisation c'est-à-dire dès le domicile de la personne avec la perspective d'un maintien à domicile le plus longtemps possible. Nous pensons que le psychologue a un rôle important :

Dans l'institution, le psychologue prend alors le rôle de médiateur entre l'équipe institutionnelle et la personne âgée, l'institution et l'extérieur, sans omettre comme nous avons pu l'écrire dans la partie précédente un travail sur l'accueil de l'âgée au moment de son entrée.

Nous avons mentionné précédemment que des points sont restés volontairement dans l'ombre.

En effet, il serait intéressant de travailler le refus alimentaire chez les personnes qui restent à leur domicile. Quelles en sont les causes qui ont déclenché ce comportement qui met leur vie en danger ? Certaines des personnes que nous avons pu voir en milieu hospitalier, avaient débuté un refus alimentaire à leur domicile. Ces personnes ont bien souvent refusé les entretiens et sont décédées très rapidement.

Le refus alimentaire chez les hommes nous a posé de nombreuses interrogations dans la mesure où leur comportement semblait être décidé et ressemblait plus à un équivalent suicidaire. Dans un premier temps, le sujet est plutôt agressif, opposant à toute manifestation d'aide, puis il désinvestit le monde extérieur.

Il paraît déterminé dans son choix. Il semble qu'il n'accepte pas les conséquences d'une pathologie, des changements psychosociaux tel qu'un changement de milieu.

Peut-on parler de personnalité différente qui justifierait le refus alimentaire alors que d'autres choisiraient un «compromis démentiel» ou autre ?

En effet, ce comportement de refus alimentaire de la personne âgée qui exprime un rejet violent du verdict de placement nous a souvent fait réfléchir sur d'autres conduites qui émergent dans ces mêmes conditions : «compromis démentiel,» chutes, régressions psychosomatiques ou syndrome de glissement, suicides avérés, tous comportements graves qui précipitent à une mort brutale ou une mort psychique.

Un travail pourrait mettre en lien ces situations à risque et la mort brutale qui les accompagnent en opposition à celles, et nous pensons à la démence, etc…, qui précipitent vers une mort psychique. Un des facteurs de ces comportements «catastrophiques» serait le placement imposé de personnes âgées qui n'ont pas pris part à cette décision.