Observation 3 : Catherine. 89 ans.

Catherine a 89 ans lorsque sa prise en charge individuelle m’est confiée par l’équipe soignante, inquiète de sa morosité et de son peu d’appétit.

Les entretiens seront aux nombres de cinq. Ils auront lieu dans sa chambre. Catherine ne montrera aucune opposition à ces entretiens, au contraire, ils lui permettront de s'exprimer librement.

Catherine a été hospitalisée en court puis en moyen séjour, à la suite d’une chute qui a provoqué une fracture du col du fémur. Son alitement a provoqué des plaies aux talons qui réduisent un peu plus sa locomotion.

Au premier entretien qui a lieu dans sa chambre, je la trouve assise près de son lit, triste et prostrée. Elle semble heureuse de pouvoir s’exprimer. Cependant, son discours reste distant, n'impliquant pas son histoire de vie.

J’apprends tout de même que son mari était maçon de métier et qu’il est décédé, il y a une vingtaine d’années.

La vie était difficile avec quatre enfants. Le salaire était petit:

- "je n'ai pas travaillé, je me suis occupée de mes quatre enfants." Mais très vite, rajoute t-elle, "il n’y avait pas à se plaindre."

Elle vit dans sa maison, avec sa fille aînée qui est célibataire. Ses trois autres filles sont mariées. Elle a six petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. Elle se dit très entourée par ses enfants et petits enfants ce qui l’aide à supporter son hospitalisation. Elle a très peur de ne pas pouvoir partir de l'hôpital :

-" je ne veux pas finir mes jours ici !"

Sur le plan nutritionnel, elle dit n’avoir jamais eu un gros appétit mais elle essaye de manger ce qu’on lui donne. Elle refuse de se plaindre malgré sa difficulté à ingérer une nourriture qu’elle trouve fade et servi en trop grosse quantité.

Une nouvelle fois, Catherine se défend de verbaliser sa plainte. Son expression figée et son regard triste évoquent une souffrance intérieure qu’elle entend garder pour elle.

En effet, Catherine tout au long des entretiens parlera aisément, en se mettant à distance de ce qui la concerne.

A l’entretien suivant, je trouve Catherine ayant de la peine à rester éveiller. Des analgésiques lui ont été administrés pour lutter contre le mal de dos et les escarres. Sa tristesse se lit dans son regard, elle est affaissée dans sa chaise. Elle arrive à m’expliquer que son moral n’est pas très bon car le temps lui paraît long et que sa maison lui manque. Elle n’a plus le goût de la lecture. Elle conversait un peu avec sa voisine mais celle-ci est décédée dans la nuit.

Catherine essaye de mettre à distance cet événement, mais peu à peu, les mots expriment sa tristesse et sa peur de mourir dans ce lieu qu’elle n’a pas choisi. Elle ne peut s’habituer à cette misère qui frappe chaque jour et elle préfère rester dans sa chambre plutôt que de manger en salle à manger, d’aller en salle d’animation.

Ce décès lui fait revivre celui d’une de ses sœurs qui est morte à l’âge de 25 ans. Elle a une autre sœur célibataire mais dont elle n’a aucune nouvelle. Elle ne dira rien de plus à ce sujet prétextant sa fatigue, choisissant une fois encore un débit verbal sur des banalités l'excluant du discours et empêchant toute intrusion dans son monde interne.

La semaine suivante, je la retrouve avec un bleu au visage mais elle ne se souvient plus si c’est dû à une chute, si elle a eu un malaise… Il semble qu’au fil des jours elle perde la mémoire des événements, des personnes puisque à chaque entretien, je suis obligée de me resituer par rapport à nos entrevues.

Elle a de plus en plus de mal à avaler, à se nourrir. Elle a perdu du poids depuis son hospitalisation (42,5 kg à 41 kg) Elle exprime son désir de rentrer chez elle. Elle n'en peut plus de rester ici.

La semaine suivante, Catherine rentre chez elle. Le médecin explique cette prise de décision par le fait que n'ayant plus de problèmes de locomotion, elle peut rentrer à son domicile, dans la mesure où sa fille est à ses côtés. Un grand sourire illumine son visage. Elle attend la venue de sa fille qui doit la ramener chez elle.