Observation 4: Huguette. 72 ans.

Huguette est une demoiselle âgée de 72 ans, avec laquelle j'aurai huit entretiens qui seront de durée variable. Les premiers se dérouleront dans sa chambre et les suivants dans la chambre double où elle aura été transférée. Sa voisine de chambre sera à l'animation à chaque entrevue.

Huguette a une demande importante de "maternage" qui se manifeste par un besoin d'une présence exclusive auprès d'elle. Les plaintes des soignants s'exprimeront lors des réunions de synthèse, devant ce comportement excessif auquel ils ne peuvent répondre. Huguette donne l'impression de vous étouffer, de vous phagocyter pour vous tenir près d'elle.

Un mouvement de fuite apparaît dans l'équipe, qui se manifeste par un passage rapide dans sa chambre, un écart en passant devant la porte pour ne pas entendre ses appels, ses récriminations qu'elle lance de son fauteuil. Elle s'agrippe à la personne qui franchit le seuil de sa chambre et elle manifeste sa colère:

‘- "on les force à manger, on les bouscule, ce n'est pas bon, personne ne vient la chercher pour l'emmener manger, je n'aime pas l'animation."’

Au premier entretien, elle a un discours volubile et confus. Elle a très peur d'être seule et reproche au personnel soignant de l'abandonner dans sa chambre. (ce qui n'est pas entièrement faux!) Lorsque l'entretien se termine, elle refuse de me voir sortir et manifeste son opposition en criant et gesticulant. Je la rassure en lui expliquant que je reviens la voir la semaine prochaine si elle le veut bien. Mais elle répond qu'elle ne sera peut-être plus là. Je lui demande ce qui lui fait penser qu'elle ne sera plus là. Elle me répond qu'elle sera partie d'ici.

En réunion de synthèse, il est décidé de la mettre en chambre à deux lits, afin qu’elle soit moins seule.

Contrairement au but souhaité, Huguette devient de plus en plus mutique. Elle reste assise à côté de son lit. Sa plainte est devenue une plainte corporelle :

‘"J'ai mal au dos, j’ai mal au ventre, je ne me sens pas bien." ’

Sa plainte agressive contre les autres s'est transformée en plainte somatique. C’est pourtant à ce moment qu’elle donne des éléments de son histoire de vie. Huguette a travaillé dans le contentieux, elle vérifiait ceux qui n’avaient pas payé. Elle aimait ce métier:

‘-"Surtout que le bureau était à côté de chez moi." ’

Elle est seule, sans frères ni sœurs. Son père est mort à Verdun quand elle avait trois ans. Elle a vécu seule avec sa mère. Elle n’a jamais voulu se marier. Elle est restée avec sa mère jusqu'à sa mort.

A l’entretien suivant, je retrouve Huguette prostrée. Elle se dit fatiguée, ne voulant pas participer aux activités car les autres résidents la fatiguent et elle ne supporte pas de voir ces vieilles personnes.

De plus, elle est inquiète, car elle est tombée. Pour la première fois, je la vois pleurer. Elle se plaint de pleurer souvent actuellement.

Sur le plan nutritionnel, elle me dit n’avoir jamais beaucoup mangé car sa mère lui disait qu’il ne fallait pas trop manger pour ne pas avoir mal à l’estomac.

‘- " Ici, on remplit l’assiette, c’est trop."’

Elle change de sujet en me parlant de sa voisine avec qui elle ne s’entend pas.

‘- " Elle ne me laisse pas parler, elle me crie après et je ne sais pas pourquoi."’

Aux entretiens suivants, je trouve Huguette dépressive. Elle a le désir de rentrer chez elle. Elle mange de moins en moins. Elle exprime sa souffrance par des pleurs.

J’apprends par l’équipe qu’une décision de l’envoyer dans une maison est envisagée.

Aura t-elle les ressources suffisantes pour s’adapter à ce nouveau changement ou sombrera t-elle dans la démence ou la dépression ou le refus alimentaire ?

Je lui demande ce qu’elle pense de cette décision. Elle reste évasive,

‘--"je serai mieux qu’ici."’

Elle paraît indifférente à ce qui peut advenir d’elle.