Observation 7: Bernadette. 80 ans.

Bernadette est une dame de 80 ans, ancienne cheftaine infirmière dans un hôpital gériatrique, de la région lyonnaise. Elle est veuve, mère d'une fille qui a elle-même deux enfants: une fille et un garçon. Elle n'a eu que cet enfant car pour Bernadette, avoir d'autres enfants à cette époque était trop lourd financièrement:

-"c'est bien assez pour cette époque."

Elle est arrivée dans ce service après une perte de poids très importante due à un arrêt complet de la prise de nourriture à la suite du décès de son conjoint. Maintenant, elle est en long séjour depuis un an, dans ce même service. Nous aurons onze entretiens, elle n'acceptera pas le premier rendez-vous prétextant un emploi du temps chargé: kinésithérapeute, ergothérapeute, médecin.

Au premier entretien, je me rends dans sa chambre qu'elle partage avec une patiente, qui n'a pas de problème de locomotion, ce qui facilitera nos entretiens, puisqu'elle participera aux animations. Bernadette se déplace en fauteuil roulant car elle dit ne plus pouvoir marcher seule et sans appui. Elle reste assise des journées entières entre son lit et la fenêtre, qu'elle appelle: "sa lucarne".Elle ne veut pas en bouger sauf pour des examens médicaux.

Très vite, elle manifeste sa colère contre l’équipe soignante.

-"Personne ne s’occupe de moi. Ils passent. Ils se cachent dans les couloirs. Avant dans l’autre service il n’y avait pas de longs couloirs, ils ne pouvaient pas se cacher ou passer par l’autre côté."

Bernadette a connu l'ancien service et maintenant, elle se trouve dans les bâtiments neufs.

Sur le plan nutritionnel, elle mange peu et n'aime pas la nourriture d'ici. Elle n'a aucun plaisir à s'alimenter, pas plus d'ailleurs qu'elle n'aimait faire la cuisine. A son domicile, c'était une tante qui lui préparait ses repas.

Les repas sont d'ailleurs source de conflits avec sa fille, qui voudrait bien que sa mère mange un peu plus et surtout en compagnie des autres résidents.

Son état physique contrarie Bernadette. Elle se voit "enflée" de partout et reconnaît que cela la met en colère. Elle ne mange pas trop pour garder la ligne.

Son petit-fils a épousé une jeune femme originaire de l'Inde. Elle n'a pas accepté cette union et n'a pas voulu assister au mariage.

- "J'aurais fait un effort pour venir à celui de ma petite-fille, si ç'est elle qui s'était mariée." Elle soulève les épaules et finit par lâcher les mots:

- "Elle est quand même bien gentille."

Ils viennent d'avoir une petite fille métissée qu'elle n'a jamais vue car elle n'a pas voulu participer au baptême. Elle ne jugeait pas utile d'aller à cette cérémonie:

"A quoi cela sert? A quoi bon?"

Peu à peu, elle arrive à exprimer sa souffrance de se montrer ainsi, affaiblie, assise dans un fauteuil. Elle n'accepte pas de se montrer diminuer.

Elle continue en se plaignant de son opération de la cataracte qui à son avis, s'est sûrement mal passée. On doit lui enlever les fils mais personne ne s'occupe d'elle. Sa fille n'est même pas venue la voir. Elle pense être un poids pour sa famille et c'est la raison pour laquelle on l'a placé dans un mouroir:

- "Alors, j'attends, le plus vite sera le mieux.. Pour eux, je suis un poids. Ils viennent pour ne pas se sentir coupable. Je me fais du souci, c'est pour mon chat. Il est chez ma fille, elle doit m'apporter des photos, mais je les attends toujours."

Ses plaintes se concentrent ensuite sur sa voisine de chambre qu'elle trouve bizarre. Elle se plaint de la lumière qui l'aveugle le soir

- " Elle prend un malin plaisir à lire quand il faut dormir."

Pourtant, elle préfère être dans une chambre à deux car s'il y a un problème, elle peut prévenir. Elle continue en vociférant sur l'équipe qui ne bouge pas quand on les appelle:

- "Oh! Pour ce qu'ils bougent. Hier, je leur ai dit. Ils m'ont répondu qu'ils avaient bien le droit de manger. On n'a que le droit de subir, … de toute façon au stade où j'en suis."

Bernadette est déprimée à la suite d'un examen qui l'a fatigué et qui n'a rien apporté, selon elle.

Elle se plaint de l'infirmière qui n'est pas venue lui changer son pansement. Elle ne peut donc pas se lever et elle ne veut pas manger. Pour elle, l'infirmière en chef ne surveille pas assez le personnel, qui bavarde et qui par conséquent n'a pas le temps de s'occuper d'elle.

Bernadette sera hospitalisée en urgence pour un problème intestinal qui demandait une opération dans un autre service. Elle y restera plusieurs semaines. Elle reviendra très affaiblie avec de réels problèmes alimentaires. Elle ne pourra pas ou ne voudra pas lutter pour vivre, se sentant diminuée physiquement et psychiquement. Elle mourra quelques jours plus tard.