Observation 9 : André. 85 ans.

André a 85 ans. Il est admis dans le service à la suite de graves problèmes circulatoires. Il a été amputé d’une jambe. Il reste alité, refusant de se lever, sauf lorsque l'on refait son lit. Son appétit est faible.

Le médecin m'avise qu'André a non seulement une prise alimentaire qui reste faible mais aussi une certaine difficulté relationnelle avec les autres.

Cet état de fait sera confirmé car je ne verrai André qu'une fois en entretien, celui-ci n'éprouvant pas le besoin de parler de sa vie et de son entrée à l'hôpital.

Il acceptera cependant, assez facilement de me rencontrer. L'entrevue durera tout de même trente minutes.

Il reste distant, s’exprime avec politesse, sur un mode défensif, éludant certaines réponses qui le concernent personnellement.

Il est dans le déni de son hospitalisation en long séjour laissant croire qu’il va pouvoir partir dans quelques jours.

Pour lui, l’alimentation n’a aucune importance.

- " N’importe comment ce n’est pas avec ce qu’il serve ici que l’on peut avoir de l’appétit !"

André est marié. Il a une fille. Sa femme vient tous les jours lui rendre visite. Il semble que l’entente avec sa fille ne soit pas très bonne.

Cela semble l’affecter bien qu'il ne le verbalise pas vraiment, mais il utilise des gestes qui explicitent ses émotions: haussement d’épaules, visage crispé, regard lointain, lèvres serrées. Il s’empresse d’entraîner la discussion sur un autre registre lorsqu’elle touche à son vécu.

André a un discours négatif sur tous les sujets qu'il aborde.

Il donne l’impression de revêtir son masque d’homme impassible, qui regarde le monde et le juge négativement, sans laisser apparaître son monde intérieur. Il déploie une énergie farouche pour contrôler son monde interne afin qu'aucun mot ne témoigne de sa souffrance.

Il refusera les autres entretiens, les jugeant inutile.

Il décédera une quinzaine de jours plus tard.