Observation 10 : François. 90 ans.

François a 90 ans. Il est aveugle depuis quelques années. Il est hospitalisé depuis deux mois. François est favorable pour des entretiens et doute cependant de leurs efficacités.

Nous nous rencontrerons cinq fois. Certains de ces entretiens seront relativement courts lorsque les problèmes de santé seront importants et que François sera trop faible pour parler.

Il est marié. Il n’a pas d’enfant. Il a deux neveux ambulanciers qui passent souvent le voir à l’hôpital et auxquels il semble très attaché. Ils se sont mariés tardivement et ils expliquent ainsi, le fait de n'avoir pas eu d’enfants.

Il souffre de multiples maux : prostate, cœur, cécité depuis 9 ans. Il n’a pas le moral mais il essaye de tenir pour sa femme sinon :

- “Elle ne serait pas contente”.

Il veut sortir de l'hôpital pour sa femme, même s’il n’a plus la force de se battre. Il n’a pas d’appétit, malgré les attentions de son épouse qui lui apporte tous les jours des fruits frais, les desserts qu’il aime.

François s'affaiblit de plus en plus, et ne mange pratiquement plus. Il est alors nourri par voie intraveineuse. Il ne parle plus, il n'en a plus la force.

Sous l'insistance de sa femme, son traitement est arrêté afin de le laisser mourir en paix, sans acharnement.

Il semble que cette décision est apaisée François. Il parle de sa mort, ne sachant pas combien de temps il lui reste mais il en a assez de vivre ainsi. Il parle difficilement. Il profite de l'absence de sa femme pour exprimer son envie de mourir mais aussi son inquiétude de la laisser toute seule.

Le lendemain, François semble aller mieux, il est assis dans son lit. Il parle de fraises, de jardin.

Je verrai la femme de François dans le couloir, attendant la fin des soins. Elle donne alors quelques éléments sur l'histoire de François. Il a perdu ses parents très tôt. Il était viticulteur, puis il a travaillé en usine.

Elle explique le courage de son mari lorsqu’il est devenu aveugle progressivement. Elle trouve qu’il va bien mieux depuis qu’il n’est plus sous médicaments. Elle a de nouveau l’espoir de le voir rentrer chez eux.

Elle est cependant inquiète depuis l'hospitalisation de son mari. Elle pense que sa chute dans la chambre d'hôpital  est responsable de son alitement :

- " Ses jambes se sont dérobées sous lui. Depuis, non seulement, il est très faible mais il est dépressif, il ne croit plus à son rétablissement."

François va de mieux en mieux. Il pense qu’il ira encore mieux lorsqu’il pourra sortir de ce lit. Le médecin lui a proposé d'essayer de se lever. Il parle mieux, son visage est reposé. Il blague, il déguste des cerises, des biscuits avec du chocolat, il réclame des fraises. Il fait "hum!" de joie en savourant les fruits.

- " J’aimerais pouvoir bouger un peu, juste marcher de ma cuisine à mon balcon, mais mes jambes ne veulent rien savoir."

François annonce son départ pour son domicile. Il reste pourtant inquiet. Il pense que sa femme ne pourra pas supporter, sa dépendance dans tous les actes de son quotidien. Puis il se reprend et dit:

- "si je vis, c'est pour elle, sinon, je serai déjà mort"