Observation 21: Joséphine 91 ans.

Joséphine a 91 ans. Elle a été hospitalisée pour une occlusion intestinale avec vomissements. Nous verrons six fois à une semaine d'intervalles entre chaque entretien.

Elle a du mal à marcher surtout à la suite de prises de laxatifs forts qui lui ont été administrés et l’ont laissée sans force.. Son élocution est très mauvaise. Elle répète avec inquiétude que son fils va la gronder car elle a dû rester debout dans les sanitaires, ne pouvant plus bouger ses jambes:

- "je dois prévoir le trajet pour aller aux toilettes, sinon!"

Effectivement, Joséphine est restée une longue période, debout, tremblante, appuyée sur son cadre, ne pouvant plus avancer, ni s'asseoir. Cet événement l'a beaucoup affecté.

Joséphine, parle facilement de sa vie. Elle a deux fils. Gérard qui a trois enfants d’un premier mariage et une petite fille de 8 ans du second:

-"C'est une vraie petite chipie"

Son fils Pierre est mort. Il s’est pendu. Elle l’a découvert en venant lui apporter à manger. Son fils était un beau garçon mais qui a souvent trompé sa femme et lorsque celle-ci l’a trompé, il n’a pas supporté. Ses petits- enfants "ont coupé les ponts" avec elle, puisqu’ils étaient déjà partis de chez leur père.

Elle ne voit pas non plus ceux de son second fils car les enfants et leur père ne se parlent plus. Donc, elle ne voit plus personne sauf son fils et sa petite-fille du second mariage.

Elle est née dans le Nord de la France, près de la Belgique, vers Roubaix.

Elle a commencé à travailler à 13 ans. Elle n’a pas pu passer son certificat d’étude à cause de sa mère qui n’a pas voulu. Elle s’est retrouvée en usine textile. N’étant pas au milieu de femmes correctes, elle a été mise au piquage de tissu (étiquetage) Elle ne s’y plaisait pas du tout. Elle s’est retrouvée à la broderie en machine. Puis une tante lui a appris la coiffure. Elle avait le salon quand la guerre a éclaté. Son mari est parti. Elle a tout vendu. Elle regrette. Elle a connu son mari à l’usine. Il s’occupait de réceptionner les tissus étiquetés. Apparemment, il avait une mauvaise santé. Sa mère l’avait prévenue de ne pas se marier avec cet homme.

Elle a connu un homme qui était fiancé. Ils se sont aimés, puis leurs chemins se sont séparés. Ils se sont retrouvés quelques années plus tard. Ils avaient deux enfants et leurs aînés avaient le même prénom, Pierre:

- "Il a attendu que je me marie la première pour se marier à son tour."

Elle aurait été heureuse avec lui. Elle aimait son mari mais ce n’était pas pareil.

-"Qu’est- il devenu maintenant ? Est-il mort ? J'aurais dû rester dans le Nord, j'aurais des amis. Ici, je n’ai plus personne. Je suis venue à Lyon car mon fils y vit. Je regrette."

Lorsqu’elle était jeune elle adorait chanter. Elle chantait dans les fêtes, pour les départs des jeunes appelés. Elle avait un caractère gai. Elle a bien profité dit-elle.

Elle a connu trois guerres : 14-18, 39-40 et la guerre d’Algérie où ses deux fils sont partis.

- "Pierre a trop touché à l’alcool. C’était la peur. C’était la guérilla."

Elle parle de rêves qui la marquent.

-"Je suis très imaginative."

Elle se lève pour s’asseoir dans le fauteuil aidé par un cadre. Elle saisit un roman. Elle me raconte en riant qu'une fois elle n’arrivait pas à lire. Elle croyait que sa vue baissait mais non elle avait mis ses lunettes de soleil !

Pour elle, si elle doit partir en maison il faut qu'elle soit bon marché.

- "J'aurais aimé rester dans le service, mais je ne peux pas car c’est un hôpital. J'espère mourir avant d’aller dans une maison. J'en ai assez, j'ai fait mon temps. J'ai eu des moments heureux."

Les jours suivants, elle reste couchée.

Elle ne mange pas assez et elle s'en rend compte, mais elle trouve la nourriture qui est servie trop mauvaise. Elle ne sait même pas ce qu'elle mange:

- "à part la couleur, c'est tout pareil!"

Elle aime à parler même si elle est de plus en plus fatiguée et si ses paroles deviennent inaudibles par moment.

Sa santé se dégrade de jours en jours. Joséphine est très fatiguée. Elle est encombrée au niveau des bronches. Elle parle difficilement. Sa santé s'est dégradée rapidement.

"Je veux me retrouver au cimetière, je n’en peux plus. Je ne peux plus marcher, je suis trop fatiguée."

Elle est sous morphine. Elle somnole. Un bol sous le menton de peur de vomir. Elle a beaucoup changé, maigri.

Joséphine est morte deux jours plus tard. La chambre est vide, le nom a disparu.