Observation 22: Angèle. 72 ans.

Angèle est une dame de 72 ans. Elle accepte avec enthousiasme les entretiens qui lui permettent de parler et d'avoir des visites. Nous aurons six rencontres. Elle sera toutes les fois couchée.

Elle est alitée car elle souffre d’hémorroïdes. Elle ne parle pas de ses nausées et de ses vomissements, symptômes qui ont interpellé l'équipe à propos de son comportement alimentaire.

Elle explique sa faible prise de nourriture, par son anxiété:

-"Je suis une anxieuse et ça ne passe pas."

Elle a deux enfants : une fille qui est morte et qui était malade des nerfs; un garçon qui a trois enfants, deux filles et un fils. Ils vivent à Lyon. Ils viennent souvent lui rendre visite.. C’est son fils qui l’a ramenée à Lyon lorsqu’elle ne pouvait plus rester seule.

Son mari et elle, étaient cultivateurs, à Beaune. Elle aimait beaucoup ce métier. Elle explique que son mari a eu un père alcoolique qui battait sa mère.

-"C’est dur pour un enfant."

Son mari est mort, il y a quelques années.

Angèle est dans la plainte : hémorroïdes et maux de tête. Elle répète de nouveau que c’est la vie, que tout le monde a son lot de malheur. Elle a été opérée des hémorroïdes. Elle est plus souriante depuis son opération, on s'occupe d'elle..

Bien souvent, elle n’a pas le moral et peu à peu elle l'exprime:

-"je suis très fatiguée, très fatiguée, anéantie. Je n’ai pas faim, j’ai le nœud dans la gorge, pourtant, ça a l’air bon."

Elle reproche au personnel de ne pas la calmer. Puis, elle s'excuse de cette faiblesse en terminant comme à chaque fois par ces mots:

-"c’est la vie, c’est comme ça, on n’y peut rien."

Elle pense à ses enfants, ses petits-enfants, sa vie, les bons et les mauvais souvenirs.

Elle regarde les photos qui sont en face d’elle : ses trois petits-enfants, son père et elle plus jeune, sa mère et une sœur de son père. Puis, elle se referme et elle n'en dit plus rien.

Voici l'histoire d'Angèle relatée par sa belle-fille.

Elle est née en 1927 à Longwi.

Elle est l’aînée d’une famille de trois enfants. Elle a des liens très forts avec son père. Elle décrit sa mère comme exigeante. Ses grands-parents vivaient avec eux. Elle s’installe dans une ferme à Marnay (vers Montbard et Ravières) en se mariant à 19 ans en Côte d’Or. Son premier enfant décède à la naissance, étranglé par le cordon ombilical. Son deuxième enfant, une fille décède d’une Chorée de Hugtington vers 1957-1958.

Elle déménage alors en appartement. Son fils Michel est né. Elle devient femme au foyer et fait quelques "extras" au restaurant pour arrondir les fins de mois. Son mari André tombe malade en 1964. Elle déménage à Aulnois pour se rapprocher de sa famille car André a des problèmes de santé.

Angèle travaille comme ASH à l’hôpital pendant un an. Puis elle revient en Côte d’Or vers Beaune. Le couple a trouvé du travail dans une grosse maison avec parc, pour le ménage et comme gardien. Son mari travaille chez un paysagiste pendant un an ou deux puis il est mis en longue maladie. Ils restent à Beaune mais déménagent dans la " ZUP" de Beaune vers 1972. André décède en 1976. Angèle se remarie en 1977. Elle retourne à Ravières. Son fils Michel reste à Beaune pour faire ses études. Elle rentre à Beaune en 1983, dans son appartement qu’elle occupe jusqu’en 1999. Elle a toujours accordé beaucoup d’importance à l’unité familiale, aime les enfants. Son grand-père, jardinier lui a donné sa passion du jardinage, des fleurs. Sa troisième passion concerne les animaux : elle a toujours eu des oiseaux, des cobayes, des chiens. Le chien qui l’a beaucoup marqué est la "Babette"

Elle appréciait de faire la cuisine. Elle aime les magazines. Elle apprécierait d’aller en animation.

Angèle continue de se plaindre de ses hémorroïdes, surtout lorsqu'elle a du "vague à l'âme" comme elle dit. Son appétit est fonction de son moral, qui est plus ou moins bon.

Elle essaye de tout contenir même les pleurs qu'elle ne peut laisser apparaître. De temps en temps, elle s'échappe dans ses souvenirs:

-"je tricote une écharpe en mohair, elle est tellement belle que tout le monde en veut une" Alors qu'Angèle est dans l'incapacité de tenir des aiguilles.

"Je veux voir papa et maman pour leur demander des courses."

Angèle cache une grande détresse qu'elle a du mal à formuler avec des mots. Ses enfants, ses petits-enfants, ses souvenirs sont les seuls appuis qui lui permettent de se résigner à cette vie.

Angèle reste en long séjour.