Observation 42. Lucille. 85 ans.

Lucille a été hospitalisée à la suite d'un accident vasculaire cérébral, elle a de la gêne pour articuler les mots et a beaucoup de difficultés à se faire comprendre.

Lucille accepte immédiatement les entretiens car elle aime parler, s'épancher. Nous aurons huit entretiens.

Lucille a une fille de son deuxième mari. Son premier époux ne voulait pas d'enfant car il ne les aimait pas. Elle me dit que la vie est dure. Elle a eu deux maris qui sont morts.

- "Heureusement que l’on ne sait pas tout ça à l’avance."

Sa fille a eu deux garçons et l’un a eu aussi deux garçons.

- "Ma fille a un caractère plus dur. J'aimerais que celle-ci vienne plus souvent me voir. Je souffre de son absence. "

Elle pleure.

Elle parle de sa mère et de sa grand-mère qui avait sept enfants. Sa grand-mère lui aurait dit que sa mère était la plus jolie de ses enfants. Des larmes sont alors apparues dans ses yeux.

Son père est mort d’une attaque, elle l’a vu marcher difficilement et il est tombé en arrivant à l’Hôtel Dieu. Elle lui a dit au revoir mais il était dans le coma. Elle a peur de s’endormir, elle a peur de faire comme son père.

Elle est allée jusqu’au certificat d’étude puis elle est allée aux Beaux-Arts. Elle avait 17 ans. Elle en est très fière. Elle aimait beaucoup le dessin. Elle était comme son père qui lui en plus, avait la musique. Elle pleure en se remémorant son père. Elle était plus près de lui que sa mère. Il faisait partie d’une haute famille.

Elle a fait des dessins de mode de haute couture pour de grands couturiers mais elle ne pouvait pas aller à Paris pour ne pas laisser sa mère seule.

Lucille est dans la plainte. Elle pleure très facilement et elle exaspère l'équipe par son ton "geignard" Le moindre événement est prétexte à se plaindre: Elle se plaint de n’avoir pas suffisamment à manger, d'avoir faim, de souffrir de son dentier ce qui l'empêche de manger normalement, de sa fille qui ne vient pas, de l'équipe qui ne s'occupe pas assez d'elle et elle ne fait donc plus de progrès car elle ne bouge pas et donc elle s'ankylose.

Elle se sent abandonner et elle ne supporte plus son état.

- "C’est dur de vieillir, c’est dur d’être obligée de se faire changer par d’autres. Je ne veux pas d’un fauteuil roulant. Je crois que c'est par orgueil."

Depuis quelques jours, Lucille est abattue, fatiguée:

"Je veux m’endormir et ne plus me réveiller."

Lucille fera un deuxième accident cérébral. Elle mourra deux jours après.