2. La confrontation au chômage, une épreuve

Considérant notre population de chômeurs-bénévoles, à présent nous souhaitons, au terme d’une analyse de l’ensemble des « vécus » 62 des confrontations au chômage (dont les témoignages sont contenus dans les réponses au questionnaire) voir se dégager de la mosaïque des réponses individuelles des convergences, une image.

Nous tenterons aussi de mieux les identifier sociologiquement en nous référant aux importants travaux de D. Demazière, P. Grell et D.Schnapper (ce qui par ailleurs aura valeur de validation de notre population au regard de celle des chômeurs en général).

C’est une vision du chômage très commune, très répandue, presque un cliché. Le chômage serait une épreuve dans plusieurs de ses dimensions, psychologique par exemple avec un retentissement sur la consommation de psychotropes et par là un impact sur les comptes de la sécurité sociale comme le souligne cette enquête bien documentée de l'I.N.S.E.E. 63 montrant que contrairement à ce que l'on pourrait croire, le stress induit par l'activité professionnelle engendre moins de difficultés psychologiques que l'inactivité car : « La consommation de médicaments psychotropes des hommes qui sont au chômage est trois fois plus élevée que celle des hommes actifs occupés ; elle augmente d'un tiers chez les femmes. »

Voilà une idée triviale qui pourtant s’impose dans toutes les importantes contributions sociologiques sur le vécu du chômage, et nous ferons ici plus particulièrement référence aux travaux de D. Demazière 64 et D. Schnapper 65 .

Le chômage apparaît dans toutes les études précédemment évoquées dans le chapitre 3 comme une épreuve, et même si notre population n’est en rien identique à celle qui a servi de référence à ces différents travaux, il n’en reste pas moins qu’à nos yeux le mot « épreuve » est bien le terme qui qualifie le mieux l’expérience, le parcours que fait notre population dans sa confrontation au chômage.

L’épreuve débute par un traumatisme car ces personnes n’étaient pas préparées au chômage (le peut-on ?), puis toutes sortes de manques liés à l’absence du travail font leur apparition un à un, des plus évidents et immédiats aux plus secrets, venant compliquer leur chômage, c'est-à-dire leur adaptation à la situation laissée par la perte de leur emploi et lui conférant à cette période de leur existence le caractère d’une sorte de « cure de désintoxication ».

D. Demazière évoque les nombreuses études, notamment américaines, menées par les chercheurs en psychologie sociale qui ont analysé les phases par lesquelles passe l’individu qui, devenu chômeur, va s’adapter à sa nouvelle vie : « Le chômage est considéré comme d’autres situations de perte ou de gain (deuil, séparation, entrée dans la retraite, entrée dans la vie active, naissance d’un enfant, promotion professionnelle, etc.) : il conduit l’individu à affronter le changement, transformer ses représentations du monde, modifier ses évaluations de lui-même, redéfinir ses possibles » (1995, p. 94).

Ainsi, en 1976 - 1977 Hopson, Adams et Hill insistent sur le fait que la transition peut dépendre des expériences individuelles de sujets. À la même époque, les travaux d’Harrison et Briar montrent l’importance des appartenances aux réseaux relationnels tandis qu’Hayes et Nutman, en 1981, rendent compte de l’incidence du chômage sur les relations personnelles, l’image et l’estime de soi, la définition de sa place sociale, etc.

Finalement, voici les trois étapes successives (que nous retrouverons dans notre propre enquête) vécues par l’individu au chômage synthétisées par D. Demazière (1995, p. 94) :

La première phase correspond à la perte d’emploi et à l’entrée en chômage. Quelle que soit l’ampleur du choc reçu, l’individu n’a pas de réaction immédiate, il n’appréhende pas toutes les implications de l’événement. Puis il en minimise la portée, voire s’efforce de maintenir une réalité comme si la perte ne s’était pas produite ;

La deuxième phase est celle de la prise de conscience de la rupture. L’acceptation de la réalité s’accompagne d’un pessimisme dépressif. L’individu est abattu, sans réaction ni capacité d’action. C’est le laisser-aller et l’impression d’écrasement, voire la culpabilité qui dominent ;

La troisième phase est celle d’une réappropriation subjective de la perte : la prise de conscience des changements objectifs et concrets débouche sur une réévaluation subjective de la situation. Recherchant un sens à cette transition, les chômeurs qui n’ont pas retrouvé d’emploi vont réaménager leurs attitudes et leurs comportements. Ils vont intérioriser de nouveaux cadres de référence et s’installer dans le chômage. Ils connaissent une véritable conversion, supposant une nouvelle interprétation du monde et de sa propre place dans la société. Le fatalisme et l’inertie sont des traits récurrents de cette phase finale du cycle transitionnel.

Notes
62.
Expression qui fera écho à celle empruntée par D. Schnapper
63.
INSEE, Francoscopie, 1999, p. 262
64.
Voir supra p. 11
65.
Voir supra p. 11