2.4 Une épreuve, car ils le disent 

Après les premières confrontations à la réalité de leur nouvelle situation sociale, le chômage a fini par s’inscrire dans le quotidien de ces personnes. Désirant connaître leur appréciation personnelle du chômage qu’ils étaient en train de vivre (et pour des raisons évoquées au chapitre « méthodologie »), nous leur avons demandé de choisir trois mots qui évoqueraient le mieux « ce qu’est » (question 156), puis  « ce que n’est pas » (question 160) à leurs yeux le chômage, dans une liste de 46 mots – dont la moitié avaient une connotation positive et la moitié une connotation négative. Nous leur avons demandé par ailleurs de justifier à chaque fois le choix de leur sélection pour mieux préciser le sens qu’ils conféraient aux différents concepts choisis.

Les trois mots les plus souvent choisis sélectionnés pour qualifier ce qu'est le chômage sont : « remise en question », « épreuve » et « changement »

De toute la liste, c’est le mot « épreuve » n’est pas le plus cité mais celui qui a été le plus mentionné en premier.

Pour 37,9 % d'entre les enquêtés, le chômage est « une remise en question » personnelle, du fait de la perte de confiance en soi ou de la remise en question des choix présents ou à venir. Les justifications données montrent que le chômage est l'occasion pour eux de faire un bilan :

‘« avoir si on ne doit pas envisager de changer d'orientation »
M. G, 40-44 ans, comptable, 2e fois au chômage (n° 2)

«pour savoir qui l'on est vraiment et ce que l'on cherche »
Mlle B, 20-24 ans, ingénieur IAA, 1e fois au chômage (n° 11)

« c'est le moment de réfléchir sur soi, sur les choix qu'on a fait ou pas fait dans le passé, sur la route qu'on doit prendre pour l'avenir »
Mme F, 35-39 ans, surveillante , 3e fois au chômage (n° 24)

« on s'interroge sur qui on est, ce que l'on veut et en fonction de ça on définit où on veut aller, c'est-à-dire ce que l'on recherche »
Mlle P, 20-24 ans, assistante marketing, 1e fois au chômage (n° 44)’

Pour 26,3 % d'entre eux, le chômage est vécu comme « une épreuve difficile » où l'on se sent à l'écart de la vie, où l’on se retrouve face à soi, où la question est «  comment s'en sortir ? » :

‘« c'est dur à vivre, on se sent nulle »
Mme B, 25-29 ans, secrétaire, 2e fois au chômage (n° 5)

« c'est une mise à l'écart de la vie, de la vie active »
Mme B, 35-39 ans, ingénieur chimiste, 1e fois au chômage (n° 33)

« on se retrouve face à soi, il faut tout mettre en œuvre pour ne pas couler, c'est dur de ne rien faire »
Mlle V, 25-29 ans, vendeuse saisonnière, 3e fois au chômage (n° 47)

« période difficile sur beaucoup de plans : financier, psychique ; le chômage est éprouvant »
Mlle L, 25-29 ans, étudiante, 1e fois au chômage (n° 45)’

18,9 % déclarent vivre le chômage comme « un changement » :

‘« rupture avec une vie traditionnelle , nouveaux choix »
M. G, 45-49 ans, gardien -concierge, 2e fois au chômage (n° 3)

« d'une vie active à une vie moins active »
Mme F, 30-34 ans, enseignante, 1e fois au chômage (n° 16)

« il n'y a plus de contraintes d'horaires, de productivité liées au travail »
Mlle D, 30-34 ans, standardiste, 2e fois au chômage (n° 26)’ ‘« on ne sait pas où on va »
M. L, 40-44 ans, ouvrier d'entretien, 3e fois au chômage (n° 46)’

Sinon, indépendamment du trio cité, six autres mots sur la liste totalisent ensemble une fréquence de l’ordre de 10 %.

Cinq font écho aux notions de remise en cause et d’épreuve, ce sont : « bilan », « inutilité », « repartir à zéro », « dépression », « isolement ».

Le sixième évoque un état d’esprit favorable au changement : « disponibilité ».

En résumé, le chômage est vécu par la majorité des membres de notre population comme une période de remise en question qui donne l'occasion de faire un bilan sur sa vie passée afin d'opérer de nouveaux choix pour le futur. Cette période est vécue comme une épreuve dans la mesure où l'individu se retrouve face à lui-même du fait de sa mise à l'écart temporaire de la vie active en tant que salarié. Il ressent fortement un changement dans ses rythmes et dans sa vie.

Les trois mots les plus souvent sélectionnés pour qualifier ce que n'est pas le chômage (question 160) sont : « vacances » (37,9 %), « honte » (26,3 %) – mot le plus souvent cité en premier - et « chance » (21,1 %).

Pour 37,9 % d’entre les personnes interrogées, le chômage n'est vraiment pas une période de vacances car le chômage n'est pas un choix, c'est une période consacrée essentiellement à la recherche d'un travail et à sa propre reconstruction :

‘« rien à voir avec les vacances ; cela ne relève pas d'un choix et psychologiquement c'est épuisant »
Mlle L, 35-39, employée de collectivité, 5e fois au chômage (n° 14)

« considérer le chômage comme des vacances c'est le plus sûr moyen de sombrer ; au contraire c'est une phase d'hyperactivité : l'être doit faire un effort pour reconstruire sa vie sur des bases plus solides »
Mlle C, 25-29 ans, étudiante, 1ère fois au chômage (n° 34)

« les vacances sont faites pour se reposer, le chômage pour chercher du travail »
Mlle C, 30-34 ans, réceptionniste hôtel, 1ère fois au chômage (n° 61)’

26,3 % des personnes disent que le chômage n'est pas vécu comme une honte car il peut concerner tout le monde. Deux d’entre eux l’expriment assez clairement :

‘« trop courant pour provoquer la honte »
Mme V, 50-54 ans, architecte, 3e fois au chômage (n° 8)

« cela peut arriver à n'importe qui, même aux meilleurs »
Mlle C, 30-34 ans, juriste en entreprise, 2e fois au chômage (n° 22) ’

Enfin, pour 21,1 % d’entre eux, le chômage n'est pas une chance car il est plus subi et pas choisi.

Là aussi, six autres mots totalisent une fréquence d’apparition de l’ordre de 10 % : « mort », « loisirs », « équilibre de vie », « humiliation », « inutilité », « repos ».

Evidemment, autant le procédé qui consiste à choisir des mots pour qualifier au mieux ce qu’est le chômage semble légitime et valide, autant l’inverse paraît caricatural voire manquer de sérieux, et pourtant on y voit nos chômeurs nier avec force « la mort », la honte », « l’humiliation », « l’inutilité »… ce qui ne manque pas d’intérêt.