Les cercles relationnels, la famille, le couple, les autres

D. Schnapper a montré dans son étude que l’intégration familiale peut constituer un facteur atténuant ou aggravant de la crise de statut vécue par ceux qui, avant ou depuis le chômage, connaissent aussi une crise familiale.

Dans notre enquête, la grande majorité des personnes interrogées a déclaré avoir reçu le soutien de leur famille et de leurs amis. Leurs proches leur ont prodigué du soutien, qu'il soit moral ou financier car ils se faisaient (et se font encore) du souci pour elles, pour leur avenir, pour leur santé, pour leur état psychologique et se veulent solidaires.

Dans son étude, D. Schnapper fait état de relations statistiques significatives entre la situation d’éloignement du marché de l’emploi et les indicateurs de cohésion sociale : « plus les individus connaissent une situation d’éloignement du marché de l’emploi, quels que soient leur sexe et leur appartenance sociale, plus le risque de rupture conjugale augmente » […] « la séparation du couple ne suit pas immédiatement la perte de l’emploi – ce qui explique que certaines enquêtes n’aient pas trouvé de relations statistiques entre le chômage et les liens familiaux sur dix-huit mois. Mais le chômage d’un des membres provoque une période de trouble dans les relations à l’intérieur de la famille qui risque d’aboutir finalement à la dissolution du couple ». (1994, p. 31).

Interrogés sur les conséquences de la situation de chômage sur leurs relations familiales, amicales et de couple (Question 138 « Votre situation de chômage a-t-elle provoqué des difficultés voire une crise dans vos relations ? » ; Question 139 « Le chômage peut permettre à certains de rééquilibrer leur relation de famille. Certains hommes vivent positivement l’engagement bénévole de leur femme. Qu’en pensez-vous ? ») Peu de personnes ont déclaré que leur situation de chômage avait provoqué des difficultés voire des crises dans leurs relations, mais quand ce fut le cas, les crises étaient surtout familiales.

Plus loin, on peut lire dans l’étude de D. Schnapper : « Il semble que la majorité des chômeurs mariés bénéficie de l’appui moral de leur femme, alors que le chômage de la femme mariée provoque, au contraire, une occasion de rappeler le statut ambigu du travail féminin. Les époux, souvent, n’arrivent pas à considérer que leurs femmes soient « vraiment » au chômage et traduisent par leur ironie ou leur agressivité le fait qu’ils n’ont pas accepté totalement le travail de leur femme, donc son chômage. » (1994, p. 78)

Dans notre enquête, un certain nombre de femmes ont mentionné que leur couple a été plus ou moins affecté par le chômage surtout quand celui-ci concernait leur mari. Ce que disent majoritairement ces femmes est parfaitement contenu et exprimé dans trois témoignages suivants :

Le mari ou le compagnon voit leur travail à elles comme une occupation :

« je pense que ces hommes préfèrent subvenir aux besoins de la famille uniquement par eux-mêmes ils acceptent mieux le fait que leurs femmes travaillent pour « s'occuper » »
Mlle L, 35-39 ans, agent hospitalier, 3e fois au chômage (n° 17)

Même si la contribution financière apportée par la femme est appréciable…

‘« il me semble qu'actuellement la majorité des hommes préfère avoir une femme qui apporte un deuxième salaire, la vie étant beaucoup plus facile alors ; sauf très gros revenus un seul salaire ne suffit plus »
Mme X, 30-34 ans, secrétaire, nombre de fois au chômage inconnu (n° 85)’

Et il semble que le conjoint apprécie la nouvelle disponibilité de leur femme :

‘« mon mari a apprécié que je ne travaille plus : plus de disponibilité pour lui et les enfants mais ne supporte pas l'engagement au bénévolat »
Mme K, 30-34 ans, chef de service informatique, 2e fois au chômage (n° 13)’

Si l’entourage proche semble accorder un certain soutien aux personnes enquêtées, cela ne paraît pas être le cas pour les autres, « ceux qui ne sont pas les proches ». En effet, un grand nombre de personnes ne voient qu’indifférence dans le regard des autres et la justifient par le fait qu'ils ne se sentent pas concernés et n’ont pas eu à vivre ce genre d’expérience :

‘« quand on n'est pas passé par là on ne se rend pas compte de ce que c'est ! ça fait mal »
Mme L, 50-54 ans, secrétaire, 4e fois au chômage (n° 48)’

Beaucoup se sentent jugées de façon négative :

‘« certains vous jugent comme des incapables ou fainéants »
Mlle L, 35-39, employée de collectivité, 5e fois au chômage (n° 14)

« on pense à tort que les chômeurs sont des gens qui se complaisent dans l'assistanat ; ce n'est pas du tout le cas »
Mme K, 30-34 ans, chef de service informatique, 2e fois au chômage (n° 13)

« c'est de sa faute, elle s'est mise dans cette situation ; elle ne cherche pas assez ; elle n'accepte pas n'importe quel emploi ; elle fait la difficile ou alors elle n'est pas capable »
Mme B, 35-39 ans, ergothérapeute, 4e fois au chômage (n° 73)’

En résumé,

la majorité des membres de notre population exprime les mêmes manques que la plupart des chômeurs. Globalement, ils vivent un décalage de rythme de vie avec les autres qu’ils ressentent généralement comme une perturbation, une désorganisation de leur vie quotidienne par absence de repères. Une personne sur deux se sent affectée dans son identité personnelle et sociale. La même proportion déclare souffrir d’un certain manque de relations sociales même si la plupart affirment que le chômage leur a permis de côtoyer des individus faisant l’expérience comme eux du chômage ou du bénévolat.

Nous n’observons pas ici de différence signifiante entre le ressenti de ces chômeurs et ce qui a été décrit à plusieurs occasions au sujet des chômeurs en général. Sur ce point donc, notre population ne se distingue en rien. Nous vérifions une fois encore la centralité du travail qui donne dans notre société à la fois des repères temporels, identitaires et relationnels qui manquent quand le travail fait défaut.