Des qualités du social relevant de la « transaction » :

Les chômeurs-bénévoles cherchent du lien social :

‘«  La transaction met en scène des acteurs tissant par leurs transactions des relations sociales plus ou moins durables mais activant en tendance des règles de droit dépassant la simple relation entre acteurs positionnés dans un espace social quelconque » (1999, p. 26) […] « La transaction ne suppose pas que les individus entre lesquels se noue une transaction se connaissent ou s’appréhendent en tant que sujet » (1999, p. 27).’

À la condition implicite d’un certain retour sur investissement :

‘« Alors que le collectif est associé à une « inqualification » de « l’acteur auteur », c’est-à-dire, à une absence de reconnaissance effective du sujet, la transaction, elle, contient explicitement cette reconnaissance » (1999, p. 27).’

à travers des relations distanciées mais cordiales avec les autres membres :

‘« Les modalités de relations dans la transaction reposent sur la confiance et la stratégie alors que la domination, la sympathie et l’envie caractérisent davantage l’engagement » (1999, p. 55-56). ’

Dans ce modèle, le mode d’investissement du social « est celui de la participation liée à un enjeu dans le cadre de la transaction et celui de l’engagement lié à une promesse dans le cas du collectif » (1999, p. 28).

Mais c’est le modèle de l’action commune qui nous apparaît particulièrement pertinent pour rendre compte de la réalité observable dans notre étude, même si selon l’auteur :

‘« ce n’est pas un modèle cognitif stricto sensu mais plutôt une ébauche cognitive reposant sur l’identification de pratiques nouvelles d’action ». (1997 99 ) ’

Car

‘« Le modèle de l’action commune se distingue des précédents modèles par le déplacement du regard qu’il opère. Ainsi, à la place du système d’action locale, le modèle de l’action commune envisage l’action comme une construction de situations dont l’histoire est centrale » (1997), ’

et

‘« Le modèle de l’action commune interroge des formes d’action contemporaines qui ne sont pas nécessairement et uniquement celles en œuvre dans des espaces d’action marchands ». (1997)’

Le modèle de « l’action commune » dessine une trame sur laquelle toutes nos principales observations peuvent se fixer. En effet, les chômeurs-bénévoles sont venus - ou revenus - chercher dans le bénévolat associatif la satisfaction de certaines attentes dans l’espoir de combler certains manques occasionnés ou révélés par le chômage. Ces attentes sont d’abord d’agir en ayant une action qui a du sens, d’être utile. Pour réaliser ce projet, ils viennent ou reviennent au bénévolat associatif c’est-à-dire dans une organisation - l’association - porteuse de valeurs et :

‘« L’action commune n’est pas une action qui résulte d’un engagement autour de valeurs militantes mais de la contribution (involontaire ou non) des uns et des autres à une action dont ils n’entrevoient pas toujours la pertinence mais à laquelle ils contribuent du simple fait de la division sociale (Durkheim) ou du simple fait de la consommation de biens ou services ». (1999, p. 34) […] « Elle correspond à des pratiques sociales reposant sur une nouvelle articulation existant entre la vie au travail et la vie hors travail parce qu’elle est fondée sur des valeurs mobilisatrices, sur une urgence et une incertitude multiforme supposées et qu’elle n’emprunte pas la voie d’une hiérarchie rigide de positions et des standards de comportement ». (1997) […] « Les formes de l’action commune ne reposent pas sur un enjeu collectif identifié comme tel et propre à une classe ou à un groupe d’acteurs. En ce sens, elles ne visent pas à construire une société meilleure ». (1997). ’

Les chômeurs-bénévoles sont également venus retrouver un lien social - plus ou moins affectés qu’ils étaient par leur situation de chômage :

‘« L’action commune met ainsi en scène des acteurs de proximité, ce qui ne signifie pas que cette proximité emprunte nécessairement les voies du voisinage, de la convivialité ou de la proximité relationnelle entendue ici au sens d’une proximité affective. C’est d’abord une proximité dans les façons d’être et de penser et dans les références aux valeurs dont il convient de parler». (1997).’

Ils établissent des relations essentiellement basées sur la confiance, la loyauté, et pratiquent une certaine camaraderie, distanciée, apprécient un certain nivellement hiérarchique :

‘« Le multipositionnement des individus issu de la « décompartementalisation » tendancielle des rôles induit des modes de relation diversifiés dont les relations de pouvoir ne sont qu’une des dimensions »  (1997). ’

Enfin, nous avons également montré que leur mode d’investissement est plutôt réservé :

« Le commun se comprend ici de ces formes d'action non explicitement concertées - mais néanmoins coordonnées - et reposant sur une participation plutôt que sur un engagement » […] « si nous usons du terme de commun pour qualifier le social c’est parce que le social est, pour partie, un ensemble d’actions dont la continuité et le caractère routinier n’impliquent pas de la part des hommes et des femmes concernés par ces actions un investissement particulier alors même qu’ils élaborent et perpétuent un ensemble de savoirs pratiques non évalués et un sens du commun, c’est-à-dire aussi une capacité à dénommer l’autre » […]

« le commun peut néanmoins s’avérer (paradoxalement) être parfois plus cohésif que le collectif en ce qu’il ne vise pas un dépassement des différences individuelles ou de groupes mais en ce qu’il permet de gérer la coexistence de différences identitaires fondées sur des expériences hétéronomes par exemple. » (1997).

En conclusion, nous dirons que l’engagement « réservé » observable chez ces chômeurs-bénévoles est assez voisin de « l’engagement distancié » de Jacques Ion et qu’il mène à des actions qui relèvent de l’action commune au sens de Claude Giraud.

Notes
99.
Claude Giraud, « Action rationnelle, action collective et action commune : trois modèles d’intelligibilité de l’action organisée », Cahiers du GLYSI-CNRS, Lyon, octobre 1997.