Le travail, la famille et l’école structurent le temps. Gilles Pronovost 105 montre dans ses travaux que l’abondance de temps dévalorise ce dernier et que chaque individu a tendance naturellement adopter des stratégies pour ordonner sa journée autour de repères temporels :
‘« Les études sur des institutions où « abonde » le temps (par exemple les hôpitaux) ont décrit comment certains acteurs élaborent des stratégies pour ordonner leur journée autour de repères temporels (par exemple les heures de repas et de sieste ou certains programmes à la radio ou à la télévision), pour se donner l'image qu'ils sont malgré tout « occupés », alors que d'autres ont pratiquement abdiqué et laissent couler le temps » (1996, p.57).’Face à la perte du cadre rigoureux imposé par le travail, le chômeur est fort souvent désemparé ; ce serait des vacances s’il avait choisi lui-même de briser le cadre temporel mais ce n’est pas le cas.
Qu’apporte le bénévolat en termes de structuration du temps ?
43,2 % des individus disent que le bénévolat ne permet pas d'organiser leur temps dès lors que cette pratique n'est pas véritablement au centre de leurs préoccupations, ils ont d'autres activités prioritaires. Par ailleurs, les horaires qu'ils y consacrent ne leur permettent pas d'organiser leur temps mais plutôt d’en combler les lacunes.
Il semble que le bénévolat ne soit pas au centre de leurs préoccupations et que par conséquent ce ne soit pas une activité significative.
D’autres, presque aussi nombreux, répondent que le bénévolat « les aide à organiser leur temps disponible ».
Ils ajoutent que les horaires de bénévolat sont en général bien déterminés, certains allant jusqu’à leur accorder force contraintes ou d’obligations, et ils en font des repères dans la journée voire dans la semaine.
D'autres sont dans une logique d’action, d'objectif, et les créneaux de participation au bénévolat associatif balisent la planification de leur journée ou de leur semaine.
Activité non significative pour les uns, qui participe à la structuration de leur temps pour les autres sans évidemment pouvoir rivaliser en cela avec le travail, le bénévolat serait structurant mais au sens de G. Pronovost quand il formule l’hypothèse des activités-pivots : « L’activité-pivot est reconnaissable à sa teneur en charge symbolique et, parfois à sa régularité » (1996, p. 72).
Nous avions déterminé qu’une personne sur deux dans notre population ressent depuis son entrée dans le chômage un décalage dans ses rythmes de vie avec les actifs, et qu’elle le vit plutôt mal. Le bénévolat permet-il de retrouver un rythme de vie semblable à celui des actifs salariés ?
Un enquêté sur deux pense que le bénévolat ne permet pas de retrouver un rythme de vie semblable à celui des personnes en activité salariée. Ils disent que le peu d'heures qu'ils accordent au bénévolat et l'absence globale de contraintes font que cela n'a rien à voir avec une activité professionnelle. Par ailleurs, certains remettent les choses en perspective et évoquent le fait qu'au chômage, ils se doivent de rechercher avant tout un emploi :
‘« le volume d'activité est beaucoup moins important mais c'est volontaire pour conserver et consacrer du temps à la recherche d'emploi »En résumé, pour notre population, le temps devenu disponible n’est certainement pas vécu comme une période de vacances, de loisir. Elle estime que l’on a besoin du travail pour ressentir ce temps disponible comme un temps de loisir, elle est chercheuse d’emploi. Sur le fait de savoir si le bénévolat permet d’organiser son temps disponible quand la réponse est oui, c’est partiellement et relativement à des notions de contraintes, d’obligations, d’objectifs, du langage habituellement dévolu au travail ; sinon, le bénévolat ne permet pas d’organiser le temps disponible, ce n’est pas une activité prioritaire, donc pas signifiante, enfin elle n’est pas utilitaire économiquement.
En matière de structuration du temps, le travail est et reste le référent absolu.
Pour clore ce chapitre sur les gains du bénévolat associatif en termes d’activité, d’utilité, de lien social, et de structuration du temps, nous voulons apprécier l’impact global du bénévolat associatif sur le chômage.
Pour satisfaire notre curiosité sur ce point, nous avons demandé aux chômeurs en quoi le bénévolat rend le chômage plus supportable (question 328).
Deux personnes - seulement - mentionnent l’idée d’une dette à rembourser envers la société :
‘«cela vous permet de moins culpabiliser par rapport à l'indemnisation (je me dis que je ne suis pas payée à ne rien faire) »Pour les autres, trois thématiques de réponses apparaissent : il peut s’agir d’oublier ses problèmes, d’être actif / utile, de rencontrer :
pour environ 20%, le bénévolat permet d’oublier un peu ses problèmes :
parce qu’il occupe l’esprit,
‘«il occupe l'esprit et on a le sentiment d'être utile »parce qu’il permet de relativiser sa situation :
‘«on ne s'apitoie pas sur son sort »parce qu’il permet d’oublier un temps que l’individu est chômeur :
‘«quand on fait du bénévolat on ne pense plus aux soucis personnels ; on en oublie même le chômage »Pour les autres, nous retrouvons exactement le même type de réponses que celles développées dans les attentes, à savoir pratiquer une activité, être utile, rencontrer les autres et occuper son temps ainsi qu’on peut le trouver résumé dans les propos de cette personne :
‘« le bénévolat répond à un désir de se sentir utile , de rester actif, et surtout de communiquer : je pense que ce sont les points clés du bénévolat »quand bien même nous retrouvons des réponses similaires, leur analyse nous apporte un complément d’informations intéressant. En regroupant les témoignages, on apprend qu’être actif permet de rester intégré socialement, d’éviter une désocialisation :
‘« avoir une activité ; intégration sociale ; utilité »on apprend également que c’est l’activité qui est recherchée, qu’elle soit salariée ou non :
‘« parce qu'il nous permet de nous sentir utile et d'avoir une activité même si elle n'est pas professionnelle »Certains assimilent le bénévolat associatif à une activité salariée :
‘« activité semblable à l'activité salariée »et, même si elle ne l’est pas, elle est positive, dans le sens où elle montre ou montrera ce que l’on sait faire :
‘« les personnes qui sont bénévoles sont confrontées au problème du chômage car même si elles ne travaillent pas, elles ne sont pas reconnues : le fait d'être bénévole nous soude, nous rapproche et on se sent plus forts, utiles à nouveau, reconnus, on montre que l'on peut faire quelque chose même si ça ne rapporte "rien" »Enfin, un petit groupe de personnes évoque la rencontre avec les autres :
‘« le fait de se sentir utile et aussi de côtoyer des gens que jamais vous n'auriez rencontrés autrement »’ ‘M. M, 50-54 ans, musicien, 1ère fois au chômage (n° 27)et cette rencontre peut apporter beaucoup sur le chemin de la recherche d’un emploi :
‘« car on continue à agir, à se rendre utile, à avoir des relations sociales ; de plus, on se sent soutenu par les autres membres dans la recherche d'emploi »Pour finir, nous citons quelques témoignages isolés mais intéressants :
celui ci-dessous, montre que le temps disponible est mal vu par les autres quand il n’est pas rempli d’activité :
‘« je culpabilise moins du temps qui passe car le temps n’est pas perdu ; il prend sens ; je n’ai plus autant à me justifier »et cet autre, qui montre le bénévolat comme un palliatif, le retour à l’emploi étant l’objectif premier:
‘« c’est un palliatif en attendant une activité retrouvée »