CONCLUSION DU CHAPITRE 9

La majorité des chômeurs de cette population dit obtenir une bonne satisfaction à ses attentes : le bénévolat permet d’être actif. Pour beaucoup, cette activité n’est pas assimilable à du travail, alors que certains n’hésitent pas à y voir un succédané du travail. Le bénévolat permet d’être utile, d’avoir une action qui a du sens. Il permet la rencontre de personnes très différentes de soi, d’avoir des relations riches de sens, et assure le maintien du lien social.

Dans notre société le travail a une dimension économique, celle de procurer un revenu et par voie de conséquence un niveau de vie quantifiable mais il donne aussi un statut socio-professionnel clairement identifiable à l’individu. Certes, le lien travail-revenu a prédominé le XX° siècle. Le développement du chômage et de la précarité et des revenus de remplacement (l’assurance chômage) ou d’insertion (R.M.I) qui leur sont associés a montré qu’il ne suffisait pas de percevoir des revenus dits de substitution pour exister socialement. La crise économique a contribué à montrer que le travail ne se réduit pas à sa valeur marchande exprimée par une rémunération mais qu’il renvoie aussi à la subjectivité de la personne humaine au travers de ses œuvres, sa sociabilité, la place qu’il lui donne dans la société et que le travail était donc aussi constitutif de l’identité. Les témoignages de ces chômeurs n’invalident nullement cette vision des choses, eux qui reconnaissent que le travail est effectivement un moyen d’identification très puissant et qui pour certains déplorent même la confusion possible entre ce que l’individu « fait » et ce qu’il « est ».

Le bénévolat, en répondant aux attentes relatives à l’activité, la reconnaissance par l’autre du caractère utile de l’action et par là de l’acteur, aura indéniablement un impact sur l’identité en restituant un statut « d’actif » aux chômeurs-bénévoles. Mais deux remarques s’imposent. Le questionnaire a montré que « seulement » une moitié d’entre eux souffrait de carences identitaires liées au chômage. Par ailleurs, leur comportement au sein des associations, la distance relationnelle qu’ils entretiennent, le fait qu’ils ne se positionnent pas en professionnels et ne tiennent pas spécialement à assumer des fonctions d’encadrement ont montré  qu’ils ne sont pas venus au bénévolat pour « s’affirmer », que cela soit sur les plans identitaire ou statutaire.

Par conséquent, bien qu’ils se disent plus ou moins affectés dans leur identité depuis qu’ils sont au chômage, rien dans l’analyse de l’enquête n’a permis d’affirmer qu’ils sont venus chercher dans le bénévolat associatif la restauration d’une identité perdue. Certes, ils reconnaissent que cette pratique contribue à restaurer une identité sociale quelque peu déficiente mais ils ne sont pas venus pour cela. Il semble qu’ils fassent bien la différence entre leur identité professionnelle, qui elle est affectée par le chômage, et leur identité personnelle. Nous observons que ces chômeurs ne sont pas en perte d’identité mais qu’ils veulent la maintenir au niveau d’exigences qu’ils ont en la matière. Celle-ci est liée à un statut et on voit bien dans l’enquête que ce qui domine c’est l’échange d’une prestation contre un statut lié lui-même à la reconnaissance d’une utilité. Ces chômeurs en agissant dans l’associatif expriment le refus du statut de chômeur. A travers la pratique du bénévolat associatif, ils bénéficent d’un statut porteur de valeurs et notamment celle « d’être utile ».

Le bilan est aussi positif concernant les autres « manques » occasionnés par la perte du travail, quand bien même ils n’ont pas été identifiés par notre population comme des attentes : le bénévolat permet, pour beaucoup, de restaurer les éléments de la sphère identitaire, l’identité affectée par le chômage ; il peut modifier l’image personnelle, et ainsi, une reconnaissance sociale d’un autre ordre est au rendez-vous.

Le bénévolat contribue à strucuturer le temps mais compte tenu du faible volume horaire hebdomadaire ou mensuel accordé à cette pratique, il ne saurait le faire comme le travail peut le faire. La contribution du bénévolat à structurer le temps n’est pas pour autant négligeable, elle est même, pour 8 % de notre population, assez considérable. L’impact du bénévolat sur la vie quotidienne n’est pas suffisant pour remédier à l’altération des rythmes de vie, même s’il y contribue un peu. Globalement il n’est pas là pour structurer le temps.

Ces chômeurs avaient développé des relations en dehors de leur famille nucléaire et spécialement ceux qui pratiquaient déjà le bénévolat associatif. Ils disent majoritairement ressentir un manque plus ou moins marqué de lien social depuis qu’ils sont au chômage et disent aussi majoritairement trouver dans le bénévolat associatif matière à combler ce manque. Pourtant, l’observation de leur relations aux autres, que ce soit l’organisation ou les autres bénévoles, montre un relationnel assez distancié qui n’est pas pour nous assimilé à une déliaison sociale mais est plutôt révélateur d’une forme de lien social contemporain. Les travaux récents sur le lien social décrivent une autre forme de lien social caractérisé par un

relationnel plus large, plus ouvert, moins constants. Les sociologues notent aussi la concomitance de contacts plus étendus et d’une moindre implication réciproque, de relations avec moins d’engagements réciproques signant une sorte de lien social à la carte privilégiant un cercle social plus choisi et moins imposé. Cet individu qui construit un nouveau lien social est proche de l’individu relationnel de R. Sue (2001) qui voit en lui un individu sommé depuis quelques années d’être lui-même, pour lui-même et par lui-même et qui se relie aux autres sur un mode de relation et de lien qui emprunte ses principaux traits à la relation d’association, en l’occurrence sur la base d’accords volontaires, de liberté et d’égalité. Dans le bénévolat associatif, le chômeur reste lui-même tout en participant à un collectif, il tisse une relation d’association à son environnement. Il a dans l’association l’opportunité de décider du relationnel qu’il veut avoir aussi bien avec l’organisation qu’avec les autres bénévoles. Il récupère une autonomie de décision et d’implication relationnelle.

Ce sont des contacts, du lien social, l’autre, que notre population est venue chercher dans le bénévolat associatif. A cet égard, elle a obtenu satisfaction en trouvant des relations riches de sens. Et même si dans l’ensemble elle garde une certaine distance avec l’encadrement et les autres bénévoles, on peut considérer qu’en matière de lien social le bénévolat vaut bien le travail.Toutes choses qui permettent de conclure que dans les modalités de l’action qu’il propose, le bénévolat associatif est parfaitement en mesure d’assumer cette fonction latente habituellement dévolue au travail.

Au final le bénévolat semble bien répondre aux attentes ainsi qu’aux manques.

En répondant aux attentes et en palliant à certains manques occasionnés par la perte du travail, le bénévolat associatif apparaît comme pouvant être un substitut ou une alternative au travail pour en assumer les « fonctions latentes ».

Au terme de ce chapitre, nous pouvons avancer qu’à première vue, le bénévolat repose essentiellement sur un concept, « être utile », un concept fédérateur car présent au centre de tous les propos ayant trait aux « fonction latentes », ce qui en fait un » concept pivot » au sein d’une « activité pivot ».

Cette pratique peut encore se révéler être plus fructueuse.