1.3 Une appréhension différente du travail

Dans le troisième groupe (10 %) un lien est fait avec « le futur emploi » et il semble que la pratique du bénévolat soit à l’origine d’une envie d’élaborer un autre rapport au travail dans le futur. Elle a fait naître l’exigence plus grande de transposer une partie de ce que les chômeurs de ce groupe ont pu vivre et apprécier, au sein des associations dans le choix d’un travail plus conforme à leurs aspirations. Le bénévolat, en leur donnant à vivre une sorte de micro-expérience professionnelle, s’est révélé une opportunité de se réconcilier avec les exigences du monde du travail et de découvrir des centres d’intérêt, des activités, des valeurs qui seront à l’avenir plus déterminants dans le choix de l’orientation ou de la réorientation professionnelle : 

‘« en faisant du bénévolat, je réapprenais à travailler donc je m'exerçais sans m'engager »
Mme X, 30-34 ans, secrétaire, nombre de fois au chômage inconnu (n° 85)

« de vouloir en faire davantage et de m’encourager à changer de profession »
Mlle L, 35-39, employée de collectivité, 5e fois au chômage (n° 14)

« ça m'a conforté dans mon idée de devenir moniteur-éducateur ; faire du social »
Mlle V, 25-29 ans, vendeuse saisonnière, 3e fois au chômage (n° 47)
« je ne retravaillerai que si mon travail pourra être utile aux individus (place centrale de l'individu) »
Mlle C, 30-34 ans, juriste en entreprise, 2e fois au chômage (n° 22) ’

Les réponses à cette question ont mis en valeur tout ce que le bénévolat peut avoir d’une thérapie : réconcilier l’individu avec lui-même, l’ouvrir aux autres et au monde, lui donner envie de faire des choix et d’agir plus en conformité avec ses valeurs personnelles et donc de s’affirmer :

‘« je ne peux continuer à travailler sans être payé »
M. D, 30-34 ans, employé, 5e fois au chômage (n° 55)’

L’efficacité étant un critère de la plus grande importance quand on se positionne en « acteur », la question avait été posée, incontournable. Au-delà des résultats bruts indiquant un fort taux de satisfaction dans ce domaine avec une grande majorité (75,8 %) estimant que son action bénévole est efficace, les justifications se sont réparties en deux groupes montrant que la question comportait une ambiguïté.

En ne donnant pas précisément l’objet de l’efficacité en question - était-ce l’action bénévole en tant qu’action menée au sein de l’association ou en tant que choix d’engagement personnel ? - il y avait une marge d’interprétation qui a été exploitée et parmi la grande majorité qui estime son action efficace, il y a donc ceux qui répondent dans la perspective de leur action au profit de l’association et de ses bénéficiaires, et ceux qui jugent de l’efficacité de la pratique du bénévolat associatif par rapport à la démarche personnelle qui les a conduits à un tel engagement.

On a donc vu se dégager deux concepts de l’efficacité, l’un « comptable », qui mesure l’efficacité à l’aune des résultats obtenus au sein de l’association :

‘« parce que je vois les résultats »
Mme C, 35-39 ans, conseillère en épargne, 2e fois au chômage (n° 40)

« les adhérents semblent satisfaits »
Mme X, 25-29 ans, employée de maison, 3e fois au chômage (n° 4)

« grâce à mes actions, des gens vont mieux »
Mlle P, 20-24 ans, assistante marketing, 1ère fois au chômage (n° 44)’

L’autre, plus  « individualiste » où l’efficacité est mesurée à l’impact personnel que l’engagement associatif bénévole a pu avoir sur eux-mêmes ou sur leur problématique personnelle initiale. Ici, l’action bénévole est efficace car elle a apporté personnellement le sentiment d’une utilité, d’un épanouissement, d’une valorisation, amélioré la confiance en soi.

En somme, l’efficacité réside dans une réponse aux principales attentes qui avaient motivé l’engagement :

‘« sentiment d'utilité »
Mme K, 30-34 ans, chef de service informatique, 2e fois au chômage (n° 13)

« épanouissement personnel, échange d'idée et d'expérience m'ouvre à un monde extérieur pas toujours joli, joli »
Mlle C, 25-29 ans, agent de voyage, 2e fois au chômage (n° 23)

« transmission de mon expérience »
M. X, 55-59 ans, cadre bancaire, 1ère fois au chômage (n° 32)

« me remettre dans le bain »
Mlle P, 35-39 ans, comédienne, 3e fois au chômage (n° 42)

« ça me donne confiance en moi »
Mme X, 30-34 ans, secrétaire, nombre de fois au chômage inconnu (n° 85)

« mes propositions sont écoutées voir mises en application »
M. F, 45-49 ans, cadre, 1ère fois au chômage (n° 92)’

En synthétisant toutes ces données, on peut dire qu’il y a une efficacité à deux visages, bien résumé à notre sens par ce commentaire qui exprime toute une philosophie du bénévolat et de son efficacité :

«  je fais du bien et je me fais du bien »
Mme L, 50-54 ans, secrétaire, 4e fois au chômage (n° 48)

C’est ce que des chercheurs canadiens disent depuis très longtemps.

Les bienfaits « psychologiques » révélés par les témoignages des enquêtés sont en tout point semblables à ceux qui sont exposés dans une enquête canadienne 106  : le bénévolat permet au chômeur de reconstruire l’estime de soi, de reprendre confiance en lui au contact des autres :   « La recherche d’un emploi peut se révéler une expérience brutale dans la conjoncture actuelle. Elle pose des obstacles susceptibles d’anéantir l’estime de soi et la confiance en soi. […] L’un des principaux bienfaits du bénévolat, notamment pour ceux qui cherchent un emploi, réside dans sa capacité inhérente d’améliorer l’état de santé en permettant plus particulièrement de bâtir ou de rebâtir l’estime de soi et la confiance en soi, de ramener les choses à leur juste mesure et de changer d’attitude, ainsi que d’atténuer le sentiment d’isolement en élargissant le cercle de connaissances et d’amis. ».

Les deux questions précédentes nous ont permis de découvrir les bienfaits que les chômeurs retirent de leur pratique du bénévolat associatif en terme de bien-être.

Nous voulons maintenant savoir si ce qu’ils apprennent et valorisent en termes de savoir-faire dans le cadre de l’action bénévole est transposable dans l’activité salariée. Nous leur avons donc demandé d’une part, d’évaluer l’utilité de leur pratique bénévole pour la pratique ultérieure d’une activité salariée et d’autre part, de nous dire en quoi, pour eux, le bénévolat peut être un tremplin pour retrouver une activité salariée.

Notes
106.
« Le bénévolat, source d’expérience du travail », Direction du Soutien aux organismes volontaires, Lorraine Street, Ottawa, 1994