2.2 Le rapport au temps

Le manque de temps est également un frein à l’engagement bénévole des chômeurs dans plusieurs dimensions :

la recherche d’un emploi prend du temps :

‘« il faut passer trop de temps en recherche d'emploi (lecture de petites annonces, ANPE, entretiens..) »
M. C, 55-59 ans, ouvrier charcutier, 1ère fois au chômage (n° 6)

«parce qu'ils sont à la recherche d'un emploi et que cela prend du temps »
Mme J, 45-49 ans, employée de banque, 1ère fois au chômage (n° 36)

«ils ont l'esprit préoccupé et peu de temps à accorder compte tenu des nombreuses démarches et actions »
Mme B, 45-49 ans, assistante administrative, 2e fois au chômage (n° 38)

«ils sont obnubilés par la recherche d'emploi et que le temps donné gratuitement aux autres leur enlève le temps qu'ils peuvent consacrer à la recherche d'emploi »
Mlle M, 25-29 ans, employée hôtellerie, 3e fois au chômage (n° 76)’

l’avenir est incertain et il est difficile de s’engager temporairement :

‘«ils sont pris par leur recherche d'emploi et n'osent pas prendre d'engagement puisque leur futur est flou et peut-être remis en question »
Mme B, 35-39 ans, ingénieur chimiste, 1ère fois au chômage (n° 33)

«une recherche d'emploi demande beaucoup de temps et d'investissement ; de plus, beaucoup de personnes considèrent cette période comme temporaire c'est pourquoi ils ne souhaitent pas s'engager pour une courte période »
Mlle P, 20-24 ans, assistante marketing, 1ère fois au chômage (n° 44)’

Une chômeuse-bénévole, nous donnant son point de vue en tant que responsable d’association, dépeint le chômeur comme un bénévole « précaire » :

‘« dans notre association j'en connais pas mal qui viennent et repartent dès qu'ils ont trouvé un travail »
Mme S, 50-54 ans, employée aux écritures, 1ère fois au chômage (n° 88)’

Ces témoignages évoquent essentiellement comme arguments le manque de temps dû à la priorité donnée à la recherche d’emploi ou la difficulté à s’engager temporairement. On peut penser, s’agissant de chômeurs, que ce ne sont pas les seules raisons du manque d’investissement de la part de ce type de population dans le bénévolat associatif. En effet, Dominique Schnapper montre bien que le statut de chômeur confère à l’individu une obligation de recherche d’emploi qui ne favorise guère l’investissement dans une activité dite de loisir, il se doit d’être « un bon chômeur qui cherche du travail » :

‘« Ce n’est pas le cas du chômeur qui « devrait » en fonction de la norme du travail dont nous avons parlé – avoir un emploi. Il s’ennuie, parce que le temps est déstructuré. C’est en effet l’exercice d’une activité professionnelle qui donne son sens au temps : ne pas avoir d’emploi parce qu’on est chômeur, ce n’est pas être en vacances ou avoir des loisirs. Le chômeur ne se sent pas le droit d’adopter des activités de vacances, il ne peut pas jouer aux boules comme le retraité, il doit être un « bon chômeur » qui cherche du travail. C’est d’ailleurs pourquoi le chômeur qui devient retraité est soulagé, même si, apparemment, sa situation est objectivement la même. Ce n’est pas seulement une question financière (la retraite est en général plus élevée que les allocations chômage), c’est autre chose : être retraité, c’est disposer d’un statut supérieur qui justifie le non-emploi. Le chômage ne donne pas ce sentiment. L’humiliation qu’il ressent explique la solitude grandissante du chômeur » (1997, p. 49)’

D’ailleurs, l’argument du manque de temps est contesté par quelques-uns qui disent qu’il ne s’agit moins d’un problème de temps que d’une attitude : 

‘«je pense qu'ils sont trop préoccupés par leur recherche d'emploi et ont peur de ne pas avoir assez de temps pour cette recherche ; je pense qu'être bénévole est une attitude, plus qu'une opportunité de temps (avant la retraite) donc il n'y a pas de raison que le bénévolat chez les chômeurs soit élevé »
Mme M, 25-29 ans, éducateur spécialisé, 3e fois au chômage (n° 19)

«  c'est plus un état d'esprit, on ne peut tout faire à la fois »
Mme R, 35-39 ans, documentaliste, 3e fois au chômage (n° 53)’