3.2 Une réalisation en mi-teinte

  • 87 % des personnes interrogées ont accepté de répondre à cette question.
  • 52,6 % disent avoir la sensation de se réaliser dans leur action bénévole, il y a naturellement divers degrés dans ce sentiment de réalisation :
‘« en partie, pour ce qui est du côté humain »
Mlle B, 20-24 ans, ingénieur IAA, 1ère fois au chômage (n° 11)

« disons qu’un début de réalisation se fait »
Mme R, 30-34 ans, contrôleur de gestion, 1ère fois au chômage (n° 62)’

Mais globalement, cette sensation de réalisation de soi-même est présente quand le chômeur se sent utile, fait ce qu’il aime, comme il lui plaît, il se sent valorisé, est content de lui :

‘« je me sens utile »
Mme F, 30-34 ans, surveillante, 1ère fois au chômage (n° 1)

« je suis utile à des personnes tout en utilisant mes compétences juridiques »
Mlle L, 25-29 ans, étudiante, 1ère fois au chômage (n° 45)’

on peut faire ce que l’on aime :

‘« faire ce que j’aime : contact, organisation de mes tâches, être utile »
Mlle L, 20-24 ans, étudiante, 1ère fois au chômage (n° 9)

« parce que j’aime m’occuper des petits »
Mme F, 55-59 ans, secrétaire, 1ère fois au chômage (n° 31)

« je fais enfin ce qui me plaît (enfin une partie de ce que je voudrais faire en étant salariée)»
Mlle F, 25-29 ans, employée de vente, 1ère fois au chômage (n° 71)

« parce que je fais ce qui me plaît »
M. F, 45-49 ans, cadre, 1ère fois au chômage (n° 92)

« j’aime écouter les autres, savoir ce qu’ils deviennent, essayer de les aider dans la mesure du possible ; en fait, j’aime ce que je fais et en plus je suis reconnue et appréciée »
Mlle A, 30-34 ans, secrétaire polyvalente, 2e fois au chômage (n° 93)

« je me sens tout à fait en accord avec moi-même et les raisons pour lesquelles j’ai intégré l’association »
Mlle C, 30-34 ans, assistante ressources humaines, 2e fois au chômage (n° 81)’

on peut faire comme on veut :

‘« je m’implique de la manière que je souhaite »
M. T, 25-29 ans, technicien chimiste, 1ère fois au chômage (n° 86)

« oui parce que je fais un travail varié sans vraiment de contrainte d’horaire qui me laisse des plages libres de temps à employer à autre chose ; je peux même me permettre de prendre une semaine de vacances en pleine saison active, je fais un travail qui me plaît énormément et je peux me permettre de gérer mon temps, que demander de mieux ? »
Mme S, 50-54 ans, employée aux écritures, 1ère fois au chômage (n° 88)’

on peut se sentir valorisé :

‘« c’est très valorisant et enrichissant pour le mental »
M. G, 40-44 ans, comptable, 2e fois au chômage (n° 2)

« c’est valorisant d’atteindre son but »
Mme B, 35-39 ans, ingénieur chimiste, 1ère fois au chômage (n° 33)

« je suis heureuse d’aider les jeunes et lorsque les résultats s’améliorent à l’école, je suis contente pour eux et quelque part je suis contente de moi ! »
Mlle E, 25-29 ans, assistante d'études, 1ère fois au chômage (n° 64)

« je participe à la vie d’une association mais aussi à la vie d’un quartier qui se trouve à proximité de mon domicile ; cela permet donc de reconstruire un tissu humain, certainement perdu jadis mais aussi reconstruire mon identité, mon image vis-à-vis de moi-même mais aussi envers mon entourage et les autres »
M. T, 25-29 ans, responsable de rayon, 1ère fois au chômage (n° 66)

« même si elle est très réduite, j’ai besoin de cette notion humaine ou sociale pour être bien ; et je recherche d’ailleurs un emploi qui puisse concilier mes compétences professionnelles et mon goût pour les autres : résidences pour personnes âgées… »
Mme D, 50-54 ans, directrice centre commercial, 1ère fois au chômage (n° 82)’

En résumé, la sensation de se réaliser c’est de se sentir utile, faire ce qui plaît, bénéficier d’une reconnaissance à la mesure de l’action entreprise, agir de son plein gré sans pression de la hiérarchie et (y compris pour tout cela ) être reconnu. Toutes choses que n’ont pu connaître les 34,7 % qui disent ne pas avoir la sensation de se réaliser dans leur action bénévole, soit un chômeur-bénévole sur trois.

L’action bénévole est pleine de promesses, mais en pratique beaucoup sont déçus :

C’est la déception de ne pas avoir obtenu la satisfaction d’une attente d’insertion professionnelle :

‘« le but d’insertion professionnelle n’est pas atteint »
Mme K, 30-34 ans, chef de service informatique, 2e fois au chômage (n° 13)’

Le fait que l’activité exécutée ne soit pas vraiment intéressante, pas variée, pas valorisante :

‘« je ne fais qu’un travail exécutif, répétitif »
Mme B, 50-54 ans, employée de bureau, 5e fois au chômage (n° 7)

« il y a bénévole et bénévole ; si c’est du bénévolat valorisant on se donne à fond, le contraire… »
M. M, 35-39 ans, ouvrier tâcheron, 5e fois au chômage (n° 59)’

Ce peut être la déception d’avoir rencontré des problèmes ou des divergences de points de vue :

‘« étant donné tous les problèmes que j’ai connu il n’est pas étonnant que je n’ai pas pu m’y réaliser » 
Mme F, 35-39 ans, surveillante , 3e fois au chômage (n° 24)

« décalage sur les points de vue spirituels, politiques, matériels »
M. G, 25-29 ans, responsable de production, 2e fois au chômage (n° 89)’

La déception de ne pas avoir eu l’opportunité de s’impliquer plus :

‘« j’aimerais être plus acteur que spectateur dans les actions pour peut être me sentir plusréalisée »
Mme F, 30-34 ans, enseignante, 1ère fois au chômage (n° 16)’

Certains ont la lucidité de prendre conscience du fait qu’ils n’étaient pas dans la configuration requise pour une réalisation personnelle, que, dans leur cas, seule une activité professionnelle pourrait offrir, notamment par la reconnaissance sociale qu’elle procure. Cette configuration implique des conditions minimales…

‘«une action bénévole ne peut en aucun cas remplacer une activité professionnelle »
Mme F, 50-54 ans, professeur, 2e fois au chômage (n° 18)

« je me réaliserai vraiment dans un emploi salarié correspondant aux études que j’ai suivies »
Mlle V, 25-29 ans, étudiante, 1ère fois au chômage (n° 39)

« pas vraiment, le bénévolat n’est que passager ; mon ambition est de trouver un emploi dans quelque temps »
Mlle C, 30-34 ans, réceptionniste hôtel, 1ère fois au chômage (n° 61)

« se réaliser est pour moi indissociable d’une reconnaissance sociale qui passe par unerémunération fonction des responsabilités »
Mlle P, 30-34 ans, enseignante, 1ère fois au chômage (n° 75)

« parce que je suis en recherche d’emploi et en recherche personnelle »
Mme P, 50-54 ans, infirmière, 2e fois au chômage (n° 84)’

quand ce n’est pas une certaine disposition d’esprit qu’arbitrairement on s’interdit d’avoir :

‘« cette action bénévole était une nécessité ; être bénévole c’est donner son temps aux autres, aujourd'hui j’utilise l’association pour mon propre intérêt, un jour sûrement mon bénévolat = don »
Mlle P, 30-34 ans, surveillante, 1ère fois au chômage (n° 30)’

Quelques-uns savent toutefois reconnaître la « responsabilité » qui leur incombe à ce sujet et par conséquent assument :

‘« pas pour l’instant, car je ne suis pas suffisamment impliquée, mais je crois que cela peut être possible »
Mlle C, 30-34 ans, juriste en entreprise, 2e fois au chômage (n° 22)

« je m’investis pas suffisamment pour pouvoir me réaliser »
Mlle V, 30-34 ans, secrétaire aide-comptable, 2e fois au chômage (n° 69)’

On voit bien ici tout ce que le sentiment de réalisation personnelle doit à une démarche active, fruit d’un travail et d’une maturation personnels plus qu’à des apports extérieurs, et le bénévolat associatif est, en utilisant la métaphore de « l’auberge espagnole », un cadre dans lequel on va trouver beaucoup de ce que l’on y a apporté.

En conclusion, le bénévolat comme nous l’avons vu précédemment est plein de promesses mais la réalité est plus complexe et s’il n’y a pas d’incompatibilité entre la pratique du bénévolat associatif et la recherche d’un emploi, au contraire, il existe indéniablement des freins à l’engagement du chômeur. Ce sont des difficultés initiales à surmonter, dont beaucoup sont liées à l’ignorance et aux préjugés qui entourent cette pratique. Ce sont les difficultés » de parcours » au sein de l’associatif, car «mieux être » et « mieux faire » ne sont pas donnés mais obtenus comme fruits d’une contribution personnelle. C’est bien d’ailleurs ce qu’affirment les Canadiens dans l’un de leurs ateliers, « Vous n’avez rien à perdre et tout à gagner […] Ce qu’on retire de son engagement équivaut à ce qu’on y met ! Et souvent, on obtient beaucoup plus en échange. Alors, relevez vos manches et engagez-vous. »

Mais cette contribution personnelle requiert par ailleurstout un ensemble de conditions favorables à sa manifestation, des conditions qu’il appartient essentiellement aux associations de créer.

Les témoignages des chômeurs-bénévoles placent la perfectibilité des associations dans l’amélioration de leur prise en compte et de leur suivi.

Les Canadiens ont, pour leur part, énoncé les conditions – sans qu’elles soient spécifiques aux chômeurs - qui leur paraissent nécessaires pour offrir une expérience et une formation valables :

  • choisir les placements d'une façon sérieuse et judicieuse;
  • énoncer les tâches clairement; les organismes et les bénévoles doivent bien s'entendre sur leurs attentes, responsabilités et droits respectifs;
  • interviewer convenablement les bénévoles et leur trouver un placement approprié; il faut les orienter vers un organisme;
  • fournir aux bénévoles la formation dont ils ont besoin pour s'acquitter de leurs tâches; ils doivent pouvoir compter sur l'encadrement et le soutien d'un responsable qualifié, et recevoir régulièrement des évaluations et des commentaires sur leur travail;
  • offrir aux bénévoles, dans la mesure du possible, la possibilité de diversifier leurs activités ou de modifier leur rôle en vue d'acquérir de nouvelles compétences et d'élargir leurs horizons.

En investissant des ressources dans la formation des bénévoles, les organismes montrent qu'ils apprécient véritablement leur apport et ils s'assurent que leur mission est bien remplie. C'est une façon de reconnaître le travail des bénévoles et de les remercier, en les aidant en même temps à atteindre leurs objectifs de carrière.

En France, le Centre du Volontariat, conscient de la spécificité du chômeur comme bénévole, met en garde les associations dans le document interne « j’accueille un futur bénévole qui est demandeur d’emploi » :

  • un bénévole demandeur d'emploi doit pouvoir poursuivre sa recherche d’emploi et celle-ci peut être obérée, par un trop grand investissement au sein de l’association sur un projet ; il s’avère nécessaire de permettre au bénévole de travailler en équipe plutôt qu’en « solo » ;
  • un bénévole demandeur d'emploi est un bénévole « précaire » dans la mesure où, en recherche d’emploi, il est appelé à devoir quitter l’association assez brusquement ;
  • un bénévole demandeur d'emploi passe parfois par des moments de découragement, de demande d’aide, et un fort encadrement sera parfois nécessaire.