1.1.3La notion de modèle de situation (van Dijk & Kintsch, 1983)

Bien que dans leur modèle précédent (Kintsch & van Dijk, 1978), Kintsch et van Dijk supposent une intervention des connaissances générales de l'individu au cours de l'activité de compréhension, ils ne spécifient pas précisément quand et comment les connaissances interviennent (Kintsch & van Dijk, 1978, p. 364). Dans leur modèle de 1983, van Dijk et Kintsch introduisent une distinction entre la base de texte à laquelle correspondent les éléments du texte et le modèle de situation qui présente la caractéristique d'inclure des informations provenant des connaissances antérieures du lecteur. Le processus de compréhension n'implique plus seulement la construction d'une représentation mentale du contenu du texte mais également l'intégration des informations fournies par le texte aux connaissances d'un individu. Le résultat de cette intégration est l'élaboration d'un modèle de la situation décrite par le texte.

Le modèle de situation est défini comme ‘« une représentation cognitive des événements, des actions, des individus et de la situation générale évoquée par le texte ’» (van Dijk & Kintsch, 1983, p. 11-12). Il incorpore les expériences antérieures et notamment des bases de textes préalables sur des situations identiques ou similaires. En parallèle, il comprend des particularisations des connaissances plus générales, comme les connaissances sémantiques sur les situations évoquées. Cette intégration des connaissances sémantiques et épisodiques au modèle de situation permet d'entrevoir la base de texte comme une représentation dont le contenu se limite aux informations du texte mais dont la construction résulte d'un appariement constant avec le modèle de situation. Selon van Dijk et Kintsch (1983), le lecteur a ainsi la possibilité de dégager la signification conceptuelle des informations du texte ainsi que les situations auxquelles le texte réfère. La notion de modèle de situation permet ainsi, d’une part de conceptualiser la représentation du monde que les individus ont établie à travers leurs expériences et leurs apprentissages et qu’ils activent lors de la lecture et d’autre part, de fournir un univers référentiel aux expressions langagières. La rapidité d'accès et l'efficacité de la récupération des connaissances du lecteur occupent donc une place cruciale et conduit van Dijk et Kintsch (1983) à concevoir l'activité de compréhension à partir de structures de connaissances flexibles et non plus à l'envisager dans le cadre de structures de connaissances rigides comme les cadres (Minsky, 1975), les schémas (Rumelhart & Norman, 1978) ou les scripts (Schank & Abelson, 1977).

L’introduction de la notion de modèle de situation est fondamentale dans l’étude du processus de compréhension parce qu’elle en modifie l’objectif. En effet, comprendre un texte n’implique plus seulement la mémorisation des informations du texte mais la mémorisation de la situation évoquée par le texte. Autrement dit, pour comprendre un texte, il faut se représenter la situation qu’il décrit, être capable d’imaginer une situation dans laquelle certains individus possèdent certaines propriétés ou entretiennent certains types de relations décrits par le texte. Si l’individu ne comprend pas les relations entre les faits décrits localement et globalement dans un texte, il ne comprend pas le texte. Dans cette perspective, approfondir nos connaissances sur le fonctionnement du processus de compréhension nécessite d’étudier les processus sous-jacents à la construction d’un modèle de situation.